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Millevoye, d'autre part, dans une pièce célèbre la Chute des Feuilles, avait, en 1815, associé au deuil de la nature, la tristesse du jeune poète qui se sait mourant, et qui pleure de quitter la vie : De la dépouille de nos bois

L'automne avait jonché la terre....

Il n'est point niable que Lamartine se soit inspiré de ses deux prédécesseurs; mais il a donné à ses stances une sérénité apaisée et calme, une largeur d'harmonie qui lui appartiennent en propre. Cette méditation, à son tour, est le point de départ de toute une littérature poétique, qui aboutit, dans la seconde moitié du xixe siècle, au lied fameux de Verlaine :

Les sanglots longs

Des violons

De l'automne

Bercent mon cœur
D'une langueur
Monotone...

Salut bois couronnés d'un reste de verdure !
Feuillages jaunissants sur les gazons épars!
Salut, derniers beaux jours! le deuil de la nature
Convient à la douleur et plaît à mes regards!

Je suis d'un pas rêveur le sentier solitaire,
J'aime à revoir encor, pour la dernière fois,
Ce soleil pâlissant, dont la faible lumière
Perce à peine à mes pieds l'obscurité des bois !

Oui, dans ces jours d'automne où la nature expire,
A ses regards voilés je trouve plus d'attraits;
C'est l'adieu d'un ami, c'est le dernier sourire
Des lèvres que la mort va fermer pour jamais!

Ainsi, prêt à quitter l'horizon de la vie,
Pleurant de mes longs jours l'espoir évanoui,

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1. M. Lanson indique, comme une source possible de ce vers, le vers suivant, de Baour-Lormian :

L'automne....

Dépouille les coteaux d'un reste de verdure.

(OSSIAN.)

14. De mes longs jours. C.-à-d., pleurant de voir s'évanouir l'espoir que j'avais, de vivre de longs jours.

Je me retourne encore, et d'un regard d'envie
Je contemple ses biens dont je n'ai pas joui.

Terre, soleil, vallons, belle et douce nature,

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Je vous dois une larme aux bords de mon tombeau !
L'air est si parfumé ! la lumière est si pure!
Aux regards d'un mourant le soleil est si beau !

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Je voudrais maintenant vider jusqu'à la lie

Ce calice mêlé de nectar et de fiel!
Au fond de cette coupe où je buvais la vie,
Peut-être restait-il une goutte de miel ?

Peut-être l'avenir me gardait-il encore

Un retour de bonheur dont l'espoir est perdu ? Peut-être, dans la foule, une âme que j'ignore Aurait compris mon âme et m'aurait répondu ?...

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La fleur tombe en livrant ses parfums au zéphire;
A la vie, au soleil, ce sont là ses adieux;
Moi, je meurs; et mon âme, au moment qu'elle expire,
S'exhale comme un son triste et mélodieux.

16. Ses biens. Les biens de la vie ; grammaticalement, ses renverrait plutôt à espoir ou à horizon.

17-20. On doit reconnaître ici comme un écho des strophes fameuses du poète Gilbert: Adieux à la vie :

Salut, champs que j'aimais, et vous, douce verdure,
Salut pour la dernière fois!

22. Ce calice. L'image vient des Évangiles: Mon Père... éloignez ce calice de moi... » Mais elle est suggérée par la comparaison plus courante de la vie à une coupe qu'on vide en un banquet. Voir, au chapitre VII, dans les Nouvelles Méditations, Le Poète mourant, vers 1.

27. Transposition poétique des déclarations conservées dans les lettres qu'en août 1819 Lamartine écrivait à sa fiancée, Mule Birch : « J'ai assez souffert, le ciel me garde en fin du bonheur... J'entrevois enfin l'avenir le plus doux et le plus riant, j'ai trouvé une âme qui répond en tout à la mienne... >>

CHAPITRE VI

DES MÉDITATIONS

AUX NOUVELLES MÉDITATIONS

(mars 1820-septembre 1823.)

LE MARIAGE DU POÈTE

Au printemps de 1819, lors d'un bref passage à Chambéry, Lamartine avait été présenté par Louis de Vignet chez la marquise de La Pierre, qui habitait avec ses filles une belle maison de campagne dans un faubourg de la ville. Là, il avait rencontré Mile Marianne-Élisa Birch, fille unique d'un major de la milice anglaise, dont la mère, veuve depuis plusieurs années, s'était liée à Londres pendant l'émigration avec Mme de La Pierre... Très sensible aux arts et à la poésie, bonne musicienne et aquarelliste de quelque talent, Mile Birch avait entendu réciter par Louis de Vignet des poèmes de Lamartine; elle les avait admirés; et elle avait exprimé le désir de connaître leur auteur. L'ayant vu, elle se prit à l'aimer ; et c'est ainsi la poésie qui prépara le mariage du poète.

