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La formation des tubercules et des bulbes autour d'un corps vivant, soit que le tronc maternel persiste, soit qu'il périsse, se termine aussi par la séparation de ces bourgeons, avec la provision de substance nutritive qui a été fournie par la tige souterraine. Les bulbilles des dentaires, des saxifrages et autres végétaux tombent également de cette manière.

Les bourgeons caducs paraissent être rares chez les animaux. A la vérité, il était fort commun autrefois qu'on admît une génération sans sexes, par des corpuscules reproducteurs, par des spores; mais des observations plus exactes ayant constaté l'existence d'organes génitaux, il est devenu vraisemblable que, dans beaucoup de ces cas, les corpuscules reproducteurs reçoivent leur aptitude à se développer de l'influence qu'exercent l'un sur l'autre deux individus de sexes différents (1). Il a été impossible jusqu'ici d'observer une ligne de démarcation tranchée entre l'une et l'autre espèce de ces corpuscules, même chez les végétaux, chez ceux qu'on nomme cryptogames. Tout germe qui se produit sans le concours des deux sexes rentre dans l'idée qu'on se fait des bourgeons, qu'ils soient d'ailleurs formés de cellules simples ou de cellules composées.

Les bourgeons caducs se rapprochent beaucoup de la nature des germes contenus dans les œufs, ou de ceux qui deviennent aptes à se développer par l'effet d'une influence sexuelle. Dans l'un et l'autre cas, il manque encore à l'organisation complète de la plante ou de l'animal, et l'organisation se borne à la présence d'une ou plusieurs cellules contenant la puissance d'acquérir celle qui est néces · saire pour représenter parfaitement l'idée de l'espèce. Dans les bourgeons caducs, les conditions ordinaires de la vie suffisent pour mettre en train le développement; mais, dans les germes des œufs, il y a quelque chose qui les empêche de tendre d'eux-mêmes à l'organisation, et une influence complémentaire est indispensable pour qu'ils puissent déployer cette tendance. Le germe de l'œuf et la graine possèdent le pouvoir d'atteindre l'organisation déterminée de leur espèce, et nous en avons la preuve dans la transmission par la génération des qualités individuelles propres au père ou à la mère; mais ni l'un ni l'autre ne peut exercer ce pouvoir

(1) Quatrefages a décrit (Ann. des sc. nat., t. XX, p. 230) chez un nouvel animal marin, voisin des hydres (Synhydra parasites), mais qui n'est pas libre, et se compose de plusieurs individus groupés ensemble et réunis par une partie commune, un mode de reproduction qui diffère un peu de celui des hydres. La synhydre se reproduit de trois manières par bourgeons, par œufs et par bulbilles. Les bourgeons semblent résulter également de l'épaississement de la couche épidermique; ils deviennent des polypes qui demeurent adhérents à la masse commune. Les œufs se produisent surtout au voisinage des points d'attache des polypes. Quatrefages n'a pu découvrir par quel mécanisme ils sont chassés au dehors, et jamais il n'en a rencontré qui fussent près de la surface, de sorte qu'il ne pense pas qu'ils s'échappent directement du milieu des tissus où ils se sont développés, comme cela arrive chez les hydres d'eau douce. Quant aux bulbilles (bourgeons caducs), elles naissent sur des animaux particuliers, différents des autres polypes de la synhydre, et que Quatrefages appelle polypes reproducteurs, parce que, dépourvus de bouche et ne pouvant nourrir ni eux ni leurs frères, ils sont destinés uniquement à propager l'espèce par un mode particulier de reproduction. Ces bulbilles sont de vrais bourgeons, qui, dans leur jeune âge, ressemblent entièrement à ceux de l'hydre; mais, au lieu de se développer en entier sur le lieu même où ils ont pris naissance et de ne quitter leurs parents que quand ils sont devenus animaux parfaits, ils se détachent avant cette époque et vont au loin subir les modifications nécessaires à leur nouvelle existence. (Note du trad.)

qu'après avoir été complété par un supplément. Or les bourgeons et les corpuscules reproducteurs gemmiformes ne sont point assujettis à cette condition.

