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pour nous que nous n'y entrons ni n'en sortons pour nous. Jamais, quand nous sommes en notre sens, nous ne songeons à nous y maintenir; nous songeons toujours à nous y acquitter de la mission qui nous y est donnée. Et si ce n'est pas pour nous que nous y avons reçu l'existence et les facultés nécessaires pour y remplir une mission, c'est pour cette mission, engagée dans les fins générales ou dans les fins spéciales de Dieu, que nous avons à nous soigner la remplir, c'est donc avoir soin de tous nos intérêts. Aussi n'est-ce pas pour nous que nous devons garder la vie, pas plus que nous ne l'avons reçue pour nous c'est pour être au service de Dieu parmi nos frères. C'est au nom de ses lois que nous la transmettons à nos enfants. C'est au nom de ces mêmes lois que passe à eux tout ce que nous avons eu en partage avec elle. Et à leur tour ils la transmettent avec les mêmes biens et les mêmes mandats d'une génération à une autre. Sentinelles mises au poste par un autre, soldats à la disposition d'un chef suprême, partout où nous sommes nous sommes à lui avec tout ce qu'il nous confie dans notre famille, dans notre patric, sur tel point du globe qu'il lui plaît de nous mettre.

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Tout est à Dieu, et toute doctrine qui n'est pas prise à cette hauteur est indigne du nom de morale philosophique. La morale évangélique

dit à son tour: « Aucun de nous ne vit pour soimème. Soit que nous vivions, nous vivons au Seigneur, soit que nous mourions, nous mourons au Seigneur. Si, selon les desseins de Dieu, nous sommes des forces qui se développent et amassent des ressources de tout genre, ce n'est jamais pour nous, à y regarder de près c'est pour nous mettre en état de faire les œuvres qui nous sont échues selon l'ordre moral du monde. De tout ce que Dieu met à notre disposition, nous jouissons les premiers, mais ce n'est pas pour cela qu'il nous le donne, puisque tout ce que nous n'en prenons que pour nous s'altère et devient le mal: en effet toute appropriation exclusive est fille de cet égoïsme qui est la mère de tous les vices.

Il est pourtant des devoirs qui nous regardent de très-près, dit-on. Cela est vrai. Mais tous les devoirs nous regardent de très-près, et on n'en néglige aucun sans commettre une grande faute. Il est des fautes plus grandes que d'autres, sans doute, mais celle de négliger sa santé est-elle plus grande que celle de négliger sa mission divine?

Nulle objection ne prouve l'impossible, nulle ne montre des devoirs où il n'y a pas de rapports:

Veut-on savoir envers qui se remplissent toutes les obligations, qu'on regarde qui offensent toutes les fautes Quelles que soient les nôtres, ce n'est

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pas nous qu'elles offensent, c'est la loi. Est-ce la loi abstraite? Non c'est celui qui est la loi. Elles nous font tort, cela est vrai, mais là n'est pas le vrai mal; le vrai mal, c'est qu'elles nous mettent hors d'état de remplir notre mission, de faire notre service dans le monde. Ne pas s'instruire, ne pas chercher la lumière, se livrer à tous les dangers de l'ignorance et des ténèbres, c'est assurément se faire un grand tort, mais c'est surtout faire un grand mal aux autres. C'est faire peser notre sottise et ses conséquences, qui sont infinies, sur tous ceux avec lesquels Dieu nous met en rapport parents, enfants, voisins, générations entières. Chaque fait le montre, comme la théorie : tout ce qu'on appelle devoir envers nous est un devoir général, un élément essentiel pour l'accomplissement de la mission que nous tenons de Dieu, afin de concourir à l'ensemble de ses desseins.

C'est donc fausser la nature de ces obligations que de les envisager sous un point de vue qui n'est pas le véritable. Mieux vaut les remplir sous un faux nom que de les négliger sous le vrai, mais mieux vaut reconnaître le vrai que de s'enchaîner au faux. Le vrai ouvre des points de vue plus féconds, donne à la pensée un but plus sublime, à l'œuvre de meilleurs motifs et des forces plus vives, des résultats plus satisfaisants. La vieille classification entretient cet égoïsme qui porte

chacun à songer d'abord à soi, abritant sous le pavillon d'un devoir tout ce qu'on peut faire pour sa personne. La saine morale est précisément le contraire l'immolation des vues individuelles à la loi générale, la subordination de la volonté humaine à la volonté divine.

Tous les devoirs dits envers nous-mêmes restent debout, seulement ils deviennent notre mission dans ce monde, et comme celle-ci demande une éducation spéciale, on doit les définir: un développement de toutes nos facultés tel que, toutes se vouant au culte du Bien, aucune ne tombe au service du mal. C'est ce que saint Paul résume dans la règle très-philosophique : ne te laisse pas surmonter par le mal, mais surmonte le mal par le bien.

Cela étant, tous nos devoirs dits envers nousmêmes peuvent se réduire à un seul réaliser le bien, la vertu, et vaincre le mal, le vice, au moyen d'une éducation de soi-même conduite jusqu'à la perfection idéale.

1. La perfection idéale de l'homme. La vertu et le vice.

La fin suprême de l'homme est la réalisation du Bien, la vertu.

La vertu absolue est la parfaite conformité

avec la loi pure; le vice absolu est l'opposition absolue à la même loi. Ces simples définitions nous font voir à quelle fin nous devons aller : ce n'est rien de moins qu'une perfection idéale. Il est vrai que, sous leur forme absolue, ni la vertu ni le vice n'existent dans un être humain. Dieu seul est la vertu absolue; le démon seul est le vice absolu. Toutefois si, dans l'homme, la vertu n'est qu'une chose relative, ce qui lui est demandé d'une manière absolue, c'est l'amour de la perfection, le dévoûment inaltérable à l'idéal. La vertu varie selon les dispositions indéfiniment nuancées des êtres; elle se produit en autant de formes distinctes qu'il y a de volontés; et la parfaite uniformité de sentiments et d'œuvres serait une supposition absurde, celle d'une parfaite égalité de moyens et d'une identité absolue de circonstances. Mais, de la part de chacun, l'idée de vertu implique un amour exclusif et un dévoûment sans bornes à la même loi. L'exécution reste nécessairement dans la limite des facultés de chacun. Quand donc nous présumons de comparer, nous ne devons jamais dire la vertu plus ou moins grande en raison de son éclat ou du nombre des heureux qu'elle fait, mais en raison de la pureté des mctifs qui l'inspirent et de l'intensité des efforts qu'elle demande. En général nous devons craindre de comparer. Car, s'il nous est bien aisé de

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