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Entrant dès lors plus avant dans l'examen de l'hérédité, M. Lucas la suit dans les auteurs immédiats, le père et la mère, ou bérédité directe; dans les collatéraux, ou hérédité indirecte; dans les auteurs médiats, les ascendants du père et de la mère, ou hérédité en retour; dans les conjoints antérieurs, ou hérédité d'influence.

4° Hérédité directe. M. Lucas la constate également pour le père et pour la mère; tantôt l'un tantôt l'autre des parents prédomine dans les produits; et les théories qui ont prétendu éliminer l'un au profit de l'autre ne se soutiennent pas devant les faits.

2o Hérédité indirecte. - Le type du père ou le type de la mère n'apparaissent pas toujours dans le type du produit. Il est des circonstances où la ressemblance au père et à la mère manque, mais où la ressemblance avec d'autres parents vicut en prendre la place. On observe, en effet, entre des parents souvent fort éloignés, et tout à fait en dehors de la ligne directe, entre les oncles et les neveux, les nièces et les tantes, les cousins, les cousines, les arrière-neveux même et les arrière-cousins, des rapports saisissants de conformation, de figure, d'inclinations, de passions, de caractère, de facultés et même de monstruosités et de maladies.

3 Hérédité en retour. Quelquefois, dit Burdach, l'hérédité transmet seulement la prédisposition à une qualité qui n'apparaît elle-même que dans la génération suivante. Cette qualité manque donc pendant une génération durant laquelle sa prédisposition demeure latente et se montre de nouveau à la génération qui suit, de manière que les enfants ressemblent non à leurs parents, mais à leurs grands parents. C'est cette condition connue sous le nom d'atavisme qui ramène des enfants blancs chez des mulâtres, ou même chez des nègres qui ont dans leurs auteurs des blancs.

4° Hérédité d'influence.

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Ceci est, dans cette matière si curieuse, un des cas les plus curieux, à savoir la représentation des conjoints antérieurs dans la nature physique et morale du produit. C'est-à-dire que, si une femme devient veuve et se remarie, il peut arriver que les enfants nés du second mariage reproduisent des traits et des caractères du premier mari mort avant la conception. Le croisement de diverses espèces d'animaux a permis de constater ce phénomène. Un ane moucheté d'Afrique, autrement couagga, fut, en 1815, accouplé une seule fois avec une jument d'origine anglaise; de cet accouplement naquit un mulet marqué de taches comme son père. Dans le cours des années 1817, 1818 et 1823, cette même jument fut fécondée par trois étalons arabes, et, quoiqu'elle n'eût jamais, depuis 1816, revu le couagga, elle n'en donna pas moins, chaque fois, un poulain brun tacheté comme lui, et dont les taches même étaient plus marquées que celles du premier mulet. Les trois poulains offraient avec le couagga d'autres signes tout aussi frappants de ressemblance : une crinière noire, une raie longitudinale foncée sur le dos, et des bandes transversales sur le haut des jambes de devant et sur les jambes de derrière. On a vu des chiennes saillies par des chiens de race étrangère, toutes les fois qu'ensuite il leur arrivait d'être saillies par d'autres chiens, mettre bas, à chaque portée, parmi les petits de la race du dernier père qui les avait fécondées, un petit appartenant à la race du premier qui les avait couvertes.

