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et se repoussent lorsqu'ils marchent en sens opposé; mais la nature de l'électricité n'en reste pas moins cachée. La mécanique des nerfs repose en grande partie sur le fait expérimental que les fibres nerveuses demeurent séparées les unes des autres dans tout leur trajet. La physique du développement et de la vie des cellules dans les corps organisés deviendra la base d'une théorie des phénomènes les plus compliqués de la plasticité, tant végétale qu'animale. Les phénomènes de l'âme peuvent être soumis à l'observation, comme tous les phénomènes physiques, et la psychologie a, de toute façon, une ressemblance absolue avec les sciences natorelles on y peut observer des faits qui permettent de voir les phénomènes ; mais l'essence de l'âme demeure toujours soustraite à nos investigations.

Ou peut juger d'après ce qui précède quelle est la méthode qui doit être la plus fructueuse dans les sciences naturelles. Les plus importantes vérités dont ces sciences s'enorgueillissent n'ont été trouvées ni par l'analyse d'idées philosophiques, ni par la simple observation, mais par le concours du raisonnement et de l'observation, qui a permis de distinguer ce qu'il y avait d'essentiel et d'accidentel dans les faits, et d'arriver ainsi à des principes d'où l'on déduit beaucoup de phénomènes. C'est là plus que l'observation empirique; c'est, si l'on veut, l'observation philosophique.

Il y a des idées abstraites dans toutes les sciences; ces idées sont l'expression de vérités générales, auxquelles les sens ne peuvent point atteindre, et que l'entendement déduit par voie d'abstraction. Nous n'obtenons ces idées générales qu'en analysant les faits observés. Les sciences naturelles analysent les phénomènes pour s'élever à des notions générales, et comprendre les relations qui existent entre les idées simples des choses. La philosophie a pour domaine proprement dit les idées abstraites et leurs rapports les unes avec les autres, de sorte qu'elle tire ses matériaux de toutes les autres sciences, et qu'elle les unit toutes ensemble par un lien commun. Malgré son affinité avec la méthode philosophique applicable à l'étude de chaque science particulière, elle n'en constitue pas moins une science à part, puisqu'elle s'occupe des idées générales qui servent de base, non pas à telle ou telle science, mais à plusieurs sciences simultanément, comme l'existence, l'essence, le hasard, le changement, la cause, la quantité, la qualité, l'espace, le temps, la matière, l'esprit, etc. Certaines notions générales, telles que celles de force, de matière, de mouvement, de pesanteur, appartiennent plus spécialement à certaines sciences; mais, en tant qu'une science renferme des idées abstraites d'où l'on peut déduire des phénomènes, elle mérite l'épithète de philosophique.

Ame de l'homme et âme des animaux.

Les phénomènes intellectuels s'accordent en plusieurs points et diffèrent en d'autres chez l'animal et chez l'homme. Tous deux se forment des idées avec les impressions qui frappent leurs sens, conservent ces idées et les reproduisent; chez tous deux, il y a association ou attraction des idées suivant certaines règles. Mais l'homme seul parvient à former de plusieurs phénomènes isolés une chose purement intellectuelle, qui ne ressemble à aucun de ces phénomènes, et renferme ce qu'ils ont de commun ensemble: l'homme seul a le pouvoir de créer des idées générales. Dès que ce qu'il y a de commun dans les phénomènes est plus que l'en

semble des caractères les plus fréquents et les moins variables d'une chose capable de tomber sous les sens, l'animal ne peut plus le saisir. On exprimerait donc d'un seul mot la différence entre l'âme de l'homme et celle des animaux, en disant que le y manque à ceux-ci. C'est de la possession du 26yo; que dépendent la puissance créatrice tout entière de l'homme et la faculté de se former un langage, L'âme des animaux ne va pas au delà de concevoir des idées simples après des impressions faites sur les sens, d'associer ces idées ensemble, et de manifester des désirs à leur occasion.

