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documents s'appelle Benoît ; il exerçait en 1550 « la modeste profession de tanneur cordonnier ». Ce Benoît Alamartine est le chef de la famille. Un de ses petits-fils, Estienne, après avoir rendu la justice pour le compte du roi sur les terres ecclésiastiques en qualité de juge-mage et capitaine de l'abbaye de Cluny, acheta, en 1651, la charge de secrétaire du roi, « charge fort recherchée alors puisqu'elle conférait la noblesse à son titulaire pourvu qu'il l'eût exercée vingt ans, ou qu'il fût mort en étant revêtu.» A partir de 1656, date de sa mort, la noblesse était donc assurée à ses descendants.

Ce n'était cependant qu'une noblesse de robe; suivant l'usage alors constant, les fils de cet Estienne s'appliquèrent à lui donner valeur et qualité de noblesse d'épée, en acquérant des terres nobles. L'aîné, installé dans la châtellenie royale d'Hurigny, non loin de Mâcon, fut la souche de la branche des Lamartine d'Hurigny, qui s'éteignit à la fin du XVIIIe siècle. Le cadet, Jean-Baptiste, donna naissance à la branche des Lamartine de Montceau, qui aboutit au poète. Tous les deux paraissent s'être entendus pour substituer à l'A initial du patronymique un de marquant la qualité : le nom s'écrivit dès lors de Lamartine ou de la Martine.

Conseiller au bailliage de Mâcon, Jean-Baptiste reçut en dot de sa femme la terre de Montceau et fit bâtir sur le domaine de Milly une modeste maison, destinée à l'abriter au temps des vendanges; le curé du lieu la bénit « le 15 juillet 1705, à six heures du soir ». Jean-Baptiste de Lamartine possédait, en outre, presque tous les autres biens qui devaient revenir au patrimoine du poète - notamment l'hôtel et la maison de Mâcon. Son petit-fils, Louis-François, s'efforça d'effacer définitivement à force de prétentions et de splendeur nobiliaires les souvenirs de robe et de demi-roture qui faisaient tache sur l'éclat de la famille. Né en 1711, il porta l'épée pour le roi, au régiment de Tallard-Infanterie et de Monaco, et, après avoir fait la guerre de Succession de Pologne et la guerre de Succession d'Autriche, se retira en 1748 avec le grade de capitaine et la croix de Saint-Louis. En 1749, un heureux mariage avec la fille d'un conseiller au Parlement de Besançon lui apporta d'importants domaines dans le Jura: le château et les bois de Saint-Claude et du Pratz; les forêts du Franois, sapinières étendues sur des centaines d'hectares ; deux usines hydrauliques de fil de fer à Saint-Claude et à Morez, etc.... Les revenus de ces biens furent consacrés à l'arrondissement et à l'embellissement des terres familiales. Le château de Montceau, en particulier, eut la sollicitude de Louis-François : l'ameublement y était magnifique; la bibliothèque (Louis. François était connaisseur en lettres et rimait agréablement; Lamartine rapporte qu'il retrouva une pièce de vers aimable

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où son grand-père avait célébré sa naissance) était garnie de volumes richement reliés, timbrés aux armes de leur propriétaire; dans une salle de spectacle toute neuve, on se donnait le plaisir de jouer la comédie, comme M. de Voltaire à Ferney... Près de Dijon, Louis-François acquit encore le château de Montculot et la seigneurie d'Urcy. C'était un grand seigneur,

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Pierre de Lamartine, chevalier de Pratz, père du poète.

et qui, pour établir solidement sa noblesse, ne balança pas de recourir à des grattages et lavages chimiques sur les registres paroissiaux ; il réussit ainsi à gagner un quartier et à faire reculer sa qualité jusqu'aux premières années du XVIIe siècle '.

Ce gentilhomme de belle allure eut trois fils. L'aîné, FrançoisLouis, né en 1750, dut renoncer aux armes et au mariage à cause de la délicatesse de sa santé. Le cadet, Jean-Baptiste,

1. Voir, sur cette amusante falsification, le livre de M. Pierre de LACRETELLE, PP. 14-16.

selon l'usage, était entré dans les ordres. L'avenir de la race était donc remis au troisième fils, Pierre de Lamartine, né le 21 septembre 1751, qui, dès sa jeunesse, pour se distinguer à Mâcon de son aîné, avait reçu le titre de « Chevalier de Pratz ». C'est de lui que naquit le poète.