Quelle est la part du père ? Quelle est celle de la mère ? Le père fournit-il la charpente et la mère le système nerveux ? ou vice versa? Le père a-t-il la prépondérance dans la représentation ou est-ce la mère? Les croisements des animaux, et en particulier ceux du chien et du loup, ont été étudiés. De deux bâtards nés de l'accouplement d'une louve et d'un chien, chez le marquis de Spontin, le mâle, par le physique, tenait plus du chien, et, par le naturel et la voix, de la louve; tandis que la femelle, d'un extérieur semblable à celui de la louve, avait hérité du naturel doux et caressant du chien. Valmont-Bomare trouva, chez d'autres métis de ce genre qu'il eut l'occasion de voir à Chantilly, une prépondérance générale très marquée de l'espèce du loup sur l'espèce du chien. Chez d'autres bâtards nés de l'accouplement d'une chienne et d'un loup, Marsh a vu dominer, quant à la ressemblance, l'influence de la mère. Dans un cas analogue, Geoffroy-Saint-Hilaire a constaté, chez d'autres, la supériorité d'influence du père. Du croisement opposé, c'est-à-dire de celui de la louve et du chien, Pallas a vu sortir des métis chez lesque's dominaient les instincts indomptables de la louve; il en était de même de ceux de ces bâtards dont parle Valmont-Bomare: ils étaient tous sauvages, craintifs, farouches, hurleurs, comme les loups. En opposition avec ces derniers, Marolle en a vu d'autres empreints des instincts doux et sociables du chien ; ils n'avaient de sauvage que la voracité de leur goût pour la viande. Enfin, Girou de Buzareingues a vu, dans les produits du croisement d'une louve avec un chien

braque, la prépondérance de la nature du père et de celle de la mère varier, et quant aux formes et quant aux qualités, selon le sexe des bâtards. Mais, à vrai dire, le métissage est sujet à une grave et légitime objection : il n'est que la mesure de l'action réciproque des espèces de races ou variétés croisées; il n'est que l'expression de leur influence les unes sur les autres par la génération. Il suffit de comprendre ce caractère du métissage pour sentir à quel point il transforme et complique la question qu'on veut lui faire résoudre. Bien loin de recourir pour la comparaison entre la représentation du père et celle de la mère à aucun croisement, il faut au contraire opérer dans les conditions les plus rapprochées possibles de l'identité, c'est-à-dire mesurer la quantité d'action naturelle des deux sexes sur les répresentations, au sein de chaque race, au sein de chaque espèce, et comparer ensuite d'espèce à espèce, et de race à race, les résultats produits sans sortir d'aucune d'elles. Or, dans ces conditions, que nous apprennent les faits? Si l'on accouple des animaux de même espèce, on ne trouve point de système fixe de prépondérance d'un des sexes sur l'autre. C'est ce qu'un des plus habiles expérimentateurs en pareille matière, Girou de Buzareingues, a reconnu lui-même, et c'est la vérité. Ni l'espèce, ni la race, ni même la sexualité, en tant du moins que distincte de l'espèce, ne sont le vrai principe de la prépondérance qui se manifeste; c'est l'individualité, c'est-à-dire la nature, l'état et l'action des deux individus procréateurs qui exerce, dans l'unité d'espèce et l'unité de race, sur la proportion des représentations du père et de la mère, une influence déterminante.

Y a-t-il croisement d'influence, c'est-à-dire le père est-il représenté dans la fille et la mère dans le fils? Il faut d'abord déduire les caractères immédiats ou médiats qui sont propres au sexe et qui nécessairement sont transmis par l'auteur correspondant. Ainsi, tout ce qui dans le fils appartient aux organes génitaux mâles et à leurs dépendances provient du père, et tout ce qui dans la fille appartient aux organes génitaux femelles et à leurs dépendances provient de la mère. Cela déduit, voit-on la ressemblance, ou physique ou morale, suivre électivement le type du facteur dont le sexe est semblable à celui du produit? Voit-on la ressemblance, ou physique ou morale, suivre électivement le type du facteur dont le sexe est l'opposé de celui du produit? A ces questions voici ce que les faits répondent :

1o Le transport par différence et le transport par identité de sexe sout dans l'hérédité d'une très grande fréquence.

2° La fréquence relative de l'une et de l'autre marche de l'hérédité, dans l'état de science, reste indéterminée.

