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ment ensemble. Quand bien même on pourrait distinguer la direction de l'ébranlement sur le nerf, on n'aurait pas moins, dans le dernier cas, tout autant de fondement à placer le son dans une direction que dans la direction opposée.

Les ventriloques profitent de l'incertitude que présente la distinction de la direction du son, et du pouvoir de l'imagination sur le jugement; ils parlent dans une certaine direction, et font comme s'ils entendaient le son venir de là.

Nous ne sentons pas la distance du son, mais nous jugeons d'elle d'après l'intensité de celui-ci. Le son lui-même occupe toujours la même place dans notre oreille; mais nous plaçons hors de nous le corps qui le produit. Il suffit d'assourdir la voix et de la rendre telle que nous l'entendons dans le lointain, pour faire croire à son éloignement, ce qui se pratique dans la ventriloquie.

Mais l'imagination influe aussi sur l'acte même de la sensation, et celle-ci devient plus vive par le fait de l'attention. Elle parvient alors à distinguer un bruit déterminé parmi plusieurs autres ou parmi des sons nombreux, et à suivre le jeu d'un seul des instruments dans un orchestre. Si deux personnes nous disent des choses différentes, chacune dans une oreille, les deux impressions se mêlent ensemble; ce n'est qu'à l'aide d'un effort soutenu d'attention, et par la différence du timbre des deux sons, qu'il nous est donné de suivre l'une des deux séries, et de rendre notre ouïe plus ou moins inaccessible à l'autre série, qui agit sur nous comme un bruit distrayant. Accroître volontairement l'attention qu'on consacre à des sons, s'appelle écouter. Lorsque l'intention de l'âme tombe sur ce qui est apporté au sensorium commune par les nerfs auditifs, nous n'entendons même point le son existant. Mais souvent aussi nous n'entendons faiblement une chose que parce qu'une autre occupation, qui absorbe notre attention, nous empêche de l'écouter, et qu'ensuite nous nous souvenons du son; un phénomène analogue a lieu dans d'autres sens. Les actes contraires de l'imagination se troublent en quelque sorte les uns les autres, comme il arrive à des ondes douées de qualités opposées, qui, après s'être traversées réciproquement, continuent à marcher chacune de son côté.

VI. Prolongation de la sensation auditive.

Déjà les expériences de Savart, qui ont été rapportées précédemment, établissent que l'impression des ondes sonores sur les nerfs auditifs dure un peu plus longtemps que le passage du son à travers l'oreille. Mais une longue durée ou une répétition fréquente du même son fait persister bien davantage la sensation consécutive dans le nerf, et la maintient même au delà de dix à onze heures, comme le savent fort bien ceux qui ont passé plusieurs jours de suite dans une pesante chaise de poste; arrivés à leur destination, ils continuent pendant longtemps d'entendre du bruit dans leurs oreilles.

On peut juger d'après cela que la sensation du son, comme tel, ne dépend point en dernière instance, de l'existence des ondes sonores, et que le son, comme sensation, tient à un état du nerf auditif, qui peut bien être excité par des ébranlements, mais qui est possible aussi d'une autre manière. On a cru expliquer les sensations consécutives, dans le sens de la vue, en admettant que la lumière, supposée matière, est retenue pendant quelque temps par la rétine, comme dans le cas où elle vient à être absorbée. Pour ce qui concerne le sens de l'ouïe, la fausseté de

cette hypothèse saute tout de suite aux yeux. Il n'y a point ici de matière excitante qui puisse être retenue, et, pour que les ondes déterminées par l'ébranlement persistassent, il faudrait que le principe nerveux lui-même éprouvât, dans le nerf auditif, des fluctuations qui se succédassent jusqu'à ce que l'équilibre fût rétabli.

VII. Audition double.

A la double vue du même objet par les deux yeux correspond la double audition par les deux oreilles; à la double vue avec un œil, à cause de l'inégalité dans la réfraction, la double audition avec une oreille, à cause de l'inégalité dans la transmission.