L'association des idées produites par des impressions faites sur les sens s'accomplit, chez les animaux et chez les hommes, d'après la loi de la ressemblance, de la simultanéité, de la succession. Mais l'homme associe aussi des notions abstraites à des idées simples, passant ainsi du général au particulier, pour revenir de celui-ci à une autre idée générale à laquelle il se rapporte également.

Les animaux parviennent sans peine à unir deux choses l'une avec l'autre; mais, quoi qu'on ait pu dire de leur intelligence, ils sont absolument incapables de former une idée générale. Il va sans dire que je laisse de côté tous les phénomènes de l'instinct. Un chien contracte peu à peu l'habitude de s'apercevoir que des chapeaux et des bonnets de formes diverses peuvent être portés sur la tête; mais jamais il n'en déduira l'idée de coiffure. A la vérité, suivant la juste remarque d'Herbart, il se passe, même dans les idées les plus simples d'objets agissant sur les sens, quelque chose d'analogue à ce qui arrive quand nous formons une idée générale; car ce qui reste dans l'âme n'est pas le reflet exact de tous les détails de l'objet, mais seulement une image confuse des caractères les plus constants de cet objet. En ce sens, les animaux aussi ont des idées générales. Un chien reconnaît son maître, qu'il ait la tête nue ou couverte d'une coiffure quelconque, et qu'il porte ou non des vêtements: il reconnaît le même objet, malgré les différences qu'il peut offrir, parce que les traits principaux n'éprouveront aucune altération au milieu de toutes ces nuances; un bâton, quelles qu'en soient les formes et l'apparence, sera toujours pour lui un bâton, à l'idée duquel celle de coups s'associera dans son esprit; mais les idées générales de similitude, d'essence, de permanence, d'accidence, de différence, de variabilité, lui sont inaccessibles. En effet, ces idées générales dépendent de l'action qu'exercent les unes sur les autres certains groupes d'idées simples, tels que A, a, a, a; B, b, b, b; C, c, c, e, dans lesquels les différences se font équilibre jusqu'au point que, finissant par s'effacer complétement, il ne reste plus de chaque groupe que les traits qui sont communs à toutes les branches.

Les phénomènes intellectuels complexes des animaux peuvent être parfaitement adéquates, c'est-à-dire s'adapter très bien aux objets désirés, sans qu'il y ait là rien qui ressemble à des notions générales, rien autre chose que des associations d'impressions reçues par les sens. Le chat qui trouve la porte du logis fermée se couche auprès jusqu'à ce qu'on la lui ouvre, et fait entendre le miaulement plaintif que l'instinct le porte à pousser; la porte lui a déjà été ouverte plusieurs fois dans les mêmes circonstances, et il associe dans son esprit la série des actes qui ont déjà eu lieu, jusqu'à ce que ce qui est exigé par l'association de ces idées simples s'accomplisse réellement. Un homme montrait un singe accroché à un long bâton, et, au moyen d'une corde, il tirait l'animal quand il voulait le faire descendre; mais

si le singe n'était pas disposé à obéir, il saisissait la corde dès qu'il voyait son maître disposé à en faire usage. C'était là le résultat d'associations antérieures d'idées, comme quand un animal s'enfuit au lever du bâton dont il a été frappé, ou comme quand un chien se montre tout confus lorsqu'il est surpris faisant une chose qui lui a déjà valu des corrections.

Les associations qu'exécute l'homme ne consistent pas seulement en des combinaisons d'idées simples qui se rapprochent suivant leur ressemblance, leur simultanéité ou leur succession; à ces idées simples se joignent toujours des notions générales. De l'idée du bleu, l'esprit passe à celle de la peinture, puis successivement à celle de Raphaël, de la beauté, de tel ou tel objet beau, et ainsi de suite du général au particulier, et de celui-ci à d'autres notions générales, puis à d'autres idées particulières: ces transitions ont lieu à notre insu ou d'une manière obscure dans l'association ordinaire; mais, quand nous pensons, nous comparons avec conscience le général au particulier, et nous les faisons servir tous deux à leur mutuelle élucidation.

