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LE CHANT DU SACRE

Pour répondre au désir des salons royalistes et au vœu de la Cour elle-même, Lamartine, au printemps de 1825, et dans les semaines où s'imprimait Harold, improvisa un poème de circonstance destiné à saluer la cérémonie du sacre de Charles X. Toutes les voix des grands écrivains allaient retentir autour des fêtes de Reims; Chateaubriand, quelques mois plus tôt, leur avait donné le ton dans une brochure retentissante. La voix de Lamartine pourrait-elle demeurer muette ?...

« Le Chant du Sacre ou la Veillée des Armes » est une sorte de chant épique qui met en scène ou commente tour à tour les principaux moments de la cérémonie rituelle. Lamartine l'a fait précéder d'un avertissement indiquant « qu'il n'a pas cru devoir s'astreindre scrupuleusement aux formes modernes du sacre » ; il en a emprunté les principaux traits aux cérémonies guerrières qui, dans les temps chevaleresques, accompagnaient cette auguste consécration. » Un prologue montre la cathédrale de Reims qui, dans la nuit, s'éveille, emplie du frisson de tous les vieux drapeaux français; ceux d'Ivry et de Rocroi y mêlent leurs plis aux plis de ceux qui

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n'ont rien rapporté de Vienne et d'Austerlitz

Que cent noms immortels sur leurs lambeaux écrits !

L'aurore naît; le Pontife attend au pied de l'autel. Le Roi entre, suivi de ses douze pairs, parmi lesquels, composant leur cohorte à sa fantaisie, Lamartine ne craint point de placer Chateaubriand. Le Roi présente chacun d'eux au prélat consécrateur. Puis, devant l'autel, il prononce une grave prière à laquelle fait écho celle de l'Archevêque. Dans l'épilogue enfin, le poète reprend la parole pour adresser lui-même une assez belle invocation à la Liberté :

Et toi qui, relevant les débris des couronnes,
Viens du trône des rois embrasser les colonnes,
Rêve des nations, qu'ont vu passer nos yeux,
Que le Christ après lui fit descendre des cieux,
Liberté dont la Grèce a salué l'aurore,
Que d'un berceau de feu ce siècle vit éclore,
Viens! le front incliné sous le sceptre des rois,
Poser le sceau du peuple au livre de nos lois !

Le Chant du Sacre parut le 28 mai 1825, chez Urbain Canel, et fut vendu, en quelques jours, à vingt mille exemplaires. Un petit scandale fut, encore plus que l'actualité, la raison de ce

succès inattendu. Lamartine n'aimait point le duc d'Orléans. Cependant, pour complaire à sa mère, qui le raconte ellemême, il consentit à l'introduire parmi les pairs que le Roi présente à l'Archevêque comme ses répondants. Mais il prêta au Roi, pour caractériser le duc d'Orléans, des vers malheureux qui rappelaient le rôle de Philippe-Égalité pendant la

Révolution :

L'ARCHEVÊQUE

Et ce prince, appuyé sur ses brillantes armes,
Qui, les yeux attachés sur ce groupe d'enfants,
Contemple avec orgueil cet espoir ?...

LE ROI

D'Orléans !

Ce grand nom est couvert du pardon de mon frère :
Le fils a racheté les crimes de son père !
Et, comme les rejets d'un arbre encor fécond,
Sept rameaux ont caché les blessures du tronc.

Les vers étaient mauvais; et, au surplus, maladroits. Encore Lamartine les avait-il adoucis sur l'épreuve; car son manuscrit témoigne qu'il avait écrit d'abord :

Le fils a racheté l'iniquité du père !

Le duc d'Orléans, à la lecture de ce passage, entra dans une violente colère :

(I) est allé se plaindre au Roi des insultes que je lui adressais. Le Roi a ordonné la suppression du passage. Les libraires, comme des coquins, l'ont refusée 2. J'ai été instruit trop tard, et je me suis empressé d'écrire d'arrêter, de changer, de tout faire pour contenter le Roi.... » (Lettre à Virieu. Aix, 6 juin 1825).

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Le changement », cependant, se borna à un mot: Lamartine se contenta de remplacer « crimes » par « armes », qui ne voulait à peu près rien dire ou qui, s'il signifiait quelque chose, sousentendait au moins autant que « crimes », puisqu'il indiquait qu'une tache avait souillé le blason des d'Orléans :

Le fils a racheté les armes de son père !...

1. Manuscrit de ma Mère, p. 268.

2. Le passage, cependant, fut bien supprimé sur quelques premiers exemplaires, assez rares, en attendant que fût imprimé le carton » portant la correction de Lamartine. Sur ces exemplaires, les pages 19 et 20 ne contiennent que 11 et 8 vers, au lieu de 13 et 10.

Ainsi corrigé, le Chant du Sacre cessa d'attirer la curiosité de la foule; le second tirage se vendit mal, et, en 1827, fut soldé à vil prix chez des épiciers !

Lamartine, au reste, était le premier à convenir que son poème ne valait pas grand'chose. Il l'appelait « son poème de Fontenoy » et le jugeait sévèrement, en parlant de lui à Virieu pour la première fois le 10 mai :

« ...

Quant au Sacre, l'horreur des horreurs poétiques, ne m'en parle pas ! tout le monde à Paris m'a crié haro ! Mais propria virtute me involvo, ce qui veut dire je m'enveloppe dans ma sottise. Cependant non ce n'est pas bêtise, ce n'est pas besoin d'argent je l'ai fait consciencieusement, pour montrer que, quoique avec quelques sentiments un peu libres, j'étais franchement du parti de nos rois. Le ciel m'en saura gré, et les hommes se moqueront de moi, et toute justice sera faite.... »

Le Roi aussi sut quelque gré au poète; dès le 10 mai, il le nommait chevalier de la Légion d'Honneur par une ordonnance spéciale où ne se lisaient que deux noms : celui de Lamartine et celui de Victor Hugo. Contrairement à ce que ce dernier affirme (dans Victor Hugo raconté) Lamartine n'assistait point aux fêtes du sacre; il passa les mois de juin et de juillet, loin des tumultes officiels, dans le calme des eaux d'Aix.

