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Ainsi corrigé, le Chant du Sacre cessa d'attirer la curiosité de la foule; le second tirage se vendit mal, et, en 1827, fut soldé à vil prix chez des épiciers !

Lamartine, au reste, était le premier à convenir que son poème ne valait pas grand'chose. Il l'appelait << son poème de Fontenoy » et le jugeait sévèrement, en parlant de lui à Virieu pour la première fois le 10 mai :

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Quant au Sacre, l'horreur des horreurs poétiques, ne m'en parle pas ! tout le monde à Paris m'a crié haro ! Mais propria virtute me involvo, ce qui veut dire je m'enveloppe dans ma sottise. Cependant non : ce n'est pas bêtise, ce n'est pas besoin d'argent je l'ai fait consciencieusement, pour montrer que, quoique avec quelques sentiments un peu libres, j'étais franchement du parti de nos rois. Le ciel m'en saura gré, et les hommes se moqueront de moi, et toute justice sera faite.... »

Le Roi aussi sut quelque gré au poète; dès le 10 mai, il le nommait chevalier de la Légion d'Honneur par une ordonnance spéciale où ne se lisaient que deux noms : celui de Lamartine et celui de Victor Hugo'. Contrairement à ce que ce dernier affirme (dans Victor Hugo raconté) Lamartine n'assistait point aux fêtes du sacre; il passa les mois de juin et de juillet, loin des tumultes officiels, dans le calme des eaux d'Aix.

1. Victor Hugo avait écrit, lui aussi, son poème officiel : l'Ode sur le Sacre de Charles X, qui fut publiée en mai et qui figure dans le recueil des Odes et Ballades (Livre III. Ode 4).

CHAPITRE X

LA GENÈSE DES « HARMONIES »: De 1825 à 1830

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Le 12 novembre 1824, au plein de son intrigue académique, alors que, sûr déjà de n'être pas élu, il ne « manœuvrait >> plus que « pour être vaincu avec un certain honneur », Lamartine reçut du ministère des Affaires Étrangères une « consolation » sur laquelle il n'osait plus compter : la promesse formelle d'être nommé secrétaire d'ambassade à Florence vers le milieu de l'année suivante... « J'aurai dans un an Florence et huit mille francs, si j'en veux, écrit-il ce jour-là même à de Virieu. »

Ce n'était, ni d'aujourd'hui, ni même d'hier qu'il « en voulait». Attaché à l'ambassade de Naples, il maugréait, on l'a vu, contre l'insuffisance de son poste et de ses appointements. Dès ces semaines de l'automne de 1820, il tourna ses regards vers Florence; il trouverait là un climat moins déprimant, et sans doute un chef plus agréable : le marquis de la Maisonfort, ministre de France près la cour de Toscane conservait un peu des grâces finissantes du XVIIIe siècle qui avait fait son éducation; il se piquait de lettres, et non point seulement de les goûter, mais de les cultiver pour son compte ; il écrivait des vers pleins d'une philosophie épicurienne aimablement inspirée d'Horace... Lamartine, en remontant d'Italie vers la France, n'omit point de s'arrêter quelques jours à Florence pour présenter ses devoirs à ce diplomate séduisant ; on a vu qu'il lui envoya ensuite une épître, qui fut insérée à dessein en 1823, dans la 9e édition des Méditations. Le ministère, cependant, ne paraissait point décidé à ratifier très vite l'accord de principe intervenu entre Lamartine et son futur chef; les « bureaux » calculaient ses années « de services effectifs plutôt qu'ils ne pesaient sa gloire. Lamartine était menacé de demeurer longtemps rivé au titre de simple attaché. Il enrageait : « ... Depuis deux ans, on ne me juge pas digne de copier et de cacheter des lettres dans

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une cour oisive d'Italie. Je ne m'élèverai jamais jusqu'au sublime rang de secrétaire d'ambassade, tandis qu'on prodigue les places de ministre et de chargé d'affaires aux favoris d'hier. J'ai honte à mon âge de mon titre d'attaché, qui va bien à seize ans !... » (Lettre à Genoude, du 18 septembre 1822).