La génération par scission ou par gemmation et la génération sexuelle diffèrent aussi l'une de l'autre en ce que la première reproduit bien plus sûrement les qualités de l'individu. C'est ce qui fait qu'on préfère la propagation par bouture ou par greffe toutes les fois qu'on se propose de réunir l'ensemble des qualités du tronc maternel dans le nouvel individu. La génération sexuelle, au contraire, ouvre un champ plus vaste aux variétés, et ne reproduit jamais sûrement l'individu on ne peut compter sur elle que pour la production du genre et de l'espèce.

Au reste, il n'est pas rare que des germes d'œufs dégénèrent en spores analogues à des bourgeons. De nombreuses observations ont établi que certains papillons (1), complétement isolés des mâles, pondent des œufs d'où proviennent de jeunes animaux. Un autre fait plus connu, et auquel Bonnet a procuré une grande célébrité, c'est que les pucerons, qu'on tient séparés des mâles depuis le moment de leur naissance, n'en mettent pas moins au monde des petits vivants (2). Il y a aussi des cas rares, chez les végétaux, où, comme dans une espèce de Poa, les fleurs non fécondées produisent un nouvel individu, qui continue de croître. En ces circonstances donc, le germe de l'œuf, qui, dans le sens de la génération sexuelle, appartient à la femelle seule, acquiert la nature du bourgeon, parce qu'il ne se développe pas en lui l'obstacle qui ordinairement rend nécessaire l'intervention de la semence du mâle.

CHAPITRE V.

Théorie de la génération sans le concours des sexes.

La production d'êtres organisés par d'autres êtres organisés peut être considérée, ou comme une formation de nouveaux germes par l'organisation déjà subsistante, ou comme une simple mise en liberté de germes qui se trouvaient contenus dans un individu dès le début même de son existence.

(1) Les papillons crépusculaires et nocturnes ont seuls, jusqu'ici, fourni des exemples de ce phénomène, qu'on a observé plus particulièrement dans l'Euprepria casta, l'Episema cœruleocephala, les Gastropacha potatoria, quercifolia et pini, le Sphinx ligustri, le Smerinthus populi, et que Lacordaire a vu aussi chez le Bombyx quercus. Parmi les œufs que pondent si communément les lépidoptères nocturnes qui n'ont jamais connu le mâle, il s'en trouve quelquefois de fertiles, mais en très petit nombre. Lacordaire rapporte que Carlier a obtenu, sans accouplement, trois générations du Liparis dispar, dont la dernière ne donna que des mâles, ce qui mit fin à l'expérience. (Note du trad.)

(2) Bonnet était parvenu à obtenir des pucerons dix générations successives, sans intervention de måle Duvan (Mém. du Muséum d'hist. nat., t. XIII, p. 126) est allé jusqu'à onze; mais on ne connaît pas encore la vraie limite, car les générations obtenues par ces deux observateurs furent arrêtées, non par l'impuissance des insectes eux-mêmes, mais par l'hiver, qui fit périr les pucerons. Kyber, en renfermant dans une serre chaude, pendant l'hiver, les plantes sur lesquelles il élevait des Aphis dianthi, a vu ces derniers se propager pendant quatre années de suite, sans que, dans ce long intervalle, il y eût aucun rapprochement entre les individus des deux sexes. Voyez aussi Dutrochet, Mémoires, t. II, p. 442. (Note du trad.)

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L'hypothèse suivant laquelle la génération se réduit au développement de ce qui existait depuis l'instant même de la création constitue la théorie de l'évolution, parmi les partisans de laquelle on compte les hommes les plus célèbres, tels que Bonnet, Haller et même Cuvier. Elle suppose que les premiers germes créés d'une espèce contenaient en miniature tous les individus qui devaient paraître les uns après les autres dans la série des temps, et cela de telle sorte qu'une génération renfermait toujours non seulement celle qui devait venir immédiatement après elle, mais encore toutes les autres. C'est ce qui fait qu'on lui a donné aussi le nom de théorie de l'emboîtement. Quant aux germes, on les a cherchés, tantôt dans les œufs, et tantôt dans les animalcules spermatiques.

Une autre doctrine, opposée à la précédente, est celle de l'épigénèse, dont les fauteurs nient l'emboîtement des germes. Suivant eux, les germes sont le produit d'une formation à chaque fois nouvelle, accomplie par l'organisation déjà existante. C.-F. Wolff a été le célèbre et heureux défenseur de cette théorie, que les naturalistes les plus considérés des temps modernes ont adoptée.