Lui, cependant, ne paraît avoir éprouvé d'abord qu'une sympathie superficielle pour la jeune fille. Assez âgée déjà

elle avait, semble-t-il, alors, vingt-huit ans, c'est-à-dire tout juste un an de moins que Lamartine 1— elle ne possédait guère de beauté véritable, mais un « extérieur gracieux », un esprit à la fois solide et poétique, des manières simples, un charme qu'avivait une pointe d'exotisme dans l'allure et dans le langage. C'est seulement dans l'été suivant que Lamartine découvrit tous ces agréments. Las lui-même de sa vie incertaine et de son cœur troublé, il désirait trouver la paix dans le mariage, et « s'enchâsser enfin dans l'ordre établi ». Au début d'août, il vint à Aix, où les dames Birch étaient installées pour la saison des eaux avec la marquise de La Pierre et ses filles ; le 14, il écrivait à Mile Birch une première lettre où il déclarait

1. D'après son contrat de mariage, elle était née en France dans la ci-devant province du Languedoc ; mais où ?... Lamartine semble bien ne l'avoir jamais su, non plus que la date exacte de sa naissance.

un amour qu'il sentait approuvé : « Si je puis me croire assez heureux, affirmait-il, pour que vous partagiez seulement en silence les sentiments que vous avez fait naître, rien ne me coûtera pour parvenir au terme de mes vœux que je pourrai croire les vôtres. Nous aurons sans doute des deux côtés des obstacles d'égale force, mais aucun obstacle ne peut être aussi fort que le sentiment qui me guide... » 1.

Les obstacles, en effet, furent nombreux. Ils vinrent d'abord des amis mêmes: Mlle de La Pierre- guidée peut-être par quelque obscure jalousie s'avisa de peindre Lamartine à Mile Birch, qui l'avait prise pour confidente, sous les couleurs d'un homme inconstant et volage; Louis de Vignet, épris secrètement de Mlle Birch, se hasarda de la disputer à Lamartine. Mais l'amour de la jeune fille fut le plus fort; elle découragea Louis de Vignet ; elle ferma l'oreille aux propos de la médisance et manifesta envers Lamartine une confiance absolue.

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Rentré à Mâcon et à Milly, celui-ci gagna facilement sa mère à ses projets ; il eut plus de mal à vaincre l'opposition de son père et de son oncle car Mile Birch était protestante. Il calma cependant les scrupules, obtint que son père envoyât une demande en mariage officielle : hélas ! Mme Birch Anglaise puritaine et pratique répondit par un refus formulé en termes assez discourtois. Deux raisons, surtout, le motivaient : Lamartine n'avait ni emploi, ni fortune! Si cet échec l'attrista c'est pendant le mois d'octobre 1819 qu'il composa l'Homme et l'Automne il ne le découragea point car Mile Marianne lui avait écrit que ses sentiments envers lui n'étaient point changés, et qu'en fille aussi solide de tête que de cœur « elle tiendrait ferme ». Bientôt même, elle annonça qu'elle se ferait catholique comme l'était son fiancé. Que Lamartine seulement, de son côté, travaillât à améliorer sa situation! Il y tâcha presque aussitôt. Le 15 décembre,il partait pour Paris où il mettait en mouvement tous ses protecteurs afin d'obtenir qu'on le pourvût enfin d'une place dans la diplomatie.

Dès le 5 janvier 1820, il écrit à sa fiancée « qu'il espère, avant six semaines, lui donner quelque certitude. » Survint sa grande maladie. Quand il en releva, il apprit le 1er mars qu'il allait être nommé attaché à l'ambassade de Naples ; dès le lendemain, il adressait à Mme Birch « une seconde sommation » en lui anonçant la bonne nouvelle ; il ajoutait que ses appointements, augmentés d'une rente de 2.500 francs que lui cons

1. Les lettres de Lamartine à sa fiancée ont été publiées par M. René DOUMIC dans deux articles de la Revue des Deux Mondes (aoûtseptembre 1905), où on trouvera l'histoire détaillée du mariage du poète.

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(D'après

Miss Marianne-Élisa Birch, par elle-même. une aquarelle appartenant à Me de Sennevier.)

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