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Le temps avec la mort, d'un vol infatigable,
Renouvelle en fuyant ce mobile univers!
Dans l'éternel oubli tombe ce qu'il moissonne :
Tel un rapide été voit tomber sa couronne

Dans la corbeille des glaneurs ;

Tel un pampre jauni voit la féconde automne
Livrer ses fruits dorés au char des vendangeurs !
Vous tomberez ainsi, courtes fleurs de la vie !
Jeunesse, amour, plaisir, fugitive beauté !

Beauté, présent d'un jour que le ciel nous envie,
Ainsi vous tomberez, si la main du génie
Ne vous rend l'immortalité !

Vois d'un œil de pitié la vulgaire jeunesse,
Brillante de beauté, s'enivrant de plaisir !
Quand elle aura tari sa coupe enchanteresse,
Que restera-t-il d'elle ? à peine un souvenir :
Le tombeau qui l'attend l'engloutit tout entière,
Un silence éternel succède à ses amours;
Mais les siècles auront passé sur ta poussière,
Elvire, et tu vivras toujours!

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35. Le temps avec la mort. Lamartine accepte, et sauve, par l'harmonie et l'ampleur de sa période, l'allégorie traditionnelle qui attribue au temps des ailes et un glaive (comparer Immortalité, v. 14-18).

40-41. Ce n'est point ici l'automne romantique, mais la saison classique de l'abondance des fruits.

42. Courtes. Pour brèves.

42. Sa coupe.

note au v. 1.

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Voir Nouvelles Méditations: le Poète Mourant,

53. On songe aux beaux vers de M.-J. Chénier sur Homère : Trois mille ans ont passé sur la cendre d'Homère, etc...

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Titre de la Quatrième Édition des Nouvelles Méditations (1825).

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L'Avertissement des Méditations Poétiques contenait expressément la promesse d'un second recueil; l'apparition n'en était subordonnée qu'au succès du premier. Les « Nouvelles Méditations » auraient dû, semble-t-il, suivre les autres à quelques semaines seulement d'intervalle. Le même avertissement donnait en effet aux lecteurs l'impression que le poète tenait en réserve un grand nombre de vers du même ton et de la même valeur que ceux qu'il offrait, non sans quelque timidité, à titre d'essais; consacré par l'unanime admiration, il n'avait qu'à puiser dans ses tiroirs. Ses amis ne paraissent point en avoir douté ; et Lamartine entretenait leur illusion. N'écrivait-il point, par exemple, à Mme de Raigecourt, dès le 28 avril 1820: «... Je prépare un second volume qui me réparera aux yeux des impartiaux, et j'y donnerai moins prise à la critique de mots que dans celui-ci, dont le succès m'humilie... »

Ce qu'il préparait, en ces derniers jours d'avril 1820, c'était uniquement son mariage, et son entrée effective dans la carrière diplomatique. L'une et l'autre l'empêchèrent jusqu'à la fin de l'année de penser sérieusement à former un nouveau recueil.

A Naples, au reste, sous le ciel ensoleillé, il se sentit accablé, par l'excès même du bonheur, d'une sorte de langueur peu propice à la production poétique. Jusqu'au début de l'année 1823 il ne cessa de se plaindre, dans sa Correspondance, de cette sorte d'affaiblissement de l'âme et de l'inspiration, dont il tenta de tirer la philosophie dans l'Esprit de Dieu et dans les Adieux à la poésie...

Puis, il se défie de son éditeur... De Naples, en 1820, il s'énerve, et s'indigne de n'en recevoir que peu d'argent, bien que les éditions des Méditations se renouvellent; Genoude, cependant, à Paris, s'est entremis; il a obtenu que Nicolle exécute ses engagements antérieurs, et qu'il fasse des promesses raisonnables pour l'avenir.

Néanmoins, c'est seulement deux ans après que Lamartine signe, pour la publication de ce second volume si attendu, un

1. Sur la genèse, la formation et la publication de ce recueil, voir dans la Revue des Deux Mondes du 15 septembre 1923: le Centenaire des Nouvelles Méditations, par Maurice LEVAILLANT. L'auteur de cet essai se réserve de développer quelques-unes des indications qu'il y a données, et qui seront reprises dans ce chapitre, en une prochaine édition critique des Nouvelles Méditations.

traité définitif ; et il ne le signe point avec Nicolle ou le successeur de celui-ci, Gosselin, mais avec un autre éditeur, Urbain Canel. Il en informe Virieu le 15 février 1823 : « ... Je viens de vendre 14.000 francs comptant mon deuxième volume de Méditations, livrable et payable cet été. » Il ajoute Ayant vendu mon livre, il a bien fallu le faire, et je m'y suis donc mis depuis quelques jours. Cela va grand train. J'ai déjà environ le nombre de vers spécifié, à peu de choses près...

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Mais en même temps, et ces jours-là même, il s'est mis aussi à la Mort de Socrate, qui, peu à peu, l'accapare. C'est surtout à Saint-Point, à partir du mois de mai, qu'installé dans sa tour, il repense à son recueil. Il craint d'abord de ne pouvoir le terminer à temps... Je ne puis encore m'occuper de mon volume, et je doute qu'il soit présentable à l'époque...» (Lettre du 4 mai 1823, à Virieu.) Mais il écrit le 6 août : « J'ai fini mon deuxième volume. Je l'envoie ces jours-ci à Paris. Il ne l'y envoya point; il l'y porta, quelques jours après, le 20 août, et en surveilla lui-même la rapide impression. Le Journal de la Librairie annonçait le 27 septembre l'éclosion des Nouvelles Méditations poétiques.

