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Ces crises de rhumatisme furent le grand mal physique dont Lamartine souffrit pendant sa vieillesse. Dargaud peint ainsi les promenades qu'il faisait alors au bras de sa nièce : «Elle sourit... d'un sourire énigmatique de princesse qui dissimule plus d'un sanglot. M. de Lamartine s'avance en lui donnant le bras. Hélas! il n'a plus la souplesse, l'élan d'autrefois. Il ne caracole plus sur un cheval fougueux au milieu d'une nuée de levrettes: non; sa démarche hésite, et néanmoins elle est encore harmonieuse dans sa lenteur. Sa grande taille a un peu fléchi. Nul homme n'est plus naturel et toutefois plus imposant. Une grâce aisée tempère en lui la grandeur et le distingue avec autant de séduction que lorsqu'il était jeune. Il n'a plus cependant les cheveux blonds et lumineux d'Apollon; il a les cheveux blancs comme Homère. Son aspect n'en est pas abaissé... Il ne resplendit pas moins, sous je ne sais quoi de sacré et de divin... »

Une tristesse tantôt morne, souvent aiguë, le tourmentait. Un jour en arrivant chez Émile Ollivier, il s'écrie : « Mon cher, voulez-vous voir l'homme le plus malheureux qui existe? regardez-moi. Le jour, c'est supportable, mais les nuits, les nuits! Je me serais tué si je n'avais pas cru en Dieu !... »

Dans cette fin de vie douloureuse, tous les grands rêves semblaient avoir avorté; une exceptée, les affections avaient sombré dans la mort. La gloire seule restait; mais la gloire à cette heure-là, que valait-elle ?...

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Le chalet de Passy où mourut Lamartine.

(D'après l'Univers illustré.)

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Jusqu'au dernier jour, les soucis d'argent redoublèrent. Pour y faire face, Lamartine usa de toutes les ingéniosités; la nue-propriété littéraire de ses Euvres Complètes fut cédée à une Société composée d'admirateurs et d'amis, en échange d'une rente viagère; avec l'autorisation de l'Empereur, qui s'inscrivit en tête de liste pour 25.000 francs, une « souscription nationale» fut ouverte au bénéfice du poète, qui avait sauvé l'ordre en 1848; elle a échoua misérablement ; des amis dévoués organisèrent des loteries « par lesquelles le château de Monceau qui n'avait pu trouver d'acquéreur dans une mise en vente récente eût produit de quoi solder d'un coup tous les créanciers... » Et, pour obtenir ou pour faire renouveler les autorisations, le grand homme, « dans les antichambres de 1. Mme Émile OLLIVIER. Valentine de Lamartine.

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M. Rouher » - « le vice-empereur » comme on disait alors << attendait comme un simple solliciteur et ne passait qu'à sɔn tour. » C'étaient les derniers expédients; ils avortèrent.

L'appartement de la rue de là Ville-l'Évêque devenait trop coûteux. Napoléon III, avec une bienveillance toujours pleine de courtoise discrétion pour l'homme dont il avait en vain sollicité le concours en 1852, obtint de la ville de Paris qu'elle lui concédât « l'usage d'un chalet situé à la lisière du bois de Boulogne, à l'extrémité de l'avenue de l'Empereur : demeure modeste ayant l'aspect d'une vieille ferme, et dont le seul agrément était un ravissant jardin, fort bien entretenu.. » 1 Enfin, en 1867, l'Empereur, qu'un premier refus n'avait pas rebuté, proposa au Corps législatif de voter pour Lamartine une récompense nationale, sous la forme d'une rente de 25.000 francs. Rente insaisissable, dont le capital devait revenir, après la mort du poète, à ses héritiers. Émile Ollivier, l'un des plus fervents admirateurs de Lamartine, devenu depuis quelques années son intime confident, et le témoin de ses misères, obtint de faire le rapport devant l'assemblée ; c'est grâce à ses généreux efforts que la commission chargée de l'examen préalable du projet de loi le vota à une voix seulement de majorité 2. Le rapport était un magnifique hommage au génie de l'homme et du poète ; il débutait ainsi : Mon rapport pourrait être fait en un mot : la nation française accorde une récompense nationale à Lamartine. Que peut-on ajouter qui soit digne d'un tel nom ?... » Votée aussitôt, la loi ne comportait que cet article :

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«

Il est accordé, à titre de récompense nationale, à M. Alphonse de Lamartine, une somme de cinq cent mille francs, exigible à son décès, et dont les intérêts à 5 pour 100 lui seront servis pendant sa vie. Cette somme, en principal et intérêts, sera incessible et insaississable jusqu'au décès de M. de Lamartine.

