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qui n'est pas en harmonie avec lui, qui est la vérité en toutes choses, est faux de tout point. Toute conformité de notre pensée avec la sienne cessant, la vérité n'est pas seulement bannie de nos rapports, mais encore la santé de l'intelligence disparaît. Or avec la santé, la paix, ce souffle divin, s'anéantit en nous, et l'âme, livrée au désordre, d'une source de bien devenue une source de mal, est échue à la vindicte qui a mission de poursuivre le mal. Donc la sanction de la loi divine gît en ceci tout ce qui y est conforme est béni, tout ce qui y est opposé maudit, œuvre, pensée, sentiment. Point de bonne pensée, aperçue de nous ou non, qui ne porte de bons fruits; point de mauvaise pensée, si fugitive qu'elle soit, point de mauvais sentiment, si petit qu'il semble, ni de mauvais acte, si frivole qu'il paraisse, qui ne porte de mauvais fruits. Tout mouvement pur a des conséquences salutaires, tout mouvement impur des suites désastreuses.

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Il est très-vrai que rien n'est complet ici; que la vie présente offre rarement une compensation. absolue; et ce fait peut être invoqué comme un argument en faveur d'une existence permanente et supérieure; mais dès à présent s'annonce ce qui sera un jour la sanction de la loi se révèle, non pas dans l'âme seulement, où peut-être elle ne serait pas vue de tous, mais elle éclate encore

dans le corps de l'homme, où chacun la sent. En effet, tous les vices de l'âme se lisent sur la face du coupable etse réfléchissent dans son organisme : ils le ravagent comme ils en ravagent l'âme. Il n'en est pas un qui ne l'affaiblisse et ne l'accable de maux comme ils en accablent l'âme. Il y a des apparences contraires. Il est des habitudes de sensualisme qui font prospérer la chair, tandis qu'il est au contraire des habitudes de spiritualisme qui ont l'air de l'épuiser. Cela n'a que la durée d'un moment, ces apparences ne sont que des faits forcés, c'est-à-dire des exceptions à la règle. Sans doute, tout n'est pas solution en ce temps; mais c'est la règle, la grande loi, que le vice a des effets désastreux, aussi sensibles dans le monde physique que dans le monde moral. Et les faits confirment la règle. Platon, après avoir parlé de la paix que donne la vertu et de l'ardent amour qu'inspirerait sa beauté si elle se montrait à notre vue, passant aux tourments que donne le vice, montre que si le cœur d'un tyran pouvait s'ouvrir, nous le verrions percé, déchiré par ses mauvaises passions et par une conscience vengeresse. Il a raison: on ne saurait mieux constater l'ordre moral du monde comme un ordre

De Republica, lib. IX. A la vue de cette peinture, Cicéron s'écrie plein d'émotion: Quae vulnera! (de Officiis, m, 21), et Tacite la rappelle avec le même saisissement. (Annal, vi,6).

providentiel, majestueusement empreint dans la création et sanctionné d'une vindicte divine. La morale évangélique complète le tableau. « Le vice est un feu qui dévore et qui ne s'éteint pas, même dans le monde à venir. »

C'est là la sanction donnée à la loi dans l'éternité c'est l'ordre moral dans l'univers.

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Le bien et le mal, c'est l'ordre et le désordre, dit Malebranche. Qu'est-ce que l'ordre et que le désordre? L'ordre moral est l'ensemble harmonieux des faits éthiques, le système complet des lois qui les gouverne, y compris les desseins suprêmes auxquels ils aboutissent providentiellement, comme l'ordre physique est l'enchaînement complet des causes et des effets, des lois et des phénomènes qui se produisent dans le monde. matériel pour y amener des fins suprêmes. Dire que, de l'ordre physique, du monde extérieur, dépend l'ordre intérieur, c'est s'exprimer pour le moins d'une manière très-grossière. C'est bien le spirituel qui domine le matériel; c'est lui qui est l'ordre supérieur; le monde physique n'est que l'organisme de l'univers moral; il est au service de celui-ci comme le corps est au service de l'âme. La loi éthique est la pensée de Dieu, la formule de sa volonté. Quand on cherche ce code en son expression dernière, on ne le trouve qu'au sein de Dieu, dont la pensée en est comme la

lettre écrite, et le gouvernement comme l'application. L'image de ce code est empreinte partout, dans tous les êtres moraux, mais le type en est dans Dieu seul. Pour en voir l'image on peut étudier l'homme de même que, dans l'étude du monde physique, on prend pour point de départ le globe que nous habitons, de même dans l'étude du monde moral, on peut prendre pour point de départ l'espèce humaine. Et même les phénomènes du monde moral sont au fond plus faciles à constater que ceux du monde physique; l'homme est plus à notre portée que le globe qu'il habite; le système de principes et de conséquences, tout l'ensemble qu'on appelle l'ordre moral du monde, est plus accessible à l'esprit que l'univers sensible. On y touche à des questions voilées ou obscures, cela est vrai; mais encore ne le sont-elles pas plus que les questions dernières de l'ordre physique les étoiles extrêmes sont placées de nos télescopes à de plus grandes distances que les raisons dernières de la création morale. Sans doute, dans nos observations sur l'ordre qui domine le monde moral, nous sommes loin de tout voir, et dans nos solutions il reste bien des lacunes sur ses mystères et ses conflits, sur chacune de nos ́facultés même. Toutefois, les questions les plus difficiles, celle de la liberté et celle de l'influence divine sur l'activité humaine, par exemple, offrent

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moins d'énigmes que celle du mouvement central, ou celle de la lumière matérielle, par exemple. Le code des lois éthiques est pour le moins aussi complet et aussi précis que celui des lois physiques, et nous élevons avec plus d'assurance nos systèmes sur les phénomènes de l'ordre moral du monde que nos systèmes sur l'ordre physique.

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S'il est une loi universelle et absoluc, elle est obligatoire pour tous ceux qui appartiennent au monde moral, sans exception aucune, et l'obligation d'obéir à la loi, à la totalité de ses préceptes, ne constitue que le moindre de leurs devoirs, que la forme extérieure: leur devoir véritable, complet et pur, c'est d'aimer et de préférer la règle, parce que c'est le bien. C'est là une conséquence à laquelle la raison ne saurait se refuser. Toutefois la tâche qui s'impose à chacun, comme but suprême de ses œuvres, n'est pas la réalisation du bien absolu. Nul ne réalise le bien absolu, hormis un seul, qui est ce Bien. Le bien à réaliser par chacun de ceux qui sont faits à son image, n'est que le bien relatif. C'est là notre bien à nous, le bien à faire par nous. Il est d'ailleurs de même nature que le bien absolu, c'est-à

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