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Ce recueil n'est donc pas, comme l'était le premier pour la plus grande part, le fruit d'une sorte de génération spontanée ; il n'a pas été conçu par une pensée unique, qui en pénétrerait toutes les parties. Sa composition est, au contraire, artificielle. Lamartine le publia parce qu'on attendait de lui un second chef-d'œuvre après le premier, et qu'il ne pouvait raisonnablement se soustraire trop longtemps à l'attente. Pouvait-il également échapper à la tyrannie d'un titre qui avait triomphé? Le public ne l'aurait pas compris, s'il avait donné autre chose que des « méditations ».

Mais, en réalité, la plupart des poèmes de son second recueil sont des élégies, des odes ou des stances; seuls peut-être le Passé, la Solitude, le Poète Mourant, la Liberté rappellent l'original mélange de réflexion et de sentiment qu'on avait admiré dans Dieu ou l'Immortalité. Bonaparte est une ode poétique; le groupe des pièces inspirées à Naples par Mme de Lamartine (Ischia, le Chant d'Amour, le premier thème des Préludes) est fait d'élégies où une vague tristesse tempère l'inspiration voluptueuse; Apparition et le Crucifix évoquent le fantôme d'Elvire et les douleurs du passé au milieu des langueurs d'un présent plus heureux; les Préludes sont un large essai de virtuosité poétique; les autres poèmes sont, ou bien des pièces de circonstance, ou bien des morceaux empruntés par Lamartine à ces manuscrits de sa jeunesse, antérieurs aux Méditations, et qu'il n'avait jamais brûlés que par métaphore dans l'ébauche de la tragédie de Sapho, dans les élégies de 1816, dans le poème épique sur Clovis, dans l'infortuné Saül, qu'il renonçait encore à publier intégralement, le poète avait puisé à larges mains indulgentes...

Le tout se présentait encadré entre deux odes d'une belle venue:

l'Esprit de Dieu indiquait, au début, que le poète n'est qu'un instrument sous le souffle divin et qu'il ne vibre qu'au gré du suprême inspirateur; dans les Adieux à la Poésie, à la fin, Lamartine semblait annoncer un silence prolongé; il promettait des chants seulement « pour sa seconde jeunesse ».

La disposition même de ces deux poèmes indiquait aux lecteurs dans quel esprit ils devaient aborder et méditer le recueil. Le poète ne leur offrait que des chants épars, conçus au gré des circonstances: la préface accentuait cette impression, que la présentation typographique éclairait encore; il ne s'agissait, pour beaucoup de pièces, que de « fragments », soit que l'auteur eût égaré dans ses voyages un certain nombre de ses manuscrits, soit même qu'il n'eût jamais pris la peine de terminer les « morceaux plus étendus » qu'il avait projeté d'écrire ; aussi de nombreux points de coupure et de suspension tiennent-ils, dans l'édition originale, des demi-pages entières; une strophe même du Chant d'Amour est coupée en son milieu et laissée suspendue...

Par ces précautions et ces artifices, Lamartine voulait donner à son second recueil un caractère d'improvisation et de décousu qu'il croyait de nature à en faire mieux passer certaines faiblesses. Il se rendait compte que le public allait être déconcerté.

M. J. des Cognets a fort justement reconstitué l'étonnement des contemporains : « On éprouve quelque gêne. Parfois il semble que l'on voie passer les mêmes fleurs, tour à tour, de la tombe des mortes sur le sein des vivantes. Et pour accroître la confusion, derrière la page même où dans une strophe sublime le Christ enseigne à mourir, Épicure prêche encore le plaisir et les roses... Certes, cela ne prouve rien contre la sincérité du poète, puisqu'il composa ces pièces discordantes à des époques diverses de sa pensée et de sa vie. Mais il y avait quelque témérité à ranger sous le même titre des vers d'inspiration trop variée sans avertir le lecteur en aucune façon. Le public en fut désorienté... » Cette impression est traduite dans toute sa fraîcheur par un excellent juge. A. de Vigny écrivait à V. Hugo, le 3 octobre:

«... Quant aux Nouvelles Méditations, certes l'ensemble est fort inférieur aux premières : le ton est désuni, et l'on a l'air d'avoir réuni toutes les rognures du premier ouvrage et les essais de l'auteur depuis qu'il est né. Je ne puis croire qu'il ait présidé à cet arrangement... Cependant, et je le dis avec vérité, je ne crois pas que M. de Lamartine ait rien fait qui égale les Préludes et les dernières strophes surtout, Bonaparte et le Chant d' Amour. Il y a en général dans ses ouvrages une verve de cœur, une fécondité d'émotion qui le feront toujours adorer, parce qu'il est en rapport avec tous les cœurs. Il ne lui reste plus qu'à l'être avec l'esprit par la pureté, et avec les yeux dans les descriptions.

1. Ouvrage cité, p. 136.

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