Le lendemain, Émile Ollivier recevait cette lettre :

« Paris, 12 avril 1867.

« Mon cher ami, je savais par l'écho public depuis hier soir la sublime magnificence de votre rapport ; moi

1. Le square Lamartine", contigu à l'avenue Henri Martin, en occupe aujourd'hui l'emplacement; la ville de Paris y a élevé une statue au grand poète.

2. Une noble reconnaissance se trouve au début de l'amitié vouée par Émile OLLIVIER à Lamartine. A vingt-deux ans, en 1848, il avait été nommé par le poète commissaire du gouvernement à Marseille.

je ne vous remercie pas du rapport, mais de son envoi. Vous avez été trop bienveillant pour moi pour que je puisse vous rendre grâce. J'en trouverai mille autres occasions; je vous remercie de m'avoir jugé comme vous le dites; si vous le disiez moins, j'oserais dire davan-tage, mais vous ne me laissez d'autres ressources que le silence; laisser battre mon cœur et faire taire ma voix, voilà mon seul remerciement; recevez-le et croyez à tout ce que je ne dis pas.

:

« LAMARTINE. »

Désormais à l'abri du besoin, Lamartine ne cessa point cependant de publier le Cours Familier; il fallait jusqu'au bout désintéresser ses créanciers. Mais bientôt, son énergie céda vers le début de 1868, une immense lassitude morale et physique l'envahit; il sombrait souvent dans la taciturnité d'un sombre désespoir. Seule, l'affection de sa nièce le consolait; Antigone obstinée, elle était à la fois son infirmière et sa secrétaire. Le soir, pour l'aider à trouver le sommeil qui le fuyait pendant des heures, elle lui lisait, à haute voix, toujours les mêmes livres : l'Imitation, les Lettres de Cicéron, la Correspondance de Voltaire, l'Histoire du Consulat et de l'Empire, des récits de Voyages au Pôle Nord.

Souvent, le jour, il s'enfonçait en de longues méditations muettes : « J'ai bien gagné le droit de me taire ! » répondait-il farouchement aux interrogations de sa nièce. « On eût dit, raconte E. Ollivier, qu'ayant lui-même délié son âme, il attendait, spectateur silencieux, qu'elle prît son vol. » Il avait des absences d'esprit déconcertantes : « Un de ses amis ayant lu à haute voix devant lui la Mort de Laurence, de Jocelyn, il fondit en larmes ! De qui sont ces beaux vers, demanda

t-il ?... » 1

La fin arriva très douce, après quelques jours d'une lente agonie, le matin du 28 février 1869 : autour du petit chalet, toute la nuit, le vent avait soufflé en tempête. « L'abbé Deguerry (le curé de La Madeleine), le futur martyr de la Commune, était venu apporter au héros de 1848, les consolations chré

tiennes. »

Le crucifix d'Elvire était à son chevet. « Il quitta la vie avec simplicité, sans autre adieu qu'un vaillant sourire. Couché dans le grand lit en bois de rose, il avait appuyé sa

1. Mme E. OLLIVIER,

2. C'est lui, déjà, qui, en 1848, avait assisté les deraiers moments de Chateaubriand.

tête sur l'épaule de Valentine. Son dernier regard caressa les portraits suspendus au mur : sa mère, sa femme, sa fille. Ses mains pâles jouaient avec les grains transparents d'une grappe éclairée par la lampe. Insensiblement il s'évanouit dans la mort, comme une flamme dans le grand jour.

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LES OBSÈQUES. Valentine de Lamartine, pour se conformer aux intentions de son oncle, refusa les funérailles nationales que l'Empereur avait aussitôt offertes. Le corps du poète fut emmené sans retard à Saint-Point. De la maison mortuaire jusqu'à la gare un maigre cortège le suivit : « On était une trentaine à part la députation de l'Académie, composée de Jules Sandeau, et Émile Augier, trois écrivains : de Laprade, Alexandre Dumas fils, Louis Ratisbonne; un seul homme politique, Émile Ollivier. Pas un républicain, pas un membre du Gouvernement provisoire. »

L'homme qui avait connu tant d'acclamations populaires s'en allait dans un cortège d'oublis.

A Mâcon, au contraire, et à Saint-Point, les regrets spontanés du peuple que Lamartine avait tant aimé, se manifestèrent noblement. Émile Ollivier rendit compte de la cérémonie,

1. Des COGNETS ouvr. cité,

2. Mme E. OLLIVIER,

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