Le premier mode d'audition double est fort rare. Sauvages et Itard (1) en citent des exemples. Dans l'un des deux cas de Sauvages, outre le son fondamental, l'individu entendait encore son octave, ce qui serait difficile à expliquer, si le fait était exact. Chez le sujet dont parle Itard, des sons d'une acuité différente étaient entendus par les deux oreilles. Il est probable que les faits de cette nature deviendraient moins rares si l'on observait avec plus d'attention. J'ai m i-même été une fois tourmenté par une sorte de retentissement sur un ton plus élevé, qui me frappait lorsque j'entendais des sons d'une force modérée, tels que ceux de la voix humaine; mais ce phénomène fut très passager, et il ne s'est point reproduit; je ne sais pas non plus si le retentissement provenait d'une inégalité d'action des deux oreilles.

Le second mode d'audition double dépend non de l'inégalité d'action des deux oreilles, mais du défaut d'uniformité dans la manière dont deux milieux différents transmettent un même son à l'organe auditif. On peut le produire en écoutant avec une oreille, dans l'air, le son d'une petite cloche qui tinte dans l'eau, pendant que, de l'autre oreille bouchée, on écoute les vibrations que le liquide lui transmet a l'aide d'un conducteur. Les deux sons diffèrent l'un de l'autre eu égard à l'intensité et au timbre. Il en est de même lorsqu'au moyen d'un sifflet fermé par une membrane et plongé dans l'eau, on produit un son qui arrive à une oreille par l'air, et à l'autre oreille bouchée par le conducteur plongé dans l'eau,

VIII. Finesse de l'ouïe.

Il faut distinguer pour la vue plusieurs genres de perfection, qui portent sur la faculté de voir à des distances diverses, ainsi que sur celle de reconnaître le champ des particules de la rétine, de distinguer la clarté et l'obscurité, d'apprécier les nuances des couleurs. Le sens de l'ouïe ne se prête à aucun parallèle avec la première de ces quatre facultés, non plus qu'avec la seconde. Mais, de même que tel homme ne voit bien qu'au grand jour, et tel autre qu'à une lumière modérée, de même l'ouïe n'a pas la même aptitude chez tous à distinguer les sons graves et aigus. Et comme un sujet doué d'une bonne vue peut cependant mal apprécier les couleurs, et manquer totalement de sens pour juger de leur harmonie et de leur défaut d'harmonie, ainsi un homme qui entend bien, qui saisit même le moindre bruit, peut être incapable d'établir des distinctions musicales entre les sons, de

(1) Traité des maladies de l'oreille et de l'audition, Paris, 1842, t. I, p. 398.

sentir l'harmonie et la dissonnance, tandis qu'il est possible qu'un autre, avec l'ouïe faible, possède cette faculté à un haut degré. Certains individus entendent très bien d'une manière générale; mais les limites de l'audition pour les sons aigus sont fort peu étendues chez eux. Wollaston en a observé des exemples. Les personnes qui ont l'ouïe dure entendent quelquefois encore les sous fort aigus avec facilité. Il paraît, d'après ce qui a été dit précédemment, que ce phénomène peut dépendre, entre autres, d'une trop grande tension de la membrane du tympan par une cause quelconque. Certains sourds entendent mieux les sons faibles quand on fait beaucoup de bruit autour d'eux. Willis a décrit deux cas de ce genre, relatifs, l'un à une personne qui ne pouvait suivre un entretien qu'autant qu'on battait de la caisse auprès d'elle, et l'autre à un individu qui n'entendait que pendant le jeu des cloches. D'autres exemples ont été vus par Holder, Bachmann et Fielitz (1). Cet effet peut tenir à la torpeur du nerf auditif, qui a besoin d'excitement pour déployer toute l'énergie de son action. Le pouvoir qu'ont certains sourds d'entendre tels ou tels sons aussi bien que d'autres personnes, au milieu d'un grand bruit, peut aussi dépendre de ce que le bruit les trouble beaucoup moins (2). Tel devait être, par exemple, le cas de celui qui, dans une voiture fermée, prenait part sans difficulté à l'entretien de ses compagnons de voyage; les autres, disait-il, n'entendent pas aussi bien que moi la voix des personnes qui parlent dans la voiture, parce qu'ils entendent davantage le bruit du roulement. La finesse excessive de l'ouïe provient d'une trop grande irritabilité du nerf auditif, et correspond à la photophobie. On ignore quelles sont les causes qui font que tel ou tel n'a point l'oreille musicale; mais quiconque manque de cette aptitude, sera toujours un mauvais chanteur, eûtil d'ailleurs une belle voix.

