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tions ou dans nos idées. Loin de là, chaque système de morale constitue un ordre d'idées à lui, gouverne nos facultés intellectuelles en son sens, provoque des affections qui y répondent, et enfante des œuvres morales très-décisives pour nos destinées à tous les stades et à tous les degrés de notre existence. Leur action ne s'arrête pas à l'individualité qui les adopte. Chaque système donne naissance à des enseignements, à des écrits, à des points de vue et à des aspirations qui lui sont propres ce sont autant de puissances amies ou ennemies dans le sein des nations, dans celui de l'humanité. Si, de ces systèmes, chacun part d'un autre principe, professe une autre formule, assigne aux devoirs une autre source, comment l'homme n'y puiserait-il pas d'autres inspirations, d'autres motifs, d'autres espérances? Et quelle harmonie peut-il résulter pour les œuvres communes, pour la gloire et la prospérité sociale, d'un tel désaccord dans les dévoûments et dans les sacrifices? L'homme a naturellement l'amour de la diversité, qui est celui de l'inconstance, c'est-à-dire de la dissipation, la plus sûre voie de la ruine de ses facultés et de son œuvre finale. La ligne droite, le bon chemin, la simple vérité et la pure vertu fixeraient ses incertitudes, s'il les connaissait seuls. Attiré dans tous les sens, les mille et une formes de l'erreur pèsent sur ses des

finées d'une manière très-funeste, lui offrent de fausses règles de conduite, et le livrent, guides trompeurs, à toute la véhémence de ses penchants pour le laisser enfin à toute la perversité de ses habitudes. Et l'aberration nait des intentions et des théories en apparence les plus généreuses. Car c'est à la suite de méditations sincères sur l'unité de la race terrestre que l'on tombe dans cet humanitarisme qui sacrifie à une abstraction les plus grands devoirs de cité et de patrie, immole au socialisme les devoirs et les intérêts de l'individu ainsi que les droits de la famille, de la propriété, et l'invincible inégalité des facultés et celle des fortunes. A ces aberrations généreuses, inspirées par l'amour du bien-être terrestre, il faut ajouter celles plus rares qui s'inspirent de l'amour du bien-être céleste, mènent l'âme à une vie toute contemplative, épuisent ses forces en stériles élévations et la séparent de ce monde, foyer sacré pour nous, si provisoire qu'il soit, sans pouvoir l'introduire dans celui où nul n'est admis s'il n'y est appelé.

Et à côté de ces erreurs généreuses, que de théories évidemment mauvaises, nées de conceptions ouvertement égoïstes, toutes fondées sur la recherche du bonheur, c'est-à-dire du plaisir et des jouissances! Toutes décorées du beau nom d'eudémonisme, elles passent toujours de

l'épicurisme un peu raffiné au matérialisme grossier, c'est-à-dire à l'abrutissement.

Donc un bon choix importe, et seul le système le meilleur est assez bon. Car entre toutes les conduites possibles une seule est préférable à toutes les autres, et il n'en est pas de ces systèmes de morale comme d'une galerie de statues, où l'on peut impunément se prononcer tantôt pour la supériorité de l'une, tantôt pour celle de l'autre, ou les trouver toutes belles ou toutes défectueuses, chacune en son genre. C'est la paix de l'àme ou le malbeur de toute l'existence qui dépend du choix à faire entre des doctrines morales si diverses. On ne saurait rester spectateur indécis ou indifférent; il faut choisir le vrai. En d'autres termes, il faut asseoir la morale sur ses fondements légitimes, ses principes les plus purs.

Nous avons vu les quatre grandes théories sur les fondements de la morale. Examinons maintenant les divers systèmes qu'on a édifiés sur chacune d'elles.

1.

Systèmes nés de la théorie qui fait de l'éducation et des institutions, religieuses ou politiques, l'unique fondement de la morale.

Des systèmes nombreux sont fondés sur cette théorie. Si nombreux qu'ils soient, ils se ressentent

tous du vice de leur principe. On le comprend. Du moment où ce sont la religion et la politique, les mœurs et les lois, les institutions et les usages de chaque nation qui constituent les notions éthiques, toute idée d'une loi suprême, universelle et éternelle, est une chimère, rien n'est moral ou immoral en soi. Ce qu'il faut en ce cas prendre pour règles de conduite, ce sont les pensées qui dominent, les opinions des esprits les meilleurs, les lumières répandues dans les élus du pays. Cela varie, et à l'infini. Au sein d'une nation théocratique, votre morale sera sacerdotale; avec une nation guerrière, vous prendrez une morale militaire; au milieu d'une nation industrielle et commerçante, vous en suivrez une autre; fils d'une nation très-polie, très-littéraire, très-philosophique, vous aurez une morale bien élégante, très-classique, fort raisonnée : jamais une morale indépendante, universelle, perpétuelle. Cela est commode et facile; c'est le fait pris pour le droit et la convenance pour le devoir: mais est-ce bien? C'est un fait, que tous les systèmes de morale ancienne portent le cachet des institutions publiques, que les uns sont théocratiques, les autres monarchiques, aristocratiques ou démocratiques; c'est bien là le caractère commun de ceux de l'Orient religieux, de ceux de la Grèce philosophique, du polythéisme, du monothéisme. Mais,

loin de dire systématiquement la morale issue de la politique et de la religion, de l'éducation et des mœurs publiques, toutes ces doctrines lui reconnaissent d'autres fondements: soit la volonté de Dieu, soit sa parole, soit la loi universelle et son interprète légitime, la raison. Et de même que partout, à côté ou au sein des religions révélées il a existé une science religieuse, fruit d'une haute spéculation, de même il s'est trouvé partout, à côté ou au sein des législations positives, une morale rationnelle. Si les systèmes de Socrate et de Platon portent eux-mêmes le cachet des vues aristocratiques de leurs auteurs, ils en portent un autre plus éclatant encore, celui de la spéculation philosophique. L'état, dit le maître, doit offrir l'idéalité d'un ètre moral. Et rien n'est plus éloigné de la pensée de Platon qu'une théorie qui aurait la prétention de subordonner à la politique jusqu'aux principes de la morale. L'antiquité a eu des sophistes pour disserter sur cette thèse, cela est vrai, mais elle n'a pas eu de moralistes pour la soutenir, ni le moyen-âge non plus.

1.) Morale provisoire de Descartes.

On est done surpris à juste titre de voir l'un des deux créateurs de la philosophic moderne, un penseur d'essence rationaliste et spiri

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