Sa mère s'appelait Alix des Roys. Fille de Jean-Louis des Roys, bourgeois de Lyon et intendant des domaines de la maison d'Orléans, elle appartenait à une famille originaire de l'Auvergne, dont tous les membres, depuis le xvIe siècle,

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furent juristes ou avocats. Cette famille demeura jusqu'au XVIIIe siècle, au bourg de Montfaucon, près du Puy, à seize kilomètres d'Yssingeaux, vouée à des besognes utiles et sans gloire. L'un de ces honnêtes gens, le plus reculé qu'on puisse atteindre, Denys des Roys, « vénérable et discrète personne », y vivait vers 1480, et y rédigea, en 1528, un testament où respire moins la crainte de la mort que le plus sain et le plus candide amour de la vie :

Avant toute œuvre, y disait-il, je rends à Dieu mon créateur grâces de ma nativité, corps et membres dont il m'a créé, des

...

cinq sens qu'il m'a prestés, des beaux enfants qu'il m'a donnés,” et de tous les biens qu'il lui a pleu me donner durant ma vie en ce monde.... »

Des deux côtés, donc, l'ascendance de Lamartine est constituée par une suite d'honnêtes gens, attachés à leur métier et à leur sol; après avoir cheminé plus ou moins obscurément; après s'être enrichies plus ou moins patiemment, les deux familles prennent soudain de l'éclat, au milieu du XVIIe siècle, dans la personne des grands-pères paternel et maternel du poète. Celui-ci est l'aboutissement de longs efforts, de tenaces et intelligentes ambitions.

M. de Lacretelle constate avec raison qu'à ses pères « établis de longue date dans les régions mêmes où ils demeurèrent jusqu'à la fin du xvme siècle, » Lamartine doit sans doute « cet intense et pénétrant sentiment de la terre natale, qui est une des notes dominantes de sa poésie »-et que son éducation, d'ailleurs, épanouira.

Ne leur doit-il pas autre chose ? Dans l'ennui qui occupe l'arrière-fond de son âme, et qui, sous tant d'apparente et multiple ardeur, le dévora toute sa vie, n'entre-t-il pas, comme dans celui de Chateaubriand, un peu des mélancolies obscures de tant de « bourgeois, magistrats et capitaines aux destinées trop sédentaires, un peu des tristesses de tant de cadets non mariés et de filles vouées aux cloîtres ?...

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A l'origine du mariage qui unit Pierre de Lamartine, chevalier de Pratz, à Mile Alix des Roys, on trouve un agréable roman d'amour.

Née à Lyon le 8 novembre 1770, la jeune fille fut d'abord élevée par sa grand'mère paternelle : car sa mère était retenue à Paris, au Palais-Royal, par ses fonctions de gouvernante des enfants d'Orléans; et son père, intendant de la même famille, accomplissait de longs et de fréquents voyages. A quatorze ans, elle fut admise au chapitre noble de SaintMartin de Salles, en Beaujolais, où le duc d'Orléans « avait la nomination d'un certain nombre de dames » 1. Ce couvent, comme beaucoup d'autres, vers la fin de l'Ancien Régime, était un peu austère séjour; chaque élève y habitait avec une « mère dans une petite maison ornée d'un jardinet. Alix des Roys y demeura jusqu'en 1789; elle allait seulement passer chaque année deux mois à Paris auprès de ses parents. Elle s'y lia d'amitié avec une de ses compagnes, qui s'appelait, au chapitre, Mme de Villard, mais qui était née Marie-Suzanne 1. LAMARTINE, Confidences.

de Lamartine... et qui était la sœur du chevalier de Pratz. Celui-ci, comme il est naturel, venait souvent rendre visite à

La maison natale de Lamartine,

à Mâcon.

sa sœur; près d'elle il vit Alix des Roys; il la vit, telle qu'elle se peignit plus tard de souvenir dans son Journal intime, « simple, jolie, fraîche, plaisant à tout le monde... Il fut d'abord charmé, et bientôt il aima.

Entré au service dès l'âge de seize ans, Pierre de Lamartine, en 1788, en avait trente-six'; il était capitaine de cavalerie au Régiment Dauphin. Son brillant uniforme l'aida peut-être à produire sur la jeune fille une impression qu'elle nota ainsi plus tard: «J'ai aimé en lui cette noble expression, cette grâce un peu militaire, cette franchise du regard et cette fierté qui ne semblait s'adoucir que pour moi 2, »

Le père du chevalier, malheureusement, refusa d'abord son autorisation au projet de mariage. Il trouvait la dot de la jeune fille un peu mince. Toute une année il demeura inflexible. C'est seulement en octobre 1789, lorsque, grâce à une petite ruse de sa fille Suzanne, il eut été contraint d'offrir une hospitalité de vingt-quatre heures

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Mme des Roys et à l'aimable Alix, qu'il accorda son consentement; la grâce de la jeune fille avait triomphé de ses pré

1. Il naquit à Mâcon, le 21 septembre 1752, et fut baptisé le lendemain. (Archives Municipales de Mâcon, G. G. 75, p. 178).

2. Le Manuscrit de ma mère, p. 296.

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