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tion, et il fallait alors en venir à la peine de l'exclusion, mesure dangereuse par le temps qui courait; car les classes ne se vidaient que trop d'elles-mêmes. Le préfet ne faisait guère qu'enregistrer des absences, des départs et des décès: abest, - abiit, - àbest morbi causâ, anno fere integro morbo detentus, defunctus, vita functus, etc. Et, comme si le collège eût joué de malheur, plusieurs de ses écoliers se noyaient à l'époque des bains froids; des professeurs tombaient malades; quelques-uns même succombaient à la peine. Les classes devaient nécessairement en souffrir. Mais l'Oratoire n'en était pas cause; c'était la faute des temps qui étaient durs au delà de toute expression: quod quidem factum videtur non professorum culpá sed temporum quæ hoc anno (1709) quam aspera fuerint vix dici potest.

Les Pères toutefois triomphèrent de cette situation difficile à force d'énergie et d'habileté. A la façon des empereurs romains, qui calmaient les frémissements de la multitude en la tenant occupée par des spectacles, ils parvinrent à donner le change à leurs écoliers en multipliant les exercices littéraires et les représentations dramatiques. Ce qu'on peut croire difficilement aujourd'hui, c'est que ce furent précisément les années où la mort fit le plus de ravages au collège qu'on sembla s'y divertir le plus'. En 1706, la muse dramatique, muette depuis longtemps, fit sa réapparition sur le théâtre de la maison, et tel fut l'accueil enthousiaste qu'elle reçut qu'il lui fallut se faire entendre deux fois par an au lieu d'une 2.

On atteignit ainsi la fin de la guerre de la succession d'Espagne. La victoire de Denain arriva à temps pour le collège; car la tragédie latine n'en pouvait plus, tant les auteurs et les acteurs avaient été surmenés 3. Villars dénoua d'un coup d'épée une situation quelque peu embrouillée. Les muses de l'Oratoire quittèrent la tragédie pour le dithyrambe, et, pendant trois années de suite, maîtres et élèves ne cessèrent de célébrer Villars, Denain et la paix d'Utrecht. Leurs louanges étaient sincères et leur joie devait se traduire autrement qu'en latin. Le 3 juillet 1713, le collège donna, à l'occasion de la paix d'Utrecht, un grand feu d'artifice. On vit défiler auparavant dans la cour une compagnie de milice, à la suite de laquelle marchaient les pensionnaires et les écoliers, l'épée nue à la main, au bruit de tambours et de trompettes joués par des Polonais qui étaient alors à Troyes*.

1. Vers le même temps (1710), M" de Maintenon disait: - « Tout est possible à Paris, parce qu'il y a la comédie et du pain. »

2. Ce fut aussi dans ces malheureuses années que fut fondée la petit. académie de rhétorique (1708-1709). - Il fut une création bien plus importante, dont parle à peine l'annaliste du collège. En 1708 le P. Vinot de l'Oratoire fonda au collège une classe de sixième par une donation de 4.000 livres.

3. Ea fuit tragoediarum multitudo, ut jam apud omnes viluerint... tragœdiæ igitur ad biennium proferantur. Actorum enim penuria id exigit. (Cat. scol., t. II, 1711-1712.)

4. Babeau, les Fêles de la paix à Troyes, 1877.

1

Le collège toutefois n'était pas arrivé au terme de ses épreuves. Le malheur ne cessa de le poursuivre, même après la conclusion de la paix et les funérailles du grand roi. La mort continua de moissonner ses meilleurs élèves ; la maladie frappa les principaux de ses régents; la théologie acheva de perdre ses derniers écoliers 2; les philosophes se dispensèrent de soutenir leurs thèses de fin d'année; les Muses elles-mêmes se turent, en 1718, dans les classes d'humanités, pour la plus grande honte de l'Oratoire : l'année suivante, deux tragédies tombèrent l'une après l'autre, victimes de l'impatience du public qui enfonça les portes de la salle et prit le théâtre d'assaut. Pour comble de malheur une partie du collège brûla.

Le feu prit le 16 mars 1717, vers les neuf heures du matin dans la chambre d'un régent, par l'imprudence de quelques écoliers qu'on avait envoyés pour se chauffer. Tous les bâtiments auraient été la proie des flammes sans le dévouement du cafetier Duhalle3. Grâce aux secours qui arrivèrent de toutes parts, on n'eut à déplorer que la perte de l'aile qui fongeait la rue de l'Étrille.

Les élèves en furent quittes pour un congé forcé de huit jours, et l'héroïque cafetier pour un beau poème latin où les collégiens célébraient hautement son courage en face de la mort :

Nec tu terreris præsenti morte, Duhalle...

Quand ils eurent fait disparaître les traces les plus encombrantes du désastre, les oratoriens réinstallèrent provisoirement leurs classes dans la grande salle des actes et dans leurs propres chambres à coucher.

