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Mon cœur a beau vous voir prendre ici sa querelle1,
Il n'est point en état de payer ce grand zèle,
Et ce n'est pas à vous que je pourrai songer
Si par un autre choix je cherche à me venger.
ARSINOÉ.

Hé ! croyez-vous, monsieur, qu'on ait cette pensée
Et que de vous avoir on soit tant empressée ?
Je vous trouve un esprit bien plein de vanité
Si de cette créance il peut s'être flatté :
Le rebut de madame est une marchandise
Dont on aurait grand tort d'être si fort éprise.
Détrompez-vous de grâce, et portez-le moins haut':
Ce ne sont pas des gens comme moi qu'il vous faut ;
Vous ferez bien encor de soupirer pour elle,

Et je brûle de voir une union si belle.

ALCESTE.

(Elle se retire.)

Hé bien ! je me suis tu, malgré ce que je vois,
Et j'ai laissé parler tout le monde avant moi.
Ai-je pris de moi-même un assez long empire,
Et puis-je maintenant...

CÉLIMÈNE.

Oui, vous pouvez tout dire ;
Vous en êtes en droit, lorsque vous vous plaindrez,
Et de me reprocher tout ce que vous voudrez.
J'ai tort, je le confesse, et mon âme confuse
Ne cherche à vous payer d'aucune vaine excuse.
J'ai des autres ici méprisé le courroux,

Mais je tombe d'accord de mon crime envers vols.
Votre ressentiment sans doute est raisonnable;
Je sais combien je dois vous paraître coupable,
Que toute chose dit que j'ai pu vous trahir,
Et qu'enfin vous avez sujet de me haïr..
Faites-le, j'y consens.

ALCESTE.

Hé ! le puis-je, traîtresse? Puis-je ainsi triompher de toute ma tendresse? Et, quoique avec ardeur je veuille vous hair, Trouvé-je un cœur en moi tout prêt à m'obéir?

1. Prendre sa querelle: prendre ses intérêts. 2. Soyez moins hautain, moins fier.

(A Eliante et Philinte.)

Vous voyez ce que peut une indigne tendresse,
Et je vous fais tous deux témoins de ma faiblesse.
Mais, à vous dire vrai, ce n'est pas encore tout,
Et vous allez me voir la pousser jusqu'au bout,
Montrer que c'est à tort que sages on nous nomme,
Et que dans tous les cœurs il est toujours de l'homme.
Oui, je veux bien, perfide, oublier vos forfaits,
J'en saurai dans mon âme excuser tous les traits,
Et me les couvrirai1 du nom d'une faiblesse
Où le vice du temps porte votre jeunesse,
Pourvu que votre cœur veuille donner les mains
Au dessein que je fais de fuir tous les humains,
Et que dans mon désert, où j'ai fait vœu de vivre,
Vous soyez sans tarder résolue à me suivre.
C'est par là seulement que dans tous les esprits
Vous pouvez réparer le mal de vos écrits,

Et qu'après cet éclat, qu'un noble cœur abhorre,
Il peut m'être permis de vous aimer encore.

CÉLIMÈNE.

Moi, renoncer au monde avant que de vieillir,
Et dans votre désert aller m'ensevelir!

ALCESTE.

Eh! s'il faut qu'à mes feux votre flamme réponde,
Que doit vous importer tout le reste du monde?
Vos désirs avec moi ne sont-ils pas contents *?

CÉLIMÈNE.

La solitude effraye une âme de vingt ans ;

Je ne sens point la mienne assez grande, assez forte,
Pour me résoudre à prendre un dessein de la sorte.
Si le don de ma main peut contenter vos vœux,
Je pourrai me résoudre à serrer de tels nœuds,

Et l'hymen...

ALCESTE.

Non, mon cœur à présent vous déteste,

Et ce refus lui seul fait plus que tout le reste.
Puisque vous n'êtes point en des liens si doux

Pour trouver3 tout en moi, comme moi tout en vous,

1. Et je les excuserai à moi-même. 2. Contents: satisfaits. Vous en faut-il davantage ? -3. Pour trouver : capable de trouver.

Allez, je vous refuse, et ce sensible outrage
De vos indignes fers pour jamais me dégage.

(Célimène se retire et Alceste parle à Eliante.)

Madame, cent vertus ornent votre beauté,
Et je n'ai vu qu'en vous de la sincérité ;

De vous, depuis longtemps, je fais un cas extrême ;
Mais laissez-moi toujours vous estimer de même,
Et souffrez que mon cœur, dans ses troubles divers,
Ne se présente point à l'honneur de vos fers1;

Je m'en sens trop indigne et commence à connaître
Que le ciel pour ce nœud ne m'avait point fait naître ;
Que ce serait pour vous un hommage trop bas

Que le rebut d'un cœur qui ne vous valait pas;

Et qu'enfin...

ÉLIANTE.

Vous pouvez suivre cette pensée ;

Ma main de se donner n'est pas embarrassée,
Et voilà votre ami, sans trop m'inquiéter,
Qui, si je l'en priais, la pourrait accepter.

PHILINTE.

Ah ! cet honneur, madame, est toute mon envie,
Et j'y sacrifierais et mon sang et ma vie.

ALCESTE.

Puissiez-vous, pour goûter de vrais contentements,
L'un pour l'autre à jamais garder ces sentiments.
Trahi de toutes parts, accablé d'injustices,
Je vais sortir d'un gouffre où triomphent les vices
Et chercher sur la terre un endroit écarté
Où d'être homme d'honneur on ait la liberté.

PHILINTE.

Allons, madame, allons employer toute chose
Pour rompre le dessein que son cœur se propose.

3. Ne prétende pas à l'honneur de vous épouser.

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