L'arrivée de Chateaubriand au ministère ne changea rien à la défaveur dont il se chagrinait; en vain quelques amis s'imaginèrent que l'auteur des Méditations devait attendre et, au besoin, réclamer quelque équité bienveillante de l'auteur du Génie. Comme don de joyeux avènement, celui-ci réduisit à« la demi-solde » tous les diplomates en congé; Lamartine en était. Il écrivait à Virieu, le 18 janvier 1823 : « ... Je ne fais nulle démarche auprès du nouveau ministre; il m'a toujours reçu avec trop peu de faveur. J'ai été faire seulement les révérences du devoir... » Le poste de Florence, cependant, vaquait; on l'attribua quelques mois plus tard. Bien qu'il fût en train de mettre au point le manuscrit des Nouvelles Méditations et celui de Socrate, Lamartine bondit : « ... S'il en est ainsi, mande-t-il aussitôt à Virieu, je vais donner ma démission ab irato. Ayez donc des procédés! Château (c'est-àdire Chateaubriand) ne m'en a pas seulement prévenu. Je suis dans une poétique fureur !!! comme tu le vois par ces trois points. Du reste, je m'en fiche. Cependant j'aurais voulu me retirer secrétaire, pour mes enfants, si j'ai le bonheur d'en ravoir... » (6 août 1823).

Sa colère tomba vite. Mais il s'obstina d'autant plus que les médecins recommandèrent en 1824 à Mme de Lamartine, alors assez fatiguée, le climat de l'Italie tempérée. Il posa de nouveau, pendant l'été de 1824, une candidature très nette, qui ne fut point accueillie. (Lettres du 30 juillet et du 23 août.)

Lorsqu'en 1825 il reçut avis, par une lettre officielle en date du 15 juillet, que sa nomination à Florence était signée depuis le 3, il semble donc qu'il aurait dû se réjouir de voir enfin réalisé un rêve ajourné si longtemps. Mais justement, comme il arrivait presque toujours pour lui, son désir avait d'avance usé sa joie. Au moment d'accepter, c'est tout juste s'il n'hésita point. Il le laisse entendre à Virieu :

« ... Nous irons à Florence. La santé et l'imagination encore très séductible de ma femme ont mis le poids dans mes justes balances; et j'accepte avec regrets, car, hélas ! que vais-je chercher ? Il y a moins d'aisance qu'où je suis, moins de solitude, moins de loisir, moins d'ombrage, moins de vieilles habitudes, moins de tout ce qui maintenant compose ce qu'on appelle un bonheur enviable !!! trois points; sont-ils d'admiration?

Cependant, je vais poursuivre le sentier tracé par la seule Providence, car, sur mon honneur, je n'y songeais plus moi-même. Si, comme tu me le dis et comme je le pressentais, tu prends le bon parti d'y venir toi-même, je conviens que je ne prévois pas dans ma vie de temps plus heureux; mais seul, c'est un exil auquel je me soumets avec répugnance. »

(Saint-Point, 3 août 1825.)

En ce mois d'août, donc, il se résigne à faire ses préparatifs de départ dont, pendant quelques jours, il se laisse divertir par la visite que lui font à l'improviste Charles Nodier, Victor Hugo et sa femme, en route pour un voyage pittoresque vers les montagnes de Suisse.

Arrivé le 2 octobre, le nouveau secrétaire d'ambassade date le 5, de « Firenze », sa première lettre au cher Virieu :

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Mon cher ami, nous y voici, et nous t'attendons, non sans une vive impatience. Le voyage, quoique plus compliqué pour onze personnes et cinq chevaux que pour trois, s'est heureusement passé....