Les désirs et les passions existent, et avec la même intensité, chez l'homme et les animaux. Mais les passions des animaux ne se rapportent point à des idées générales; elles n'ont pour objet que ce qui agit sur les sens. L'attachement et la fidélité de ces animaux dépendent de l'association entre des impressions de plaisir ét l'image d'une personne déterminée. Les hommes et les animaux cherchent ce qui leur est agréable, et fuient ce qui leur est désagréable; mais l'homme seul est affecté agréablement ou désagréablement par des idées générales et des pensées.

On peut conclure de ce qui précède que l'âme de l'homme et celle des animaux diffèrent, non pas seulement par l'obscurité et la lucidité des conceptions, mais par la simplicité et la complexité de ces mêmes conceptions, et par l'action qu'elles exercent réciproquement les unes sur les autres. La conception la plus simple, celle dans laquelle il ne se produit pas la moindre notion générale, peut être fort claire. Mais la formation des idées générales consiste si peu en une conception plus nette des idées simples, qu'au contraire elle suppose que tous les traits dissemblables d'une masse d'idées simples s'obscurcissent mutuellement, jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'une abstraction, une idée générale. S'élever à des notions géné rales, penser, est un acte plus complexe; voilà pourquoi, pendant le sommeil, et sous l'influence de la fièvre, quand l'affection du cerveau rabaisse la faculté de concevoir à son plus bas degré, on peut très bien associer des idées à la manière des animaux, mais on est incapable de penser.

SECTION II.

DES PHÉNOMÈNES INTELLECTUELS.

L'action de l'âme consiste à concevoir des idées et donner des impulsions; elle ne produit rien autre chose. Mais ces phénomènes diffèrent, soit en eux-mêmes, car ils sont tantôt simples et tantôt complexes, soit en raison de leur mode d'union

les uns avec les autres, de leur influence les uns sur les autres, et de leur connexion avec les actions du corps. La conception, les relations des idées et leurs effets les unes sur les autres portent le nom d'entendement: on appelle passions les impulsions et leurs rapports tant entre elles qu'avec les idées (1).

CHAPITRE PREMIER.

De la conception.

L'idée est ce que l'àme a la conscience d'éprouver après des impressions faites sur les sens, ou par les actions de notre propre corps. Elle persiste plus ou moins longtemps après avoir été excitée, et elle correspond soit aux impressions ellesmêmes qui ont été faites sur les sens, soit à ce qu'il y a de général dans plusieurs de ces impressions. On peut la regarder comme un mode déterminé de réaction de l'âme sous l'influence d'une impression également déterminée, c'est-à-dire comme une énergie, dans le sens que les physiologistes attachent à ce mot. Nous n'avons d'idée de rien autre chose que des impressions faites sur nos sens, des états de notre corps, des notions générales que nous déduisons de là, et des rapports qu'ont entre elles les idées simples et les idées générales. L'idée d'une tache bleue, de tel ou tel son, de telle ou telle matière, de tel ou tel tableau, dé tel on tel espace, sont des idées simples. On peut citer comme exemples d'idées générales celles de couleur, de son, 'de saveur, d'odeur, de vertu, de force, etc. Les idées sont donc simples ou générales suivant qu'elles reconnaissent pour source les organes des sens et l'entendement. Mais il y a des idées composées des unes et des autres: je puis, par exemple, me représenter un homme dans une certaine disposition d'esprit.

Idées simples.

Quelle relation y a-t-il entre l'idée et la sensation, entre avoir l'idée du blen et voir du bleu, entre avoir l'idée d'une mélodie et l'entendre? On sait qu'après toutes les impressions faites sur nos sens il resté une sensation consécutive qui souvent dure bien plus longtemps que la cause par laquelle elle a été déterminée. L'idée qui provient de la sensation, et que nous pouvons ensuite rappeler par le moyen de la mémoire, est-elle un reste de cette sensation, devenue seulement plus pâle et plus faible, de manière qu'entre l'idée et la sensation du bleu, il n'y aurait qu'une simple différence d'intensité? Mais nous pouvons très bien distinguer l'idée vive d'une couleur des dernières traces d'une sensation réelle; nous pouvons, en voyant une tache jaune, nous faire l'idée d'une tache bleue. Il paraît, d'après cela, qu'il y a une différence absolue entre concevoir une idée et sentir une qualité qui agit sur nos sens; sentir exige l'énergie d'un organe sensoriel, qui n'est

