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le reconnaître, quand même elles exagèrent leurs prétentions avec excès, jamais elles ne veulent l'annihilation de la morale dont elles ont trop besoin l'une et l'autre pour ne pas la soutenir et ne pas lui prodiguer d'utiles hommages. D'ailleurs, ce n'est pas à elles, c'est à la philosophie elle-même qu'il appartient en un siècle philosophique or quel que soit l'empire de la religion ou de la politique dans le nôtre, la raison y a plus d'ascendant que jamais c'est à la philosophie d'assigner le rang qui convient à chacune de ses branches.

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Et de fait, puisque c'est la nature de tout enseignement de puiser aux sources suprêmes et d'aspirer au gouvernement, ce serait être bien mal avisé que de quereller les ambitions d'une des sciences au nom d'une autre. Souffrons, au contraire, que la religion, la morale et la politique aspirent et puisent toutes trois au suprême. Demandons-le au nom de la philosophie leur accord et la paix de l'âme sont à ce prix.

Tel est le point de vue dominant de cet ouvrage.

Il en est un autre que nous mettons moins en avant, qui a pourtant la même importance à nos yeux et que nous professons avec la même fermeté : en effet, c'est notre conviction la plus profonde, que la philosophie des mœurs n'est jamais mieux inspirée qu'en ses harmonies avec la morale évangélique, et nous en appelons volontiers à cet accord dans ces pages.

OU

LA PHILOSOPHIE DES MOEURS.

CHAPITRE PREMIER.

Notions préliminaires.

Définitions de la morale. Diversité de ses éléments et de ses formes.

La morale est la science du bien, comme la logique est celle du vrai, l'esthétique, celle du beau.

Elle recherche le bien dans sa nature et dans

sa source.

Elle en étudie la loi et en fixe l'idéalité.

Elle en enseigne la réalisation dans les êtres moraux et donne les règles de cette réalisation.

L'idéalité et la loi ne se trouvant pures que dans l'Etre dont l'idée s'identifie avec le bien et qui est la perfection absolue, type et source du bien, la morale, qui prend son point de départ

dans l'homme, trouve en Dieu sa suprême con

ception.

L'étude de l'idéalité et de la loi n'est que le prodrome de la morale. Son véritable objet est la réalisation du bien; son but essentiel est la perfection des êtres faits pour la réaliser.

La morale est donc pour l'homme la science d'une éducation propre ou d'une transformation volontaire qui doit aboutir à la perfection. Et puisque, pour connaître le bien et ses règles absolues, il faut puiser où se puise toute science souveraine, là où est aussi le vrai pur, où est le beau absolu; puisque l'étude du contingent ou du relatif ne donne pas l'idéal; puisque le parfait ne se trouve ni dans la raison subjective, ni dans la raison impersonnelle, qui ne sont que des reflets; puisqu'enfin le bien suprême ne se prend que dans l'intelligence suprême, on peut définir la morale la science des lois divines appliquées à la nature humaine.

Les définitions de la morale peuvent varier, mais elles n'affectent ni sa nature ni son objet, qui sont d'une grande évidence. Il est des moralistes qui ne s'arrêtent plus à la définir. Il est des définitions qui éblouissent plutôt qu'elles n'éclairent, témoin celle d'un moraliste moderne pour lequel « l'éthique est, dans sa conception générale, la science de l'esprit absolu en tant

qu'il réalise en une réalité infinie sa conscience absolue. »

La morale est facile à saisir. Si son idéalité et sa loi se trouvent en Dieu, son objet, son point de départ, sa mission et ses moyens se trouvent dans l'homme.

En effet, si la morale prend ses plus hautes conceptions dans la science de Dieu, dans la théologie, elle est essentiellement assise sur la science de l'homme, sur l'anthropologie.

De même qu'elle n'est pas toute la science de Dieu, elle n'est pas toute la science de l'homme. Elle ne s'occupe que de nos mœurs, "H. De là le nom de Éthique, 'Ho, que les écoles grecques ont donné à cette étude; nom que des moralistes modernes donnent encore les uns à la morale spéculative, les autres à la morale pratique, d'autres encore aux deux réunies. Ne cherchant dans nos mœurs que notre moralité, le but ou les fins de notre mission morale, et dirigeant les facultés ou les dispositions naturelles que nous apportons à cette œuvre, embrassant tout ce qui est du domaine du bien, la morale écarte le reste.

Quand on oppose le monde moral au monde. matériel, quand on distingue le physique et le moral de l'homme, on donne au mot moral une étendue qui dépasse celle de la philosophie des mœurs. Celle-ci n'embrasse que les habitudes morales.

On fait quelquefois une objection toute scolas→ tique, on dit que l'ensemble des règles de conduite de l'homme ne constitue pas une philosophie, et l'on s'appuie sur Aristote, qui combat la théorie des idées enseignées par Platon, nie l'idée du souverain bien, et conteste à la morale le rang d'une science rigoureuse. Cela est étrange de la part d'un philosophe, et cela ne s'explique pas plus que l'assertion du même moraliste, qu'il ne convient pas d'enseigner la morale aux jeunes gens ni à ceux qui sont encore sous l'empire des passions, quel que soit leur âge. D'autres aussi prennent la morale pour un collier de règles de conduite, telles qu'en donnaient les sept sages, ou pour un assortiment de maximes, comme La Rochefoucauld, ou une galerie de Caractères comme Théophraste et La Bruyère.

Ceux qui la comprennent comme une science sont tentés de la proclamer la science des sciences.

En effet, elle traite des devoirs suprêmes de l'homme au nom des vérités suprêmes; et les conséquences déduites de ses principes forment un ensemble étroitement lié, une vraie science. On y distingue deux parties.

L'une, plus spéculative, constate dans l'univers un ordre moral, et, dans l'homme, des facultés qui y correspondent. L'autre, plus pratique, considère les devoirs de l'homme comme membre de

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