IX. Sons subjectifs.

Les sons purement subjectifs sont ceux qui tiennent, non à des ondes impulsives, mais à un état d'excitation dans le nerf auditif; car, quelque excitation qu'éprouve ce nerf, il la ressent comme son, il l'entend. Tels sont les tintements et bourdonnements d'oreilles chez les personnes qui ont les nerfs délicats ou le cerveau malade, et chez celles dont le nerf auditif lui-même est le siége d'une lésion; tel est encore le bruissement qu'on discerne dans ses oreilles après avoir longtemps couru dans une voiture dure. Quelques unes des expériences de Ritter sur l'électricité ont été accompagnées de manifestation d'un son dans l'oreille : ici l'affection du nerf auditif est déterminée par le seul courant du fluide électrique, qui donne lieu à une sensation de lumière dans l'œil, à une sensation tactile dans les nerfs du toucher, à la sensation d'une odeur phosphoreuse dans les nerfs olfactifs, à celle d'une saveur aigrelette ou âcre dans les nerfs gustatifs. On peut consulter à cet égard ce que j'ai dit dans l'introduction à la physiologie des sens.

Il faut distinguer les sons purement subjectifs de ceux dont la cause ne réside pas uniquement dans le nerf auditif, mais tient à un son qui s'est produit dans les organes eux-mêmes de l'audition. Ici se range le bruissement qui s'observe dans les cas de congestion vers la tête et l'oreille, ou dans ceux de dilatation anévrisma

(1) Voy. MUNCKE, dans GEHLER'S Physic. Warterbuch, t. IV, p. II, p. 1220. (2) DE GERANDO, De l'éducation des sourds-mucts. Paris, 1827, 2 vol. in-8.

tique des vaisseaux. Souvent même on entend déjà, sous la forme d'un sifflement saccadé, le simple bruit de la circulation du sang dans l'oreille. Ici prennent place encore, et le craquement qui accompagne la contraction des muscles des osselets de l'ouïe, et le bruit qu'on entend lorsque les muscles du voile du palais se contractent, qu'on bâille, que l'on condense l'air de la caisse tympanique de manière. à tendre la membrane du tympan, qu'on se mouche, qu'on abaisse violemment la mâchoire inférieure, etc.

Le bourdonnement d'oreille qui accompagne l'oblitération de la trompe d'Eustache ne peut point encore être expliqué d'une manière suffisante.

Henle présente cette particularité individuelle qu'en passant légèrement le doigt sur sa joue, il excite un bruissement dans son oreille. Ceci peut dépendre d'une action réflexe du nerf facial sur le cerveau, et par suite sur le nerf acoustique, ou aussi d'un mouvement réflexe des muscles des ossclets de l'ouïe.

X. Sympathies du nerf auditif.

Les excitations du nerf auditif peuvent déterminer et des mouvements et même des sensations dans d'autres sens. L'un et l'autre effet a lieu vraisemblablement d'après les lois de la réflexion, par l'intermédiaire du cerveau. Un bruit violent produit, chez tous les hommes, le cillement des paupières, et, chez les personnes qui ont les nerfs délicats, une secousse par tout le corps.