Ayant établi que les deux parents interviennent dans la représentation du produit, M. Lucas reconnaît qu'il y a tantôt élection, c'est-à-dire que l'un des parents imprime son cachet sur telle ou telle partie; tantôt mélange, c'est-à-dire que le mélange, quelque part qu'il se porte, est toujours une agrégation simple et sans transformation des représentations de l'un et de l'autre facteur; tantôt enfin combinaison, c'est-à-dire qu'il y a composition de natures dissemblables en une nouvelle nature. Ces résultats donnés par l'empirisme paraissent en contradiction avec la formule qui indique la participation égale des deux parents; mais, pour que cette participation s'accomplisse, il faut qu'il y ait égalité dans toutes les circonstances accessoires ; et c'est de quoi n'ont pas tenu compte les auteurs qui ont pris parti dans ces difficiles questions. Les uns, en renfermant la lutte des deux auteurs dans les limites de l'espèce, n'ont fait attention ni à l'énergie relative d'organisation, ni à l'énergie relative d'âge et d'état de la vie, ni à l'énergie relative d'action et d'exaltation des deux individus. Les autres, en procédant par le métissage ou l'hybridation, ont d'abord oublié que dans tout croisement, ce ne sont point les sexes, à proprement parler, mais seulement les espèces ou les races qui luttent, et ils n'ont pas eu plus d'égard, dans le croisement et dans ses résultats, à l'inégalité de toutes les circonstances où la lutte s'établit ; ils n'ont eu égard ni à la différence de force naturelle et de rusticité, ni à la différence d'ancienneté relative, ni à la différence d'énergie érotique des espèces ou des races accouplées. Enfin, par un vice absolu d'analyse, ils ont commis la faute d'une confusion perpétuelle de l'action du père et de la mère avec l'action du nombre et du climat. Les irrégularités apparentes d'influence de l'action du père et de celle de la mère n'ont point d'autre origine. La loi d'égalité exige l'équilibre de toutes les circonstances où luttent les deux sexes, et, dans des cas sans nombre, il n'est point d'équilibre. De toute nécessité, ce défaut d'équilibre doit donc, dans les mêmes cas et par le principe même de la loi, se traduire en inégalité d'expression des auteurs. En plaçant, au contraire, dans toutes les conditions prescrites d'équilibre, deux sexes d'une même espèce et

d'une même race, plus on analyse l'action des deux sexes, plus on voit s'effacer les traces accidentelles de toute prépondérance d'un des sexes sur l'autre, et plus on voit reparaître, en dehors des caractères médiats et immédiats de la sexualité, une moyenne générale de représentation du père et de la mère.

Je reviens sur l'influence du nombre et du climat dans l'hérédité; car ce point est important à signaler. Le premier principe est que, toutes les autres chances étant supposées égales entre deux races croisées, quel que soit le sexe qui les personnifie dans la génération, la race représentée par le plus grand nombre doit dominer d'abord et bientôt absorber la race représentée par le plus petit nombre. Le deuxième principe est que toutes les autres chances étant supposées les mêmes, non pas entre deux espèces, ni entre deux variétés premières d'une même espèce, mais entre deux races croisées, et quel que soit le sexe qui les personnifie dans la génération, la race, à nombre égal, qui garde l'avantage de lutter sur le sol dont elle est le produit, qui représente, en un mot, le climat indigène, doit d'abord dominer et bientôt absorber la race qui représente le climat exotique. Ainsi, supposez des nègres hommes ou femmes venant dans une nation blanche et s'alliant, ou des blancs hommes ou femmes venant dans une nation noire et s'alliant, au bout d'un certain temps toutes les traces du nègre ou du blanc auront disparu. Le climat exerce une influence analogue au nombre, et tend à ramener les étrangers au type indigène. Maintenant quelle est la part des auteurs au sexe du produit? Suivant M. Lucas, le sexe est transmis par l'auteur correspondant, et ce qui détermine cette élection, c'est la prépondérance actuelle de la sexualité de l'un sur la sexualité de l'autre.