A la fin de l'année, grâce à la générosité de la municipalité et aux quêtes organisées par le clergé, le mal était complètement réparé. Les classes avaient une apparence d'élégance qui leur avait été jusqu'alors inconnue. Les chambres avaient été refaites à neuf avec tout le confortable nécessaire. On avait soigné surtout la construction des cheminées de manière à éviter le retour d'un pareil malheur 5.

4. L'Oratoire savait, en certaines circonstances, pleurer ses élèves : - « Hoc anno (1717-1718), obiit Edm. Fr. de Mesgrigny, clericus, canonicus Ecclesiæ, convictor noster et rhetor... Obiit et Fr. Silvestre, clericus, rhetor quoque. Is magnum sui desiderium reliquit, tum propter pietatem non fucatam, tum propter diligentiam admirabilem et scientiam. Clerici nostri omnes collegii mortuo amantissimo studii sui significationem præbuerunt. Solemnibus enim exsequiis ipsi parentaverunt. »> Catalogus scolasticorum.

2. Theologia siluit propter scolasticorum penuriam (1716-1717, 1717-1718). 3. C'est le père de l'auteur des Mémoires sur la ville de Troyes. Il avait fondé à Troyes le premier café aussi était-il très populaire auprès de la jeunesse troyenne.

4. Semilliard; m' 2869.

5. Catalogus scolasticorum, aux années 1716-1717.

CHAPITRE VII

LE COLLÈGE AU XVIII SIÈCLE

I. Les oratoriens deviennent franchement jansénistes. Appui qu'ils trouvent auprès de l'évêque Bossuet. Rigorisme et intolérance du nouvel Oratoire. II. Poncet de La Rivière devient évêque de Troyes. Il retire leurs pouvoirs aux oratoriens. Les élèves du petit séminaire cessent de fréquenter le collège. Les cours de théologie restent sans auditeurs. — III. Le théâtre du collège durant la période janséniste. Louis XV et la dauphine Marie-Josèphe de Saxe à Troyes. — IV. Réapparition des jésuites à Troyes. Les élèves du petit séminaire rentrent au collège. Nouvelles difficultés des Pères avec Poncet de La Rivière. · - V. Esprit nouveau de l'Oratoire dans la seconde moitié du xvш siècle. Les Pères adoptent les principes de la Révolution et prêtent le serment constitutionnel. Derniers jours du collège.

I

L'arrivée de Jacques-Bénigne Bossuet à l'évêché de Troyes marque une phase nouvelle dans l'histoire du collège : car ce fut sous son épiscopat que les Pères de l'Oratoire, cessant de faire un mystère de leurs préférences théologiques, se montrèrent ouvertement jansénistes.

On sait qu'en 1713, le pape Clément XI condamna par la bulle Unigenitus 101 propositions extraites des Réflexions morales sur le Nouveau Testament de Pasquier Quesnel, ancien prêtre de l'Oratoire. La décision du pontife fut rejetée par une partie des membres du clergé français qui, conformément à la déclaration de 1682 rédigée sous l'inspiration du grand Bossuet, affirmaient que l'autorité du pape était subordonnée aux décisions des conciles et que par conséquent le droit d'appel était ouvert pour eux. Ils en appelèrent donc à la décision du futur concile et furent désignés sous le nom d'Appelants. Parmi eux figurait le R. P. François Delatour, supérieur général de l'Oratoire.

Beaucoup d'oratoriens hésitaient encore à se mettre en désaccord avec Rome et Versailles. Quelques-uns d'entre eux se rangèrent même du côté du parti le plus fort. A Troyes, l'évêque Bouthillier de Chavigny adhéra à la bulle et fut assez adroit pour obtenir l'adhésion de tous les prêtres de son diocèse. Ce succès lui valut l'archevêché de

Sens. Son parent, l'abbé Jacques-Bénigne Bossuet, neveu de l'Aigle de Meaux, fut désigné pour lui succéder.

Sitôt que la nouvelle s'en fut répandue dans le diocèse, il se produisit une subite réaction contre la bulle Unigenitus. Lejeune, curé de Saint-Nizier et supérieur du petit séminaire, rétracta publiquement son adhésion à la Constitution et forma appel par le ministère d'un notaire. Son exemple fut suivi par huit pères de l'Oratoire et d'autres religieux. Ils pensaient que Bossuet, fidèle aux traditions gallicanes de son oncle, accueillerait volontiers leur appel au futur concile.

Ils ne se trompaient pas. En 1725, à l'assemblée du clergé, l'opposition énergique de l'évêque de Troyes fit échouer la proposition de rédaction d'un formulaire en faveur de la Constitution. En 1727, le concile provincial d'Embrun ayant suspendu comme janséniste Soanen, évêque de Senez (l'ancien régent du collège de Troyes), Bossuet figura parmi les douze prélats signataires de la lettre au roi contre ce qu'on a appelé le Brigandage d'Embrun. Une grande partie du clergé troyen applaudit à cette courageuse protestation. Une adresse de félicitations fut adressée à Bossuet elle était signée de cent soixante prêtres, dont trente oratoriens.