Sous la forme grossière que la théorie de l'évolution avait chez les anciens, rien n'était plus facile que de la renverser, comme elle l'a été effectivement par C. -F. Wolff et par Blumenbach (1). Car le germe ne renferme pas en miniature la forme parachevée d'un être organisé, et les temps sont passés où cette hypothèse pouvait être défendue avec quelque espoir de succès. Le germe de l'embryon des mammifères, au moment de sa première apparition, n'a pas la moindre analogie de forme avec ce qu'il doit être un jour; on voit naître les organes sous ses yeux, tandis que, s'ils avaient déjà existé en miniature, ils devraient seulement acquérir de plus grandes dimensions. Tous les tissus proviennent de cellules, et tous les organes se composent de tissus. La théorie de l'évolution ne serait donc soutenable aujourd'hui qu'autant qu'on la présenterait sous des dehors plus subtils. En effet, un organisme revêt l'une après l'autre deux formes différentes, celle de germe, quand il n'a encore que la puissance d'acquérir la configuration propre à son espèce, et celle d'être achevé, quand il est revêtu de cette configuration spéciale; mais il revient en partie à sa forme première par la production de germes nouveaux qu'il accomplit. La théorie de l'évolution devrait aujourd'hui prendre pour point de départ que l'emboîtement a lieu dans la forme du germe, que l'organisme parachevé contient la génération suivante sous la forme de germe, et que les germes contiennent également les générations subséquentes sous celle de germes. En prenant les choses de cette manière, il existe réellement des blocs de plusieurs générations successives, par exemple chez les polypes, les naïdes ; et la femme enceinte elle-même renferme en elle une génération non développée, l'enfant dont l'ovaire contient déjà les germes (ovules, avec leur vésicules germinatives) d'une troisième génération. Notre vue, même avec le secours du microscope, n'aperçoit sans doute rien au delà de l'œuf, de la vésicule germinative et de la tache germinative; mais on pourrait prétendre que l'insuffisance de cette faculté et de nos instruments en est l'unique cause, et à cela il n'y aurait rien à répondre, quant à l'argumentation. Cependant nous n'avons pas besoin de prendre le problème aussi

(4) WOLFF, Theoric der Generation. Halle, 1764. — BLUMENBACH, Ueber den Bildungstrich. Gættingue, 1791.

compliqué qu'il se présente dans la génération opérée par le concours des sexes. Celle qui n'exige pas ce concours donne absolument le même résultat. Elle nous permet de laisser de côté tous les mystères de la génération à l'aide de sexes, et de prendre pour notre point de départ qu'un corps organisé forme un multiple par scission, par gemmation, par accroissement, que les cellules elles-mêmes, éléments des corps organisés, produisent leurs semblables, soit par formation de nouvelles cellules dans leur intérieur, soit par division, par séparation d'excroissances qui poussent à leur surface, et qu'enfin il y a des organismes dans lesquels chaque cellule est un germe, qui reproduit tous les germes de l'espèce par des excroissances développées à la surface de cette cellule.

Ces faits fournissent les arguments les plus solides entre la théorie de l'évolution. Une organisation complète, qui peu auparavant était soumise à une volonté unique, se scinde, et, aussitôt après la division, elle a deux volontés, ce qu'on ne peut au moins pas nier de certains vers, dont les deux moitiés se meuvent chacune à part, dès que l'animal a été coupé en deux. La division spontanée d'un organisme achevé fournit aussi une preuve de même genre, puisque cet organisme se partage alors en deux êtres ayant chacun sa détermination propre, sans que le multiple soit provenu du développement de germes emboîtés les uns dans les autres. La gemmation des végétaux les plus inférieurs exclut également la théorie de l'évolution, car nous voyons là un multiple se produire par division d'une cellule simple, ou la cellule pousser un cul-de-sac, qui, bien que faisant partie d'ellemême, devient un nouveau germe par l'effet d'une constriction graduelle, comme les observations de Meyen l'ont établi pour les conferves articulées, et celles de Cagniard-Latour, de Schwann, de Turpin, de Meyen, pour les champignons de la fermentation.