Les êtres vivants sont dans une perpétuelle modification entre certaines limites. Les diverses espèces soumises à toutes sortes d'influence, le climat, la nourriture, la domestication, la civilisation, varient constamment ; et dans cette variation intervient ce que M. Lucas nomme la loi d'innéité. 1° Toutes les espèces n'ont point la même aptitude, ou, si l'on veut, la même élasticité de variation graduelle, sous l'action immédiate des causes et des agents de modification. L'espèce du lièvre, chez les animaux, est beaucoup moins variable que celle du lapin; l'espèce de la chèvre l'est aussi beaucoup moins, sous l'action extérieure des mêmes circonstances que celle de la brebis ; l'espèce du chat, moins que celle du chien ; l'espèce de l'âne, moins que celle du cheval; celle-ci compte, pour ainsi dire, autant de races que de lieux d'acclimatation, que de genres d'exercice ou de nourriture; la nature opiniâtre de celle-là a résisté jusqu'à changer, à peine, même dans les conditions de servitude la plus dure; elle résiste également aux plus mauvais traitements, à l'action de climat, de l'alimentation, des habitudes de vie. Plus tenaces encore et plus immuables, d'autres espèces, en grand nombre, malgré tous les efforts et toutes les tentatives de domestication, si l'on peut ainsi dire, n'éprouvent aucun effet de cette cause si puissante de modification et restent toujours sauvages. 2o Toutes les espèces, même les plus variables, ne varient pas sous l'empire immédiat des mêmes causes; l'influence du climat et des localités, parmi nos animaux domestiques, s'exerce spécialement sur le cheval; celle de la nourriture sur le bœuf; celle de la domesticité sur le chien. 3° Toutes les espèces variables, sous l'empire du même ordre de causes, n'éprouvent point d'une même cause le même caractère de modification; les variations de l'espèce du mouton portent principalement sur la laine, etc.; celles du bœuf, sur la taille, sur la forme, la longueur, la brièveté ou même l'absence complète de cornes, etc.

Toutes ces modifications ainsi imprimées deviennent ensuite transmissibles par l'hérédité. J'en indiquerai un exemple remarquable, qui suffira. Dans l'espèce humaine un contraste s'observe entre le naturel des enfants nés de peuples civilisés et le naturel des enfants de peuplades ou de tribus barbares. Tandis que les premiers se plient instinctivement aux mœurs et aux usages de la société, les jeunes sauvages, à de rares exceptions près, se prêtent mal au joug de la civilisation, ou n'en prennent que les dehors et se sentent malheureux 'd'y être assujettis. A peine maîtres d'eux-mêmes, comme le loup et le renard enlevés jeunes au terrier, ils retournent à la vie sauvage.

Mais ce ne sont pas seulement les modifications lentement acquises, ce sont même des modifications accidentelles, des états présents ou momentanés de l'être, qui sont transmissibles par l'hérédité.

Vient enfin l'hérédité des maladies. Ici se représente la double formule qui préside à tout le livre de M. Lucas, l'innéité et la répétition. De même que dans la production des espèces, la na

ture crée et imite, c'est-à-dire institue des genres et des espèces différentes, et cependant établit entre tous ces organismes des similitudes; de même que dans la procréation des individus, la génération crée et imite, c'est-à-dire établit en partie des caractères nouveaux, en partie reproduit les caractères des auteurs; de même, dans la pathologie, il surgit aussi du nouvel être tantôt des maladies qui ont leur source dans sa propre nature et non dans celle des parents, tantôt des maladies qui proviennent de l'hérédité. Toutes les maladies peuvent appartenir à la première source; toutes aussi peuvent appartenir à la seconde.

