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taches des phoques, la nutrition doit avoir des oscillations régulières, puisque ces parties ne croissent qu'à partir de leur racine.

Comme tous les phénomènes de la vie organique et tous ceux de l'animal entier, abstraction faite des phénomènes auxquels l'âme préside, sont dans le même cas que ceux de la formation première, c'est-à-dire qu'ils ont lieu d'une manière harmonique, mais nécessairement, et que même la nutrition, l'entretien des organes de la vie animale ne dépendent pas de la vie de l'âme, de la faculté de créer des idées, on peut dire aussi que le sommeil et la veille tiennent à une sorte d'antagonisme entre la vie organique et la vie animale, de manière que, de temps en temps, la vie animale, celle à laquelle préside l'âme, devient plus libre, tandis qu'en d'autres moments elle est dominée par l'action organique et harmonique de la nature. A la vérité, les organes de la vie animale sont soumis, même pendant la veille, à l'influence de la force organisatrice; mais les aptitudes que l'organisation procure aux muscles, aux nerfs cérébraux, sont employées à des actions qui diffè rent de celle dont le but est d'organiser, d'entretenir l'organisation. Durant le sommeil, au contraire, où ces actions sont suspendues en grande partie, sinon même en totalité, la nature travaille surtout à organiser; et la force organisatrice, dont l'action, bien qu'elle ne parvienne pas à la conscience, n'en suit pas moins une marche rationnelle et harmonique, travaille à mettre tous les organes, même ceux de la vie animale, en état de reprendre librement leur jeu.

Comme les états d'excitement se propagent dans l'organisme entier, la veille de la vie animale et l'accroissement d'excitation qui a lieu pendant sa durée doivent s'étendre aussi peu à peu au système de la vie organique, et modifier les actions de la matière organisée. De là vient, en effet, la fréquence un peu plus grande des battements du cœur pendant la veille. Dans le sommeil, cette irradiation de la vie animale vers la vie organique n'a point lieu, ce qui fait que la seconde, quoiqu'elle répare aussi ses pertes, en éprouve cependant un besoin moins pressant. Lorsque, par des moyens artificiels, on prolonge l'état de veille au delà de ses bornes ordinaires, non seulement l'irradiation devient prononcée, par exemple le pouls plus fréquent, mais encore l'organisation répare moins le déficit qu'ont subi les matériaux qu'elle avait préparés pour être mis en œuvre. De là le défaut de nutrition suffisante qui ne tarde pas à se manifester à la suite des veilles prolongées. Après avoir établi ainsi la nature du sommeil en général, nous allons examiner quels en sont les phénomènes.

Au moment où il s'annonce, les sens cessent de remarquer les impressions actuellement faites sur eux, et la conception est totalement ou en grande partic réduite à l'inaction. La volonté cesse d'exercer son influence sur les muscles, un sentiment de lassitude se fait sentir dans les paupières, qu'on n'est plus maître de tenir ouvertes, on cesse de pouvoir soutenir sa tête, et bientôt la détente se propage au système entier de la vie animale,

Dans l'état de sommeil complet, la plupart des hommes sont privés de tous les mouvements volontaires. Les mouvements organiques, et ceux qui, bien qu'iuvolontaires, reconnaissent cependant jusqu'à un certain point l'empire de la volonté, comme ceux de la respiration, continuent seuls, et ces derniers ne perdent que leur part de soumission aux ordres de la volonté. Les battements du cœur et les mouvements respiratoires sont un peu plus rares. Certains muscles de la vie

animale redoublent d'activité, et sont comme délivrés d'un contre-poids qui les gêne pendant la veille: tels sont quelques muscles de l'œil, et ceux des membres. chez les oiseaux qui dorment sur deux pattes ou sur une seule. Les yeux d'une personne qui dort se placent toujours dans une situation particulière; ils se dirigent en dedans et en dehors, dès l'instant même où l'on commence à s'endormir, et ce mouvement devient plus prononcé dans les affections nerveuses, par exemple dans l'épilepsie et la catalepsie. De là vient que l'ail fermé d'un homme qui dort a une toute autre expression que celui d'un cadavre; l'iris est contracté, et la pupille étroite; au moment du réveil, la pupille s'agrandit toujours, elle acquiert d'abord une très grande largeur, et ne revient que peu à peu, par des oscillations successives, au terme moyen de ses dimensions habituelles.

L'homme qui dort a besoin d'une plus grande masse de chaleur extérieure que celui qui veille, et souvent il arrive qu'en se réveillant on est plus sensible à l'impression du froid.