Dès lors le jansénisme se manifesta ouvertement dans le diocèse de Troyes : il était assuré d'avoir un protecteur dans le neveu de l'illustre Bossuet. Celui-ci, du reste, s'était toujours montré disposé à accueillir les victimes de la Constitution. En 1724, l'un des plus ardents promoteurs de l'appel, le vénérable Duguet, après une vie errante et agitée, était venu demander à la ville de Troyes un repos qu'il n'avait plus connu depuis qu'il avait quitté sa chaire de philosophie au collège Pithou. Il y fut rejoint en 1731 par un autre homme de bien, l'abbé Roussel, jadis supérieur de la communauté de SainteBarbe. En 1736, c'était encore un saint que Bossuet couvrait de sa protection, Charles-Michel de l'Épée, le futur éducateur des sourds et muets, alors clerc du diocèse de Paris à qui l'archevêque Christophe de Beaumont refusait l'ordination comme janséniste. Contrairement aux usages du temps, mais conformément à l'ancienne discipline, Bossuet le nomma avant son ordination curé de Feuges et lui conféra régulièrement la prêtrise, le 5 avril 1738 1.

En quelques années la plupart des chanoines de la cathédrale, presque toutes les communautés religieuses, les plus jeunes prêtres du diocèse furent gagnés au jansénisme. Le petit séminaire où on lisait publiquement l'Augustinus 2 avait eu une grande part à ces conversions 3. Les Pères de la Mission qui dirigeaient le grand séminaire auraient bien voulu arrêter les progrès du mal; mais il n'en

1. Archives de l'Aube, G. 642.

2. « Le Gugusse ou le Gustin » comme l'appelaient les séminaristes troyens avec assez peu de respect.

3. Mes souvenirs, récits de Nicolas Simonnot, chanoine de l'église de Troyes.

était plus temps. L'évêque, du reste, avait nettement déclaré qu'il n'entendait pas qu'on fit la moindre distinction entre les Constitutionnaires et les Appelants et qu'il n'approuverait aucun prêtre qui pensât autrement. Quant à l'Oratoire, il marchait d'accord avec le petit séminaire. Profitant de l'influence que lui assurait dans la ville la direction du collège, il enrôlait parmi les adversaires de la Constitution l'élite de la jeunesse troyenne.

Tel que l'avaient organisé ses premiers directeurs, le collège de Troyes était un établissement où le sacré et le profane vivaient en bon accord. Le rigorisme des jansénistes ne pouvait s'accommoder d'un pareil régime. Dès qu'ils se sentirent les plus forts, ils rayèrent impitoyablement des programmes ce que réprouvait leur piété inquiète les énigmes en 1727, la comédie et la tragédie en 1728 1.

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Dès lors on ne vit plus s'afficher sur la scène que des exercices purement académiques et des poésies d'une moralité incontestable, des poèmes religieux surtout la Passion du Christ ou le Triomphe de l'Amour divin, Manassès jeté dans les fers, Saint Cyrille mis à mort par son père pour avoir embrassé le christianisme, — Judith, libératrice d'Israël, - Le triomphe des bienheureux dans le ciel, etc. Lancés dans cette voie, les Pères en vinrent à craindre que leur enseignement littéraire ne fût pas assez profondément chrétien et que les poètes profanes qu'ils faisaient expliquer dans leurs classes ne recélassent sous le charme de leurs vers quelque poison subtil. En guise d'antidote, antidoti loco, ils introduisirent, vers 1738, dans leurs programmes, les hymnes sacrées de Santeuil 2. Ils allèrent même plus loin. Dans leur admiration pour l'œuvre du chanoine de SaintVictor, ils s'imaginèrent que les vieux chants d'église, empreints de la rouille du temps, n'étaient plus en rapport avec les hommages qu'un siècle lettré devait à Dieu, et ils crurent assurément faire une œuvre pie et méritoire, en refaisant à leur façon, sur un rythme nouveau, tant en français qu'en latin, le O filii et le Stabat Mater. A la façon dont ils osent s'en vanter dans le Catalogus, il est facile de voir qu'ils étaient bien persuadés d'avoir produit deux chefsd'œuvre ".

Si les Pères n'eussent exigé de leurs collégiens que de chanter en

1. Catalog. Scol. t. II, 1726-1727, et t. III, 1735-1736.

2. Hoc anno primum inter evolvendos ab humanistis libros in Catalogo annumerati sunt sacri Santolii Victor. can. hymni, quos antidoti loco assumendos censuimus, ne sola profanæ poeseos lectione christianæ juventutis pietas tepesceret. (Cat. scol., t. III, aux années 1737-38.)

3. « E collegio nostro in lucem prodierunt duæ prosæ quæ, suffragante episcopali auctoritate, typis mandatæ sunt: 1° De Beatâ Virgine juxta crucem stante; 2° de Christi resurrectione. Id edendum opusculum judicatum est quo pietas melius foveretur quam rhythmica illa O filii et filiæ et Stabat Mater dolorosa... quæ quidem genuinum pietatis gustum minus quam temporis vetustatem redolet. >> (Catalog. scol., t. III, année 1741-1742.)

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