1. Victor Hugo avait écrit, lui aussi, son poème officiel : l'Ode sur le Sacre de Charles X, qui fut publiée en mai et qui figure dans le recueil des Odes et Ballades (Livre III. Ode 4).

CHAPITRE X

LA GENÈSE DES « HARMONIES » De 1825 à 1830

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Le 12 novembre 1824, au plein de son intrigue académique, alors que, sûr déjà de n'être pas élu, il ne « manoeuvrait » plus que pour être vaincu avec un certain honneur », Lamartine reçut du ministère des Affaires Étrangères une « consolation » sur laquelle il n'osait plus compter : la promesse formelle d'être nommé secrétaire d'ambassade à Florence vers le milieu de l'année suivante... « J'aurai dans un an Florence et huit mille francs, si j'en veux, écrit-il ce jour-là même à de Virieu. »

Ce n'était, ni d'aujourd'hui, ni même d'hier qu'il « en voulait. Attaché à l'ambassade de Naples, il maugréait, on l'a vu, contre l'insuffisance de son poste et de ses appointements. Dès ces semaines de l'automne de 1820, il tourna ses regards vers Florence; il trouverait là un climat moins déprimant, et sans doute un chef plus agréable : le marquis de la Maisonfort, ministre de France près la cour de Toscane conservait un peu des grâces finissantes du XVIIIe siècle qui avait fait son éducation; il se piquait de lettres, et non point seulement de les goûter, mais de les cultiver pour son compte ; il écrivait des vers pleins d'une philosophie épicurienne aimablement inspirée d'Horace... Lamartine, en remontant d'Italie vers la France, n'omit point de s'arrêter quelques jours à Florence pour présenter ses devoirs à ce diplomate séduisant; on a vu qu'il lui envoya ensuite une épître, qui fut insérée à dessein - en 1823, dans la 9e édition des Méditations.

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Le ministère, cependant, ne paraissait point décidé à ratifier très vite l'accord de principe intervenu entre Lamartine et son futur chef; les « bureaux » calculaient ses années de services effectifs plutôt qu'ils ne pesaient sa gloire. Lamartine était menacé de demeurer longtemps rivé au titre de simple attaché. Il enrageait : « ... Depuis deux ans, on ne me juge pas digne de copier et de cacheter des lettres dans

une cour oisive d'Italie. Je ne m'élèverai jamais jusqu'au sublime rang de secrétaire d'ambassade, tandis qu'on prodigue les places de ministre et de chargé d'affaires aux favoris d'hier. J'ai honte à mon âge de mon titre d'attaché, qui va bien à seize ans !... » (Lettre à Genoude, du 18 septembre 1822).

L'arrivée de Chateaubriand au ministère ne changea rien à la défaveur dont il se chagrinait; en vain quelques amis s'imaginèrent que l'auteur des Méditations devait attendre et, au besoin, réclamer quelque équité bienveillante de l'auteur du Génie. Comme don de joyeux avènement, celui-ci réduisit à« la demi-solde » tous les diplomates en congé; Lamartine en était. Il écrivait à Virieu, le 18 janvier 1823 : « ... Je ne fais nulle démarche auprès du nouveau ministre; il m'a toujours reçu avec trop peu de faveur. J'ai été faire seulement les révérences du devoir... » Le poste de Florence, cependant, vaquait; on l'attribua quelques mois plus tard. Bien qu'il fût en train de mettre au point le manuscrit des Nouvelles Méditations et celui de Socrate, Lamartine bondit : « ... S'il en est ainsi, mande-t-il aussitôt à Virieu, je vais donner ma démission ab irato. Ayez donc des procédés! Château (c'est-àdire Chateaubriand) ne m'en a pas seulement prévenu. Je suis dans une poétique fureur !!! comme tu le vois par ces trois points. Du reste, je m'en fiche. Cependant j'aurais voulu me retirer secrétaire, pour mes enfants, si j'ai le bonheur d'en ravoir... » (6 août 1823).

Sa colère tomba vite. Mais il s'obstina d'autant plus que les médecins recommandèrent en 1824 à Mme de Lamartine, alors assez fatiguée, le climat de l'Italie tempérée. Il posa de nouveau, pendant l'été de 1824, une candidature très nette, qui ne fut point accueillie. (Lettres du 30 juillet et du 23 août.)

Lorsqu'en 1825 il reçut avis, par une lettre officielle en date du 15 juillet, que sa nomination à Florence était signée depuis le 3, il semble donc qu'il aurait dû se réjouir de voir enfin réalisé un rêve ajourné si longtemps. Mais justement, comme il arrivait presque toujours pour lui, son désir avait d'avance usé sa joie. Au moment d'accepter, c'est tout juste s'il n'hésita point. Il le laisse entendre à Virieu :

« ... Nous irons à Florence. La santé et l'imagination encore très séductible de ma femme ont mis le poids dans mes justes balances; et j'accepte avec regrets, car, hélas ! que vais-je chercher ? Il y a moins d'aisance qu'où je suis, moins de solitude, moins de loisir, moins d'ombrage, moins de vieilles habitudes, moins de tout ce qui maintenant compose ce qu'on appelle un bonheur enviable !!! trois points; sont-ils d'admiration?

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