Page images
PDF
EPUB

On appelle impiété la pensée que nous n'avons aucune espèce de devoir à remplir à l'égard de Dieu, ni devoir de culte ni autre. On a dit que la formule la plus parfaite de l'impiété est celle du divin poëte: «L'injuste a dit en son cœur, Il n'y a pas de Dieu. » C'est une erreur. Pour refuser un culte à Dieu, il faut le nier, cela est vrai, mais quand on le nie, on n'est qu'athée : quand on lui refuse ce qui lui est dû, sachant qu'il est et qui il est, on est impie. L'impiété n'est pas plus spéciale aux nations chrétiennes que la piété. On est pieux israélite, pieux musulman, pieux polythéiste, et réciproquement. Mais la piété et l'impiété ont leur caractère spécial dans chaque culte. Plotin et Proclus si pieux, si proches de ce qu'on nomme la sainteté, ne le sont pas au même degré que Thomas-a-Kempis et Fénelon; et si impies que soient Diagoras ou tel autre polythéiste, ils ne le sont pas non plus au même degré que tel ou tel chrétien. La piété du chrétien s'inspire de celle du fils de Dieu pour son père céleste; son amour de Dieu se nourrit des grâces dont l'esprit de Dieu est le médiateur permanent ce sont là des motifs d'attachement divin qui ne se retrouvent pas ailleurs, et l'impiété chrétienne franchit des sentiments qui émanent de théories inconnues à la morale polythéiste, puisque la morale évangélique enseigne des affections que celle-là ignore.

L'impiété touche au blasphème ; c'est le blasphème muet. Le blasphème articulé, c'est l'impiété en délire, ce n'est pas le cri de Julien expirant : « Tu l'emportes, ô Galiléen. » Julien ne croyant pas à la divinité du Fils de Dieu, a pu outrager le Sage, il n'a pu blasphémer le Dieu. Laissons aux mots leur sens propre. « Le blasphème est un discours qui outrage la divinité ou qui insulte à la religion, » dit l'Académie. Sans doute, mais bien entendu, la divinité qu'on reconnaît, la religion qu'on professe. Le chrétien, de quelque façon qu'il parle de Jupiter, ne saurait être accusé de blasphème : il n'y a pas de blasphème à l'égard d'une fiction.

<«<Mais alors il suffit de proclamer fiction ce qu'on n'est pas disposé à honorer, à respecter ou à adorer, et le moyen de se dispenser de tous les devoirs à l'égard de Dieu lui-même, c'est de le nier. »

L'objection, pour n'être pas neuve, n'en est pas meilleure. Ni Dieu, ni ses droits, ni nos rapports, ni nos devoirs, ne dépendent de nos négations. Ce qui seul est en question ici, c'est ce fait, que l'impiété chrétienne est autre que l'impiété polythéiste, juive ou musulmane, par la raison que la piété chrétienne est autre, que les rapports du chrétien avec Dieu sont autres, grâce à l'intervention du Fils de Dieu et à celle de l'Esprit de Dieu dans la vie morale du chrétien.

C'est pour cela que la société moderne, façonnée par l'Evangile, trouve toute morale purement philosophique, si supérieure qu'elle fût même à celle de Socrate ou de Zénon, insuffisante pour une âme chrétienne : l'âme chrétienne est avec Dieu, ou a la prétention d'être avec Dieu dans des rapports de filialité fondés sur une série de faits extraordinaires, inconnus à la raison spéculative ou méconnus d'elle.

Aux yeux de la religion naturelle, l'ambition. chrétienne est une sorte de témérité poétique plutôt qu'une confiance rationnelle. Cela est tout simple, puisqu'elle franchit les limites de la science mais on l'a dit « la piété chrétienne n'est pas la conquête d'un cœur pusillanime; elle se livre moins à Dieu qu'elle ne charge Dieu de la conduire, à la seule condition de la mener toujours comme il veut et où il veut.

:

Et de même que sous la loi chrétienne la piété est plus hardie, l'impiété aussi est plus audacieuse : elle rompt avec des lumières plus éclatantes et rejette des grâces plus pures.

Tout cela nous démontre un grand fait, c'est que la morale qui insiste peu sur les rapports de l'âme avec son principe, se prive de sa plus belle question, tandis que la vraie philosophie des mœurs a ceci de commun avec la philosophie de la religion, que les rapports de Dieu

et de l'homme forment le grand problème de l'une et de l'autre.

L'une nous enseigne les croyances qui jaillissent d'une bonne solution, l'autre nous apprend les devoirs qui en naissent.

L'une complète l'autre.

FIN.

« PreviousContinue »