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ARNOLPHE.

J'étais à la campagne.

HORACE.

Oui, depuis deux journées.

ARNOLPHE.

Oh! comme les enfants croissent en peu d'années !
J'admire de le voir au point où le voilà,
Après que je l'ai vu pas plus grand que cela.

Vous voyez.

HORACE.

ARNOLPHE.

Mais, de grâce, Oronte votre père,

Mon bon et cher ami, que j'estime et révère,

Que fait-il? que dit-il? est-il toujours gaillard?
A tout ce qui le touche il sait que je prends part.
Nous ne nous sommes vus depuis quatre ans ensemble,
Ni, qui plus est, écrit l'un à l'autre, me semble.

HORACE.

Il est, seigneur Arnolphe, encor plus gai que nous,
Et j'avais de sa part une lettre pour vous;
Mais, depuis, par une autre il m'apprend sa venue,
Et la raison encor ne m'en est pas connue.
Savez-vous qui peut être un de vos citoyens
Qui retourne en ces lieux avec beaucoup de biens
Qu'il s'est en quatorze ans acquis dans l'Amérique?

ARNOLPHE.

Non. Vous a-t-on point dit comme on le nomme?

HORACE.

Enrique.

Non.

ARNOLPHE.

HORACE.

Mon père m'en parle, et qu'il est revenu,
Comme s'il devait m'être entièrement connu,

Et m'écrit qu'en chemin ensemble ils se vont mettre
Pour un fait important que ne dit point sa lettre.

ARNOLPHE.

J'aurai certainement grande joie à le voir,

1

Et pour le régaler 1 je ferai mon pouvoir.

1. Le régaler le bien accueillir.

(Après avoir lu la lettre.)

Il faut, pour des amis, des lettres moins civiles,
Et tous ces compliments sont choses inutiles;
Sans qu'il prît le souci de m'en écrire rien,
Vous pouvez librement disposer de mon bien.

HORACE.

Je suis homme à saisir les gens par leurs paroles,
Et j'ai présentement besoin de cent pistoles.

ARNOLPHE.

Ma foi, c'est m'obliger que d'en user ainsi,
Et je me réjouis de les avoir ici.

Gardez aussi la bourse.

HORACE.

Il faut...

ARNOLPHE.

Laissons ce style.

Eh bien comment encor trouvez-vous cette ville?

HORACE.

Nombreuse en citoyens, superbe en bâtiments,
Et j'en crois merveilleux les divertissements.

ARNOLPHE.

Chacun a ses plaisirs, qu'il se fait à sa guise;
Mais, pour ceux que du nom de galants on baptise,
Ils ont en ce pays de quoi se contenter,

Car les femmes y sont faites à coqueter.

On trouve d'humeur douce et la brune et la blonde,

Et les maris aussi les plus bénins du monde :

C'est un plaisir de prince, et des tours que je vois
Je me donne souvent la comédie à moi.
Peut-être en avez-vous déjà féru 1 quelqu'une.
Vous est-il point encore arrivé de fortune?
Les gens faits comme vous font plus que les écus,
Et vous êtes de taille à faire des cocus.

HORACE.

A ne vous rien cacher de la vérité pure,

J'ai d'amour en ces lieux eu certaine aventure,
Et l'amitié m'oblige à vous en faire part.

1. Féru: frappé.

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ARNOLPHE.

Bon! voici de nouveau quelque conte gaillard,
Et ce sera de quoi mettre sur mes tablettes.

HORACE.

Mais, de grâce, qu'au moins ces choses soient secrètes.

Oh !

ARNOLPHE.

HORACE.

Vous n'ignorez pas qu'en ces occasions
Un secret éventé rompt nos prétentions.
Je vous avouerai donc avec pleine franchise
Qu'ici d'une beauté mon âme s'est éprise.
Mes petits soins d'abord ont eu tant de succès
Que je me suis chez elle ouvert un doux accès ;
Et, sans trop me vanter, ni lui faire une injure,
Mes affaires y sont en fort bonne posture.

Et c'est?

ARNOLPHE, riant.