Si les idées n'entrent pas dans un calme parfait, il survient des rêves qui, la plupart du temps, se réduisent à des idées simples, mais qui peuvent aussi rouler súr des associations d'idées, et s'accompagner, comme durant la veille, d'actions accomplies par les muscles de la vie animale. Cet état continue d'être un rêve tant que l'imagination subit une gêne, une contrainte, qui met les phénomènes intellectuels de la personne en contradiction avec la pensée ordinaire de cette même personne. Les idées du rêve ressemblent à celles de la veille, en ce qu'elles roulent sur tous les temps passés, de même que, quand on veille, on peut reporter sa pensée sur tous les temps qui se sont écoulés, et s'occuper tantôt des événements du jour précédent, tantôt de ceux qui ont lieu plusieurs années auparavant. Si les idées ont une certaine stabilité pendant la veille, elles se reproduisent aussi en songe. Quelques personnes, au contraire, rêvent plus volontiers des temps passés. Les aveugles qui ont perdu la vue depuis longtemps ne rêvent plus de choses visibles, et, dans leurs songes, les objets extérieurs se représentent à eux tels qu'ils les aperçoivent quand ils sont éveillés; cependant il y a des aveugles qui rêvent pendant fort longtemps d'objets visibles. Un homme de soixante-six ans, qui avait perdu la vue depuis dix-huit années, était dans ce cas, mais les objets qu'il voyait ainsi en songe se rapportaient toujours au temps où il jouissait encore de la faculté visuelle; il suffit donc pour cela que les parties internes de l'organe de la vue conservent l'aptitude à former des images, et que la mémoire rappelle celles qui avaient été produites avant l'époque de la cécité (1).

Dans les rêves les plus simples, l'activité de l'âme se réduit à opérer sur des idées simples ou des associations d'idées simples, sans s'élever jusqu'aux idées générales. C'est aussi ce qui arrive pendant l'ivresse, à cause de la gêne qu'éprou vent les états organiques du cerveau. De là résultent des visions. De même que les sens sont mis en jeu par des excitations intérieures, de même ils peuvent l'être également par celles du dehors, quand ces dernières ont assez de force. Mais les impressions extérieures sont mal interprétées, à cause de la faiblesse du jugement pendant le sommeil. L'homme qui dort se trouve dans une situation gênante, et il croit qu'on le tient attaché; il a ses bras croisés sur la poitrine, et s'imagine être

(1) Fronter's Notizen, 888, p. 118.

retenu par d'autres personnes. Assez souvent même, en pareil cas, l'âme produit les images des personnes agissantes qui sont nécessaires pour correspondre à cette idée. Celui qui dort éprouve la sensation causée par la plénitude de la vessie; mais, croyant être éveillé et hors du lit, cette sensation peut le solliciter à satisfaire le besoin qu'il ressent. L'excitation des parties génitales donne lieu, en rêvè, à la production d'images voluptueuses. La lueur d'une lampe qui brûle pendant qu'on dort et son extinction exercent également de l'influence sur les rêves. La cessation d'un bruit auquel on était accoutumé en dormant, comme, par exemple, celui d'un moulin, provoque des idées dans l'âme, tout aussi bien que le ferait un bruit inopiné. Prévost a réuni plusieurs autres exemples de rêves qu'il avait observés sur lui-même (1). Les passions dominantes influent aussi sur le caractère des songes; les passions déprimantes font rêver de choses tristes et effrayantes.

I arrive parfois qu'on raisonne en rêve avec plus ou moins de justesse. On réfléchit sur des problèmes, et l'on se félicite d'en avoir trouvé la solution. Cependant, lorsqu'on s'éveille à temps, on trouve souvent que les résultats auxquels on croyait être arrivé sont purement illusoires, et que la solution dont on se réjouissait n'a pas le sens commun. De même, on rêve qu'une personne propose une énigme, dont on ne peut trouver le mot, qu'à la fin elle indique. Si l'on ne s'éveille pas sur-le-champ, et qu'ensuite on ne conserve qu'un souvenir confus de ce rêve, on éprouve de la surprise; mais, si l'on se réveille aussitôt, et qu'on puisse comparer l'énigme avec la réponse, on trouve que celle-ci est absurde, ce que du moins j'ai plus d'une fois éprouvé sur moi-même. Dans les rêves composés de demandes et de réponses, tout le merveilleux se réduit à ce que les arguments pour et contre qu'on imagine soi-même sont associés aux images de deux personnes différentes, comme ces idées pourraient l'être à d'autres signes. Quelquefois la question qu'on pose en songe ne reçoit pas de réponse, parce que nous serions incapables d'en faire une nous-mêmes.