α

J'y suis depuis trois jours dans ce Florence: c'est bien l'Athènes du moyen âge; cela m'étonne et me charme plus que la première ou la cinquième fois.

« J'ai trouvé un logement un peu vieux, un peu sale, mais à souhait pour moi belles écuries, immenses remises, cour, jardins et terrasses, vignes et cyprès tout à l'entour, et la vue et l'air bornés seulement par les collines du midi, la villa d'Albizzi et celle de notre ami Machiavel, près de la Porte Romaine, et n'ayant que dix pas de pavé pour galoper dans les avenues du Poggio imperiale, etc.... Or, au second étage de la sudetta casa, il y a appartement pareil, moins la remise et les écuries qu'on trouve aussi à la porte. Le veux-tu ? et pour combien de temps et d'argent ? et m'autorises-tu à le louer fort et ferme ? Vue délicieuse, tapis et cheminées partout, du bruit comme à Pupetières. Je ne ferai rien sans un ordre formel de toi; et je tâche, en attendant, d'en dégoûter les Anglais qui commencent à pleuvoir ici.... >>

Quelques jours plus tard, il retenait l'appartement pour Virieu, qui arrivait au milieu de novembre... Il avait tout : dans sa maison, la famille et l'amitié; autour de lui, la tiédeur d'un climat ensoleillé mais point ardent, la splendeur modérée d'un paysage aux nets et suaves horizons; à la légation de France, un chef d'abord tout amical et indulgent en la personne du marquis de la Maisonfort...

Il lui manquait, cependant, dans les salons de Florence, et à la cour même du grand-duc de Toscane, il ne savait quelle bienveillance courtoise et sympathique qu'il s'était attendu d'y rencontrer; on ne lui marquait point précisément de l'hostilité, mais une certaine froideur et bientôt de la réserve.

Il ne tarda pas d'en connaître la cause; les « libéraux » italiens et la jeunesse littéraire lui reprochaient vivement tout un passage de Childe-Harold, où, dans une comparaison entre l'Italie antique et l'Italie moderne, ils voyaient une injure à celle-ci. Le fameux colonel Pepe, instigateur de la révolution libérale qui avait eu lieu à Naples en 1820, était alors « réfugié » à Florence: il voulut voir dans la nomination de Lamartine en cette ville une sorte d'outrage au patriotisme italien, médité par le roi de France. Il écrivait à sa famille « Après avoir insulté l'Italie, il eut l'imprudence ou la bêtise de venir ici raviver l'indignation générale. Personne ne causait avec lui. Tous lui tournaient le dos en société, beaucoup de prosateurs ou de poètes composaient des articles et des satires en réponse au calomniateur 1. »

Seulement la censure vigilante arrêtait satires et articles. Pepe lui-même la gagna de ruse; dans l'Antologia, il inséra un article qui ne semblait avoir d'autre objet que de proposer une interprétation d'un vers du Dante sur lequel les écrivains contestaient alors assez vivement. Mais cet innocent article contenait le passage suivant : « ... D'une si grossière balourdise serait seul capable le rimeur du Dernier Chant de Childe-Harold, qui s'efforce de suppléer à l'inspiration dont il est vide, et à des pensées dignes d'une inspiration, par des criailleries contre l'Italie; criailleries que nous appellerions injures si, comme le dit Diomède dans l'Iliade, les coups des lâches et des poltrons pouvaient jamais porter. »

L'attaque était vive et paraissait approuvée par l'opinion: en quelques jours Pepe vendit deux cents exemplaires de son article; il reçut, dans sa mansarde de « réfugié », les compliments de l'aristocratie florentine et fut, aussitôt, nommé membre de l'académie des Georgo fili.

1. Lettre traduite par M. DES COGNETS (ouvrage cité, p. 143), d'après M. LUIGI ROBERTO : Un articolo dantesco di Gabriele Pepe (Firenze, Sansoni 1898).

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