HORACE, lui montrant le logis d'Agnès.
Un jeune objet qui loge en ce logis
Dont vous voyez d'ici que les murs sont rogis :
Simple, à la vérité, par l'erreur sans seconde
D'un homme qui la cache au commerce du monde,
Mais qui, dans l'ignorance où l'on veut l'asservir,
Fait briller des attraits capables de ravir;

Un air tout engageant, je ne sais quoi de tendre
Dont il n'est point de cœur qui se puisse défendre.
Mais peut-être il n'est pas que vous n'ayez bien vu
Ce jeune astre d'amour de tant d'attraits pourvu :
C'est Agnès qu'on l'appelle.

ARNOLPHE, à part.

Ah! je crève !

HORACE.

Pour l'homme,

C'est, je crois, de La Zousse, ou Source, qu'on le nomme;

Je ne me suis pas fort arrêté sur le nom;

Riche, à ce qu'on m'a dit, mais des plus sensés, non,
Et l'on m'en a parlé comme d'un ridicule.

Le connaissez-vous point?

ARNOLPHE, à part.

La fâcheuse pilule!

HORACE.

Eh! vous ne dites mot?

ARNOLPHE.

Eh! oui, je le connois.

HORACE.

C'est un fou, n'est-ce pas?

ARNOLPHE.

Eh !...

HORACE.

Qu'en dites-vous? quoi?

Eh! c'est-à-dire oui. Jaloux à faire rire?
Sot? Je crois qu'il en est ce que l'on m'a pu dire.
Enfin l'aimable Agnès a su m'assujettir.
C'est un joli bijou, pour ne vous point mentir,
Et ce serait péché qu'une beauté si rare

Fût laissée au pouvoir de cet homme bizarre.

Pour moi, tous mes efforts, tous mes vœux les plus doux,
Vont à m'en rendre maître en dépit du jaloux,
Et l'argent que de vous j'emprunte avec franchise
N'est que pour mettre à bout cette juste entreprise.
Vous savez mieux que moi, quels que soient nos efforts,
Que l'argent est la clef de tous les grands ressorts
Et que ce doux métal, qui frappe tant de têtes,
En amour, comme en guerre, avance les conquêtes.
Vous me semblez chagrin : serait-ce qu'en effet
Vous désapprouveriez le dessein que j'ai fait?

ARNOLPHE.

Non, c'est que je songeais...

HORACE.

Cet entretien vous lasse.

Adieu; j'irai chez vous tantôt vous rendre grâce.

(Il s'en va.)

ARNOLPHE.

Ah ! faut-il...

HORACE, revenant.

Derechef, veuillez être discret,

Et n'allez pas, de grâce, éventer mon secret.

(Il s'en va.)

ARNOLPHE.

Que je sens dans mon âme...

HORACE, revenant.

Et surtout à mon père,

Qui s'en ferait peut-être un sujet de colère.

(Il s'en va.)

ARNOLPHE, croyant qu'il revient encore.

Oh !... Oh !... que j'ai souffert durant cet entretien !
Jamais trouble d'esprit ne fut égal au mien.
Avec quelle imprudence et quelle hâte extrême
Il m'est venu conter cette affaire à moi-même !
Bien que mon autre nom le tienne dans l'erreur,
Étourdi montra-t-il jamais tant de fureur?
Mais, ayant tant souffert, je devais me contraindre
Jusques à m'éclaircir de ce que je dois craindre,
A pousser jusqu'au bout son caquet indiscret,
Et savoir pleinement leur commerce secret.
Tâchons à le rejoindre, il n'est pas loin, je pense;
Tirons-en de ce fait l'entière confidence.

Je tremble du malheur qui m'en peut arriver,
Et l'on cherche souvent plus qu'on ne veut trouver.

ACTE DEUXIÈME

SCÈNE PREMIÈRE : ARNOLPHE.

Il m'est, lorsque j'y pense, avantageux, sans doute,
D'avoir perdu mes pas et pu manquer sa route :
Car enfin de mon cœur le trouble impérieux
N'eût pu se renfermer tout entier à ses yeux;
Il eût fait éclater l'ennui qui me dévore,
Et je ne voudrais pas qu'il sût ce qu'il ignore.
Mais je ne suis pas homme à gober le morceau
Et laisser un champ libre aux vœux du damoiseau ;
J'en veux rompre le cours et sans tarder apprendre
Jusqu'où l'intelligence entre eux a pu s'étendre.
J'y prends, pour mon honneur, un notable intérêt ;
Je la regarde en femme, aux termes qu'elle en est;

1. A gober le morecau: à se laisser tromper.

1

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