Il arrive parfois que nous rêvons de situations bizarres, ayant en quelque sorte le caractère de pressentiments, c'est-à-dire que des états possibles s'offrent à nous comme des idéalités imagées, et l'événement peut ensuite s'accorder avec notre rêve, sans qu'il y ait là rien de merveilleux, puisque tout ce qui est possible peut se réaliser. Par exemple, une personne nous intéresse vivement: nous la connaissons assez bien, sans toutefois être parfaitement édifiés sur son compte ; nous la croyons franche et véridique, et cependant nous avons quelque sujet de soupçonner qu'elle ne possède pas réellement ces qualités; en rêvant d'elle, nous la plaçons dans des situations qui font ressortir son défaut de franchise et de véracité; qu'ensuite nos soupçons à son égard viennent à se justifier, le rêve que nous avons eu nous paraît surprenant, et cependant ce n'était qu'un jeu de marionnettes, dirigé par une idée conjointement avec laquelle marchaient les passions de la crainte et de l'amour. Certains malades voient en songe des personnes qui leur conseillent de faire telle ou telle chose, dont parfois ils se trouvent bien : les médecins, qui ont observé beaucoup de ces rêves prophètes, ont remarqué aussi qu'il leur arrive fréquemment de se prescrire des remèdes évidemment nuisibles, et qui par conséquent sont mis de côté,

4) Biblioth. unir, 1834, mars.

Le vague des idées est la plupart du temps tel, dans les rêves, qu'on ne sait même pas qu'on rêve. Les images sont présentes dans les sens; elles offrent autant de garantie de leur existence réelle que le pourraient faire les objets extérieurs eux-mêmes, dont nous ne savons rien que par les impressions qu'ils exercent sur nos organes. Quand donc nous avons perdu la faculté d'analyser les phénomènes sensoriels, il n'y a pas de raison pour qu'on en admette la non-réalité ; l'homme éveillé lui-même qui éprouve des hallucinations, les prend pour des réalités lorsque ses aptitudes mentales sont peu développées. Mais parfois aussi, quand le rêve se rapproche beaucoup de l'état de veille, on sait très bien qu'on rêve, et, malgré l'intime conviction qu'on en a, on peut cependant continuer de rêver.

Un phénomène assez ordinaire consiste à rêver qu'on ne peut exécuter des mouvements qu'on a pourtant l'intention de produire : nous voulons fuir un danger, et nous ne le pouvons pas. Ici le rêve correspond à l'incapacité réelle dans laquelle le sensorium se trouve de donner lieu aux effets du principe nerveux qui sont nécessaires pour produire des mouvements volontaires; il peint l'enchaînement de la puissance organique du sensorium. Quelques personnes conservent pendant leurs rêves un certain empire sur les mouvements volontaires elles parlent, tantôt confusément, tantôt d'une manière claire, en dormant et en rêvant. A cette catégorie doit être aussi rapporté le sommeil dans des positions pénibles, celui des postillons sur leurs chevaux, celui des oiseaux debout et parfois même sur une seule patte. Pour dormir et rêver, il suffit de l'obscurcissement d'une grande partie des idées auxquelles l'esprit est accessible pendant la veille; mais celles qui conservent encore de l'activité peuvent influer sur les organes du mouvement lorsque le sommeil n'est pas trop profond. On voit que nous nous rapprochons beaucoup ici des états pathologiques du sommeil. Tenir des discours cohérents tandis qu'on dort, se lever du lit, accomplir tel ou tel acte, ce sont là des phénomènes de même espèce absolument. Le somnambule est presque au même degré que l'homme qui dort debout, que l'oiseau qui dort sur une patte.