(1) J.-C. COLLINEAU, Analyse physiologique de l'entendement humain, d'après l'ordre dans lequel se développent et s'opèrent les mouvements sensitifs, intellectuels, affectifs et moraux. Paris, 1843,

pas nécessaire pour se former des idées. Le rapport de la conception à la sensation est donc celui d'un signe à une chose, mais d'un signe qui n'appartient qu'à une chose déterminée, et dont l'espèce dépend par conséquent de la sensation.

A l'appui de cette manière de voir on peut alléguer surtout la possibilité de concevoir des idées qui ne sauraient être, dans aucun cas, des sensations affaiblies, puisqu'elles ne renferment que ce qu'il y a de général dans plusieurs sensations, comme l'idée de couleur ou celle de sensation. Et qu'on n'objecte pas qu'il n'existe point d'idées simples de ce genre, que l'esprit se représente toujours quelque chose de déterminé, de spécial; car, dans nos jugements, dans notre pensée, nous savons distinguer l'idée de la couleur en général de l'idée d'une couleur déterminée, distinction sans laquelle il n'y aurait pas moyen de comparer les idées générales avec leur contenu.

L'idée d'un objet sensible diffère donc de la sensation au point de vue de la qualité c'est un fait de conscience, tandis que la sensation est à la fois sentie par l'énergie du sens et perçue par la conscience; la première est un signe de la seconde. On ne se trompe certainement pas en disant que des idées peuvent produire des images dans les organes des sens, mais c'est là un phénomène complexe. L'idée est en quelque sorte à la sensation ce qu'un mot est à une chose, on une mélodie écrite à la mélodie elle-même.

De ce que, quand un objet agit une nouvelle fois sur nos sens, nous le reconnaissons au moyen de l'idée qui nous est restée, il s'ensuit, non pas qu'il y a similitude ou analogie entre l'idée et la sensation de cet objet, mais que chaque sensation provoque une idée déterminée, et que la sensation reproduit toujours la même idée. Si donc ce n'est pas la sensation, mais l'idée, que nous conservons, l'idée reparaîtra de la même manière que la première fois quand la sensation se renouvellera, et la ressemblance complète qu'il y aura entre elle et celle qu'avait produite la première sensation nous obligera d'admettre identité entre les idées. C'est ainsi que les caractères de l'écriture rappellent en 'nous des idées sans qu'ils aient de ressemblance réelle avec le contenu de ces mêmes idées.

Il n'est pas nécessaire que l'idée d'objets qui ont de l'étendue en ait également. Au contraire, l'idée peut avoir la même relation avec l'objet qui frappe les sens, que l'expression d'une figure dans une équation algébrique avec la figure ellemême, ou que les infinitésimales avec les intégrales dans le calcul différentiel. Quoique nous ignorions si les objets visibles sont perçus dans le nerf optique ou dans le cerveau, on peut admettre que les images d'objets sensibles se forment toujours aussi dans les organes qui reçoivent les impressions, et qu'en conséquence elles ont, comme celles-ci, de l'étendue. Cette hypothèse a été proposée et déve loppée par Henle (1), qui s'est principalement fondé sur les images que notre mé moire conserve après qu'on s'est longtemps occupé d'un objet sensible, et qui, fort différentes des sensations consécutives, semblent, longtemps après la sensation, se dresser tout à coup devant les yeux, avec la netteté de celles que produirait un objet dont notre vue serait actuellement frappée. L'anatomiste qui s'est occupé toute une journée de disséquer une même partie, dont l'image s'est pour ainsi dire gravée dans son œil, voit quelquefois, après plusieurs jours de repos ou de travaux

(4) Sur la mémoire des sens, dans Wochenschrift fuer die gesammte Heilkunde, 1838, p.48.

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