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Elle n'a pu faillir sans me couvrir de honte,
Et tout ce qu'elle fait enfin est sur mon compte.
Éloignement fatal! Voyage malheureux !
(Frappant à la porte.)

SCÈNE II: ALAIN, GEORGETTE, ARNOLPHE.

ALAIN.

Ah! monsieur, cette fois...

ARNOLPHE.

Paix ! Venez çà tous deux :

Passez là, passez là. Venez là, venez, dis-je.

GEORGETTE.

Ah! vous me faites peur, et tout mon sang se fige.

ARNOLPHE.

C'est donc ainsi qu'absent vous m'avez obéi,
Et tous deux, de concert, vous m'avez donc trahi?

GEORGETTE.

Eh! ne me mangez pas, monsieur, je vous conjure.
ALAIN, à part.

Quelque chien enragé l'a mordu, je m'assure.

ARNOLPHE.

Ouf! Je ne puis parler, tant je suis prévenu;
Je suffoque et voudrais me pouvoir mettre nu.
Vous avez donc souffert, ô canaille maudite!
Qu'un homme soit venu... Tu veux prendre la fuite?
Il faut que sur-le-champ... Si tu bouges !... Je veux
Que vous me disiez... Euh! Oui, je veux que tous deux...
Quiconque remuera, par la mort! je l'assomme.

Comme est-ce que chez moi s'est introduit cet homme?
Eh! parlez, dépêchez, vite, promptement, tôt,
Sans rêver. Veut-on dire?

ALAIN ET GEORGETTE, tombant à genoux.

1. Me faul: me manque.

Ah! ah!

GEORGETTE.

Le cœur me faut 1!

Je meurs.

ALAIN.

ARNOLPHE.

Je suis en eau, prenons un peu d'haleine.
Il faut que je m'évente et que je me promène.
Aurais-je deviné, quand je l'ai vu petit,

Qu'il croîtrait pour cela? Ciel ! que mon cœur pâlit!
Je pense qu'il vaut mieux que de sa propre bouche
Je tire avec douceur l'affaire qui me touche.
Tâchons à modérer notre ressentiment;
Patience, mon cœur, doucement, doucement !
Levez-vous, et, rentrant, faites qu'Agnès descende.
Arrêtez. Sa surprise en deviendrait moins grande,
Du chagrin qui me trouble ils iraient l'avertir,
Et moi-même je veux l'aller faire sortir.
Que l'on m'attende ici.

CÈNE III: ALAIN, GEORGETTE.

GEORGETTE.

Mon Dieu, qu'il est terrible!

Ses regards m'ont fait peur, mais une peur horrible, Et jamais je ne vis un plus hideux chrétien.

ALAIN.

Ce monsieur l'a fâché, je te le disais bien.

GEORGETTE.

Mais que diantre est-ce là qu'avec tant de rudesse
Il nous faut au logis garder notre maîtresse?

D'où vient qu'à tout le monde il veut tant la cacher,
Et qu'il ne saurait voir personne en approcher?

ALAIN

C'est que cette action le met en jalousie.

GEORGETTE.

Mais d'où vient qu'il est pris de cette fantaisie?

ALAIN.

Cela vient... cela vient de ce qu'il est jaloux.

GEORGETTE.

Oui; mais pourquoi l'est-il, et pourquoi ce courroux?

ALAIN.

C'est que la jalousie... entends-tu bien, Georgette,
Est une chose... là... qui fait qu'on s'inquiète...
Et qui chasse les gens d'autour d'une maison.
Je m'en vais te bailler une comparaison,

Afin de concevoir la chose davantage.

Dis-moi, n'est-il pas vrai, quand tu tiens ton potage,
Que, si quelque affamé venait pour en manger,
Tu serais en colère et voudrais le charger?

GEORGETTE.

Oui, je comprends cela.

ALAIN.

C'est justement tout comme.

La femme est, en effet, le potage de l'homme,
Et quand un homme voit d'autres hommes parfois
Qui veulent dans sa soupe aller tremper leurs doigts,
Il en montre aussitôt une colère extrême.

GEORGETTE.

Oui; mais pourquoi chacun n'en fait-il pas de même, Et que nous en voyons qui paraissent joyeux Lorsque leurs femmes sont avec les biaux 1 monsieux?

ALAIN.

1

C'est que chacun n'a pas cette amitié goulue

Qui n'en veut que pour soi.

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SCÈNE IV: ARNOLPHE, AGNÈS, ALAIN,

GEORGETTE.

ARNOLPHE.

Un certain Grec disait à l'empereur Auguste,
Comme une instruction utile autant que juste,
Que, lorsqu'une aventure en colère nous met,
Nous devons avant tout dire notre alphabet,

n que dans ce temps la bile se tempère,
Et qu'on ne fasse rien que l'on ne doive faire.
J'ai suivi sa leçon sur le sujet d'Agnès,
Et je la fais venir dans ce lieu tout exprès,
Sous prétexte d'y faire un tour de promenade,
Afin que les soupçons de mon esprit malade
Puissent sur le discours la mettre adroitement,
Et, lui sondant le cœur, s'éclaircir doucement.
Venez, Agnès.

(A Georgette et Alain.)

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C'est dommage; mais quoi?

Nous sommes tous mortels, et chacun est pour soi. Lorsque j'étais aux champs n'a-t-il point fait de pluie?

Non.

AGNÈS.

ARNOLPHE.

Vous ennuyait-il 1 :

AGNÈS.

Jamais je ne m'ennuie.

ARNOLPHE.

Qu'avez-vous fait encor ces neuf ou dix jours-ci?

AGNÈS.

Six chemises, je pense, et six coiffes aussi.

ARNOLPHE, ayant un peu rêvé.

Le monde, chère Agnès, est une étrange chose.
Voyez la médisance, et comme chacun cause !
Quelques voisins m'ont dit qu'un jeune homme inconnu
Etait
en mon absence à la maison venu,

Que vous aviez souffert sa vue et ses harangues.

Mais je n'ai point pris foi sur ces méchantes langues,
Et j'ai voulu gager que c'était faussement...

AGNÈS.

Mon Dieu, ne gagez pas, vous perdriez vraiment.

ARNOLPHE.

Quoi! c'est la vérité qu'un homme...

AGNÈS.

Chose sûre.

Il n'a presque bougé de chez nous, je vous jure.

ARNOLPHE, à part.

Cet aveu qu'elle fait avec sincérité

Me marque pour le moins son ingénuité.

(Haut.)

Mais il me semble, Agnès, si ma mémoire est bonne,
Que j'avais défendu que vous vissiez personne.

AGNÈS.

Oui, mais, quand je l'ai vu, vous ignorez pourquoi,
Et vous en auriez fait, sans doute, autant que moi.

ARNOLPHE.

Peut-être, mais enfin contez-moi cette histoire.

AGNÈS.

Elle est fort étonnante et difficile à croire.

J'étais sur le balcon à travailler au frais,

1. Vous êtes-vous ennuyée?

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