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2. L'éducation, le gouvernement et le perfectionnement de soi-même. Les vertus et les vices.

Conduites comme la loi morale le veut, toutes nos dispositions naturelles sont des moyens de vertu. Aucune ne se fait vertu d'elle-même. La vertu ne devient une douce habitude, le prix du combat, qu'à la condition d'être la victoire à la suite d'une lutte mille fois renouvelée et toujours plus sérieuse. Elle ne devient une joyeuse préférence que par ce moyen et à ce terme. Jusque-là elle est rude. Elle n'est pas la paix, elle est la discorde. Avant de mettre toutes nos facultés en harmonic, elle divise l'homme d'avec lui-même; et loin de devenir le repos, elle reste le travail tant que l'homme est l'homme. Elle est sa fin et son bien, le but de ses instincts les plus nobles et de ses penchants les plus généreux, de ses sentiments les plus purs et de ses passions les plus vives, en un mot l'objet de ses émotions les plus sublimes. Mais elle n'est pas à la tête de nos œuvres, et elle n'est pas le fruit tout simple de nos dispositions innées. Nos inclinations naturelles vont peut-être plus aisément au mal qu'au bien, et elles y vont infailliblement à moins d'être formées pour l'amour de Dieu, c'est-à-dire étudiées, guidées, réprimées, entretenues, élevées,

et sans cesse ramenées aux principes du Bien. L'éducation de l'homme n'est pas le cours doux et tranquille d'une eau limpide à travers une prairie poétiquement émaillée de fleurs, c'est une rude ascension à travers les rocs et les ronces; mais elle est très-méritoire, précisément parce qu'elle est très-laborieuse. Elle est un triomphe sublime, en ce qu'elle nous divise avec les autres autant qu'avec nous-mêmes, avant de nous mettre en harmonie avec eux. Ce serait peu, si l'on n'avait à faire qu'à soi, qu'à combattre des penchants et des passions qui nous appartiennent. L'éducation de soi est plus complexe. Elle est partout et toujours aux prises avec celle des autres. Et ceux qu'on aime le mieux sont souvent ceux aussi qui vous entraînent le plus loin du vrai. Si bien qu'après avoir rompu avec soi, il faut encore rompre avec ses proches, ses amis, ses maîtres. Or si quelquefois on peut le faire avec ménagement, souvent il faut savoir le faire sans transiger, il faut repousser avec une sainte horreur ce qui a le plus d'attrait et savoir dire ouvertement aux doctrines, aux exemples, aux relations: « Je ne veux point de paix avec vous.» Il est des vertus qui cessent d'en être quand elles cessent de se cacher; il en est d'autres qui n'en sont plus dès qu'elles ne se montrent pas. Qui veut la paix avec tout le monde ne l'aura jamais avec soi-même, et saint Paul a

bien interprété son maître quand il a dit: Ayez la paix autant que cela est possible. Où est la limite ?

L'éducation de soi n'est pas plus l'affaire d'une formule qu'elle n'est celle d'un jour. C'est l'œuvre de l'âme inspirée tout entière de l'amour du Bien et celle de la vie entière s'exerçant à la pratique . du Bien. Ceux mêmes qui s'y appliquent le plus fidèlement sentent encore au terme combien une vie consacrée au perfectionnement reste au dessous de la perfection.

On peut tomber dans des aberrations en s'y appliquant avec plus de calcul que de sincérité. On peut perdre son temps à ranger méthodiquement, par jours et semaines, mois et années, l'œuvre à faire et les vertus à prendre. On peut le perdre à en compter l'emploi, à enregistrer les manquements et les progrès. Cela s'est vu. Mais on ne saurait trop étudier son âme, ni assez profiter des découvertes qu'on y fait sans cesse. Car s'il ne faut pas être parfait, ce qui est l'idéalité, il faut aspirer à la perfection : c'est là l'éducation. Puisque nos facultés sont susceptibles d'un accroissement illimité d'après le type suprême, un développement continu, un perfectionnement indéfini, est notre état normal.

On peut définir l'éducation une aspiration constante à l'idéalité donnée en Dieu, et dont le point de départ est une situation neutre entre un

amour du bien exercé ou éprouvé et des inclinations plus ou moins opposées au bien, mais non développées. L'amour du bien formé implique la haine éclairée et décidée du mal sous toutes ses formes. Cette simple définition montre toute l'étendue de la carrière et la multitude des épreuves. Le point d'arrivée, l'idéal, est la perfection, non • pas divine, mais humaine, c'est-à-dire telle que la donne le perfectionnement continu des dispositions distinctives de chacun.

Le perfectionnement continu ne peut être que l'œuvre d'une étude permanente de tous nos devoirs et d'une application fidèle de tous nos moyens. Il s'agit de nous gouverner selon la loi suprême; de poursuivre invariablement le même idéal; de garder sur nous, au sein même de nos instincts, de nos penchants, toute la liberté nécessaire pour disposer de toutes nos forces au nom de la raison; d'en maintenir le flambeau pur au milieu des excitations internes qui nous poussent, des excitations externes qui nous provoquent et des exemples qui nous sollicitent; de demeurer fermes au milieu des évènements qui nous agitent et mènent le monde; de ne jamais perdre de vue notre mission suprême dans l'ensemble des travaux, des peines et des luttes qui constituent la trame de notre destinée; de triompher des épreuves qui nous ballottent; de nous aider des

circonstances et des secours que nous offre la Providence qui nous gouverne avec l'immensité des êtres qu'elle aime et qu'elle aide comme nous. Tout cela se résume en une seule chose : transformer chacune de nos forces en une vertu, empêcher qu'aucune ne dégénère en un vice. Mais cette seule chose est précisément le grand problème qui ne peut se résoudre que par un autre, dont la solution, très-facile en théorie, est d'une difficulté extrême en pratique c'est l'art de se bien gouverner, autrement dit, l'art de faire incliner notre volonté vers le bien en toutes choses.

D'ordinaire on sépare dans nos tableaux les vertus et les vices, et cette méthode a l'avantage de faire voir comment les vertus se tiennent d'un côté, les vices de l'autre; mais il y a quelque chose de plus instructif encore que cette affinité dans les vices, d'une part, et dans les vertus, de l'autre, c'est l'affinité des vertus et des vices. Rien de plus curieux à étudier que la naissance des vices pris dans leurs rapports avec les vertus, attestant une affinité dont la source n'est pas sculement dans notre capacité pour les unes et les autres, mais dans des analogies profondes. Et de fait, l'affinité éclate partout. La moindre négligence, une simple distraction, fait d'une habitude excellente un défaut grossier. De l'attention donnée à nos facultés, d'une légitime satisfaction ac

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