Les sensations qui succèdent à des impressions auditives sont principalement des sensations tactiles. Chez les personnes à système nerveux impressionnable, un son inopiné est quelquefois suivi d'une sensation tactile désagréable, comme d'une commotion électrique dans le corps entier, ou même d'une sensation tactile dans l'oreille externe; certains bruits, comme le frottement du papier, le frôlement du verre et autres semblables, causent à beaucoup d'individus une sensation désagréable dans les dents, ou un frisson par tout le corps.

Certains hommes sont sujets à ce que l'eau leur vienne à la bouche quand ils entendent des sons violents.

Tiedemann (1) et Lincke (2) ont réuni plusieurs exempies de sympathies qui se rapportent ici.

L'ouïe peut, en outre, subir des altérations ayant pour point de départ beaucoup de parties du corps. Elle est surtout susceptible de s'altérer dans les maladies du bas-ventre et dans les affections fébriles. Tout porte à croire qu'en pareil cas aussi, les parties centrales du système nerveux servent d'intermédiaire.

(1) Zeitschrift fuer Physiologie, t, I, cah. 2.

(2) Loc. cit., p. 567.

SECTION III.

DU SENS DE L'ODORAT.

CHAPITRE PREMIER.

Des conditions physiques de l'olfaction.

Le sens de l'odorat (1) n'agit, dans la règle, qu'à l'occasion d'impressions maté rielles et de changements correspondants subis par le nerf olfactif. Comme celui du goût, il est susceptible d'une infinité de modifications, toutes relatives au mode de l'impression matérielle.

La première condition de l'odorat est le nerf spécifique, dont les changements matériels sont sentis sous la forme d'odeurs; car nul autre nerf ne transmet cette sensation, même lorsqu'il est sollicité par des causes identiques, et la substance qui a de l'odeur pour le nerf olfactif a de la saveur pour le nerf gustatif, et elle peut être âcre, brûlante, etc., pour le nerf tactile. Kant disait que l'odorat est un goût à distance; cette manière de s'exprimer ne me semble pas exacte.

La seconde condition de l'odorat est un état déterminé du nerf olfactif, ou un changement matériel et spécial de ce nerf par le stimulus, c'est-à-dire par ce qui est susceptible de porter une odeur.

Les choses susceptibles de faire naître la sensation des odeurs sont, chez les animaux aériens, des substances répandues dans l'air, en molécules extrêmement ténues, et des émanations gazeuses, souvent si subtiles que nul réactif ne saurait en indiquer la présence, si ce n'est précisément le nerf olfactif. Chez les poissons, les matières susceptibles d'affecter l'odorat sont contenues dans l'eau. Le défaut absolu de connaissances physiques sur la manière dont les substances odorantes se répandent nous laisse incertains de savoir si elles sont dissoutes dans l'eau, comme le serait un gaz absorbé par ce liquide. On conçoit, d'ailleurs, que leur état de dissolution dans l'eau ne saurait être un motif de refuser l'odorat aux poissons; car l'essentiel de la sensation olfactive ne tient pas à la nature gazeuse de la matière odorante, mais à la sensibilité spécifique du nerf olfactif, à la différence qui existe entre cette sensibilité et celle de tous les autres nerfs sensoriels. Chez les animaux aériens eux-mêmes, les odeurs sont obligées de se dissoudre dans le mucus de la membrane pituitaire avant de pouvoir affecter le nerf olfactif, et il doit s'opérer là un mode d'expansion analogue à celui de la répartition d'une matière odorante dans l'eau, De même, le nerf gustatif n'est pas seulement sensible aux choses sapides, liquides ou solides, car il y a des corps gazeux, comme l'acide sulfureux et plusieurs autres, qui donnent lieu à des saveurs, lorsqu'ils se dissolvent dans l'humidité qui recouvre la langue. On peut donc très bien concevoir qu'un même principe provoque des sensations différentes dans le nerf olfactif et dans le nerf gustatif, l'odeur dans (1) H. CLOQUET, Osphrésiologie. Paris, 1824.

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