Quelle est la durée des caractères transmis par l'hérédité? L'hérédité lutte constamment contre trois forces: 4° l'innéité, qui, à chaque production, substitue, dans le produit, aux carac tères de l'un et de l'autre générateur, de nouveaux caractères; 2o la dualité des auteurs qui concourent à la représentation, où chacun a sa part, et dont chacun réduit nécessairement ainsi la répétition séminale de l'autre ; 3° la diversité totale ou partielle des circonstances de la reproduction de l'être, le temps, le climat, les lieux, l'âge, l'état physique ou moral des parents, à chaque nouveau produit ; 4o l'action du grand nombre sur le petit nombre. Il n'est pas en effet un seul des éléments du type individuel qui, par la succession et la diversité des personnes dont il est condamné à subir l'influence séminale, ne soit progressivement et fatalement soumis à cette loi du plus fort à laquelle ne résiste, dans la génération, aucun caractère; il se trouve, de tout point, dans les mêmes conditions que l'espèce ou la race que l'on veut méthodiquement réduire, par le croisement, à une autre race ou à une autre espèce ; il lutte, comme elles, à chaque génération, avec des quantités ou des fractions de lui-même de plus en plus petites, contre des unités de plus en plus nombreuses de types différents, et il est manifeste qu'ils doivent nécessairement finir par l'absorber. Ce n'est jamais que l'affaire d'un nombre variable, sans doute, mais limité de générations. L'expérience offre même quelques éléments pour fixer cette limite. Le premier de ces éléments est le chiffre de la durée ordinaire des familles, carrière de succession de tous les éléments du type individuel. Il résulte des recherches de Benoiston de Châteauneuf, sur la durée des familles nobles de la France, c'est-à-dire des familles qui tiennent le plus à leur généalogie, et qui, pour échapper à la ruine de leur nom, n'ont reculé devant aucun moyen légal, substitution, divorce, mariages répétés deux, trois et quatre fois, en cas de stérilité ou de naissance de filles, légitimation des enfants naturels, etc.; il résulte, disons-nous, de ces recherches que, malgré l'emploi de tous ces moyens, la durée nominale de ces familles, en France, est, pour les plus vivaces, à peine de trois siècles. Supposons, un instant, que cette durée nominale soit une durée réelle: elle représente, au plus, quinze générations. Or il n'existe pas une seule famille où la succession d'aucun des caractères du type individuel atteigne à cette limite. Les législations prohibant, la plupart, les unions consanguines, les familles sont forcées de se croiser entre elles; elles ont donc à lutter, comme les individus, comme les variétés, comme les races qui se croisent, contre l'invincible effort de la loi du grand nombre. Les plus rebelles, parmi les dernières, ne résistent à la transformation totale qu'il détermine que pendant une douzaine de générations; la transformation, selon les races, est complète, chez d'autres, dès la sixième ; chez d'autres, dès la cinquième, ou même dès la quatrième génération. D'après Ulloa, Twiss et autres observateurs, il suffit d'ordinaire de trois ou quatre générations, ainsi méthodiquement croisées, soit pour blanchir un nègre, soit pour noircir un blanc. Les Indous, si scrupuleux sur la pureté des races, font acquérir ou perdre la pureté de la caste en sept générations; et, regardant à ce degré la consanguinité réelle comme éteinte, ne font pas remonter plus haut l'interdiction du mariage entre parents. La loi romaine, enfin, admettait aux droits de l'ingénuite la descendance directe de l'affranchi de quatrième génération. Ce n'est donc pas s'écarter de la vraisemblance que de donner, pour limite ordinaire de durée, à l'hérédité de la somme des caractères du type individuel, dans le sein des familles, le nombre de générations suffisant pour réduire une race à une autre. Bomare croit que la mesure moyenne dont la nature se sert, à cette fin, dans tout le règne animal, est de quatre générations; et, si l'on considère qu'il est rare et très rare que la succession des traits originaux du génie des familles, formes, inclinations, défauts ou qualités, se propage au delà, ce sera prolonger cette mesure moyenne à sa dernière limite, en lui fixant, pour terme ordinaire, l'intervalle de la sixième à la septième gé

nération.