Le plus simple degré de somnambulisme s'observe chez les enfants doués d'un système nerveux irritable, qui s'agitent pendant le sommeil, appellent, crient, se laissent consoler, comprennent les discours qu'on leur adresse, ouvrent même les yeux, et reconnaissent les personnes, mais qui cependant, malgré leur aptitude à exercer des mouvements volontaires et à recevoir des impressions par les sens, sont longtemps encore avant qu'on puisse les arracher au rêve qui les tourmentait. Ici la conception est éveillée jusqu'à un certain point; mais elle ne peut produire d'idées suffisamment claires pour ramener l'équilibre dans la masse troublée des idées. Cet état ressemble à celui d'un homme qui commence à s'éveiller, avec lequel on peut s'entretenir, mais qui ne donne que des réponses confuses, et qui mêle tout ce qui se passe autour de lui avec les images et les idées dont sa tête était pleine quand il rêvait. A un degré plus élevé de somnambulisme, l'homme qui rêve quitte son lit: il vit complétement au milieu des idées et des sensations liées à la masse confuse de ses idées, accomplit de cette manière des actions complexes, souvent très hasardeuses, sans avoir la conscience du danger, et se comporte alors comme l'enfant que le danger ne fait pas non plus trembler, parce qu'il ne le connaît pas. Marcher sur un plan incliné ne présente aucune difficulté pourvu qu'on ignore que ce plan est placé à une grande distance du sol, et nous

grimperions sans peine sur certains toits, s'ils étaient très rapprochés de terre. Le somnambule n'associe que ce qui a des relations avec la masse troublée de ses idées : toutes les autres idées sont pour lui comme si elles n'existaient point. II. voit, il entend, et rien d'étranger au cercle d'idées dans lequel il vit ne le trouble, tant qu'il ne s'éveille pas,

Au sommeil succède le réveil, quand le cerveau a complétement recouvré la faculté de provoquer les états organiques nécessaires à l'exercice de la conception et de la pensée. Les états du corps recommencent alors à faire une vive impression. Mais on peut aussi être tiré prématurément du sommeil, lorsque les sensa-. tions produites par les objets extérieurs ou les images dont se composent les rêves ont assez de vivacité. C'est surtout quand on éprouve en songe de vives émotions, de l'anxiété, etc., qu'on s'éveille aisément; en effet, pendant le sommeil, comme durant la veille, les émotions provoquent des actions matérielles, et l'irradiation se propage peu à peu jusqu'au cerveau de la personne endormie.

Celui qui s'éveille se souvient des dernières impressions dont ses sens ont été frappés, de l'endroit où il est, de la pièce dans laquelle il a dormi, de la ville où il se trouve; la mémoire lui retrace bientôt l'époque de la journée, et il corrige aisément les erreurs dans lesquelles il pourrait tomber à cet égard. Quelquefois le cercle des idées est tellement restreint pendant le sommeil, et si différent du` cours ordinaire des pensées pendant la veille, qu'en s'éveillant on est forcé de recueillir ses esprits pour se rappeler ce que l'on est.

Tous les animaux participent plus ou moins au sommeil, remarque qu'avait déjà faite Aristote. Quelques uns aussi rêvent, comme les chiens qui jappent en dormant. Chez plusieurs, en particulier chez ceux à sang froid, les périodes sont moins tranchées et moins régulières: cependant ceux-là même paraissent éprouver quelque chose qui ressemble au sommeil: les grenouilles, qui coassent une partie de la nuit en été, s'apaisent pour la plupart après minuit, surtout lorsque le temps des amours est passé. On trouve souvent les insectes et les araignées dans un état de repos somnolent, et il est probable que tous les animaux chez lesquels on n'a point observé de périodes régulières de sommeil et de veille, ont un équivalent du sommeil dans l'inertie qui survient de temps en temps chez eux (1).

Dans l'espèce humaine, les complexions abondamment chargées de sucs dorment plus longtemps, et éprouvent un besoin plus impérieux de sommeil. Le contraire a lieu pour les personnes maigres. Le sommeil est moins nécessaire aux hommes vifs, énergiques, difficiles à fatiguer, qu'à ceux qui, ayant également de la vivacité, sont en même temps irritables et s'épuisent promptement. Le sommeil est plus long et plus nécessaire dans la jeunesse que dans l'âge avancé, ce qui paraît tenir à la prédominance des phénomènes de nutrition pendant la première de ces deux périodes de la vie. De là vient que l'enfant nouveau-né dort presque tonjours. Tant que l'activité organisatrice trouve des matériaux suffisants dans la nourriture, l'enfant est très disposé à dormir, et il ne s'éveille que quand il sent le besoin d'aliments. Chez l'adulte aussi, une nourriture abondante porte à la somnolence, tant parce que le système organique est fort occupé et trouble la réaction,

(1) C. F. Burdach (Traité de physiologic, t. V, p. 485 et suiv.) a fait un bon chapitre sur le sommeil, que l'on consulte a avec intérêt.

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