Si donc les germes des corps organisés ne renferment pas en eux-mêmes la semence des multiples de la génération prochaine et de toutes les générations subséquentes, si c'est en s'accroissant et en s'assimilant la matière ambiante qu'ils acquièrent l'aptitude à produire des multiples, il ne reste qu'une seule chose à admettre, c'est que tous les multiples naissent par scission. Ou la force essentielle d'un être organisé a la propriété de ne pas perdre par une division infinie la puissance configuratrice ou plastique qui lui appartient en propre, ou bien, en s'assimilant la matière étrangère et les forces latentes dans cette matière, elle a acquis l'aptitude à se diviser en faveur de plusieurs êtres organisés. Dans ce dernier cas, les semences de tous les êtres existent à l'état latent dans le monde matériel, et l'organisme se les approprie, ou bien le monde matériel renferme une force protéiforme, susceptible de revêtir toutes sortes de formes, qui, pénétrant avec la matière dans des organismes déterminés, se trouve forcée à produire des effets déterminés par la forme déjà existante. C'est là ce qu'on nomme le panspermisme.

La théorie de la génération a fait de grands progrès dans ces derniers temps par la découverte des propriétés vitales dévolues aux petites molécules dont, suivant les observations, bien connues et tant de fois répétées, de Schwann, les végétaux et les animaux sont originairement composés. Toutes les parties des végétaux et des animaux naissent de cellules. Le germe des animaux et d'un grand nombre de végétaux est même une simple cellule, et le germe gemmaire est toujours ou un

amas de cellules ou une cellule unique. L'embryon végétal et animal qui s'accroît est également composé d'un grand nombre de cellules semblables à la première. Chez les végétaux inférieurs, les champignons de la fermentation, une cellule quelconque qui se sépare du tout, ou que l'art en détache, suffit pour procurer une multitude de ses pareilles.

De tous ces faits on peut tirer deux conséquences, que Schwann (1) a déjà examinées, et dont l'une ou l'autre doit être vraie, car il n'y pas moyen d'en admettre une troisième.

1o Comme tous les tissus et toutes les parties qui croissent proviennent de cellules semblables à celles dont il existe une ou plusieurs dans le germe; comme toutes les cellules contenues dans l'organisme qui s'accroît forment au dedans (cellules du cartilage, cellules de la corde dorsale), ou au dehors (cellules épithéliales) d'elles-mêmes des cellules de même espèce, par l'action qu'elles exercent sur la matière alimentaire ambiante; comme, chez les végétaux les plus inférieurs, toute cellule qui se détache du tout peut devenir un nouvel organisme; comme, chez certains animaux inférieurs, les hydres par exemple, tout lambeau détaché du corps, quelque petit qu'il soit, peut devenir un animal entier; comme enfin les molécules des tissus composant le lambeau de polype, de quelque nature que soient ces tissus (fibres musculaires, nerveuses, etc.), doivent toutes leur origine à des cellules, la conclusion est non seulement qu'un être organisé peut être une cellule, mais encore que tout organisme adulte est une masse de cellules, ou de parties provenant de cellules, et que chacune des molécules qui le constituent possède la puissance de produire le tout (2). Cette proposition est manifestement vraie à l'égard de certains êtres organisés, tels que les trichomycètes, et même, jusqu'à un certain point, les hydres; mais il n'est pas démontré qu'elle puisse s'appliquer d'une manière générale. Admettons néanmoins, pour un instant, qu'elle ait réellement ce caractère, et voyons quelles seront les conséquences ultérieures de la théorie.

Si chaque cellule d'un organisme entier et le produit de cellules ont le pouvoir de former le tout, par production de nouvelles cellules, par agrégation de cellules sous des formes déterminées, par métamorphose de cellules dans la vue d'atteindre tel ou tel but particulier, d'où vient que ces masses de cellules et de molécules nées de cellules ne restent pas tout simplement agrégées ensemble, et que la plupart du temps elles ne se réunissent que pour produire la forme de l'espèce? Cette tendance à un but commun, vers lequel tend aussi chacune d'elles en particulier, dépend-elle d'une action mutuelle qu'elles exerceraient les unes sur les autres, de même que les citoyens d'un état ou les abeilles d'une ruche tendent à ce qui peut tourner à l'avantage de tous; ou bien parmi les cellules ou monades, s'en trouvet-il qui aient la prééminence sur les autres, à la domination desquelles celles-ci demeurent soumises, tant qu'elles font partie du tout, de même que les polypes sont soumis à la forme et à la volonté générale du polypier, tant qu'ils y demeurent attachés?

Comment se fait-il ensuite que certaines cellules du corps organisé, quoique

(1) Mikroskopische Untersuchungen, p. 220.

(2) SCHWANN, loc. cit., p. 227.

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