On remarquera que la durée héréditaire des caractères est très différente, suivant que ces caractères sont innés ou acquis; ceux-là ent bien plus de tendance de se transmettre que ceux-ci.

Ces remarques ont une application directe au traitement de l'hérédité morbide. Ce traitement se divise en prophylactique et curatif. Les moyens de prévenir le transport séminal de la maladie dérivent nécessairement des lois et des formules de la génération; ils ne sont efficaces qu'à la condition d'emprunter leur concours et de faire réagir l'hérédité sur elle-même. Il ne peut en effet dépendre de la science, ni de changer l'essence, ni de suspendre l'action de cette force primordiale dans la procréation; mais il peut dépendre d'elle, jusqu'à un certain degré, de transformer la nature des actes qu'elle détermine, en transformant toutes les circonstances de l'union des sexes où elle opère. Celles de ces circonstances qui ont le plus d'empire rentrent dans quatre principales: la nature des parents; la nature du temps ou de l'époque de la vie; la nature du lieu; la nature de l'état où l'être se reproduit. Ceci a pour objet de prévenir la transmission héréditaire des maladies. Quant au traitement curatif, on soumettra l'enfant à des conditions inverses de celles qui ont causé la maladie du père et de la mère. Lorsque la maladie a éclaté, il faut la traiter comme toute autre. La seule action qui, ici, appartient en propre à l'hérédité, et dont il faille tenir compte dans ses prévisions, c'est une nature plus rebelle aux moyens de traitement et une tendance marquée à la récidive.

Ainsi, d'après M. Lucas, dans la procréation règnent deux tendances fondamentales : l'une qui crée des individualités, l'autre qui crée des hérédités. L'hérédité peut porter sur tous les caractères de l'organisme, tant au physique qu'au moral. Le père et la mère ont une égale part à la transmission, mais cette part est respectivement limitée par toutes les circonstances qui agissent sur l'un ou sur l'autre. Toutes les modifications reçues par la naissance ou même acquises depuis la naissance sont susceptibles de se transmettre; et c'est par l'application empirique de ces phénomènes qu'on parvient à créer des variétés, des races qui ont des formes et des aptitudes particulières. De la sorte, les espèces vivantes sont comprises entre deux forces, l'une qui par l'hérédité tend à immobiliser les caractères tant physiques que moraux des parents dans les enfants, l'autre qui tend sans cesse à créer des types individuels dans l'espèce. De plus, comme les individus sont soumis continuellement à des influences variables qui les modifient, ces modifications viennent s'empreindre dans les produits. De là la variabilité des individus dans le sein des espèces, variété d'autant plus grande que l'on considère des espèces soumises à plus de causes de modification. C'est ainsi que les espèces qui vivent dans l'état sauvage au milieu d'une nature qui change peu sont bien plus uniformes que celles sur qui agissent toutes les forces de la civilisation.

Tant que l'on considère ce double mouvement dans les degrés inférieurs de la hiérarchie vivante, végétaux et invertébrés, on n'y voit guère qu'une cause qui multiplie les variétés. Mais il n'en est plus de même quand on passe aux degrés supérieurs et nommément au genre humain. Ce ne sont plus seulement des variétés qui en résultent, c'est un ordre déterminé d'évolution. Sans l'hérédité l'histoire ne peut être conçue, ou, pour mieux dire, elle n'existerait pas. Ce quise gagne par les découvertes des natures meilleures, plus actives, plus perçantes, finit par se consolider dans les autres à l'aide du travail héréditaire; et, grâce à ce travail, les peuples civilisés prennent des aptitudes, des goûts, des penchants qui d'une part les préservent des retours vers la barbarie (retours auxquels succombent parfois les individus), et d'autre part offrent une base solide à un nouveau développement d'aptitudes plus puissantes, de goûts plus délicats et de penchants mieux réglés. É. L.

FIN.

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