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tères noirs de l'écriture toutes les fois que les moyens internes de changer l'état de réfraction sont paralysés par une affection morale, par un travail d'esprit assidu, par l'envie de dormir. Les bandes colorées dioptriques deviennent très fortes lors qu'au moyen de l'extrait de belladone on détruit la faculté qu'a l'œil de s'accommoder aux distances.

Il faut distinguer les auréoles lumineuses colorées des bandes colorées dioptriques.

CHAPITRE III.

Des effets de la rétine, du nerf optique et du sensorium dans la vision.

Tous les phénomènes qui ont été examinés dans le chapitre précédent découlent de la structure optique de l'œil, c'est-à-dire de la construction des milieux transparents placés au-devant de la rétine. D'autres, très nombreux, ne sauraient être expliqués de la même manière; ils tiennent aux propriétés vitales de la rétine, au conflit qui a lieu entre cette membrane et le sensorium. Tels sont, non seulement l'acte de la sensation elle-même et la perception comme lumière et couleurs du changement qui a eu lieu dans la rétine, mais encore la conversion des images de la rétine en intuitions de l'espace, de la distance, de la corporalité et de la grandeur des objets. Tels sont encore le conflit entre les diverses parties de l'appareil sensitif, et beaucoup de phénomènes que la lumière extérieure ne fait point naître, ou du moins ne provoque qu'indirectement dans la rétine.

I. ACTION DE LA RÉTINE ET DU SENSORIUM DANS LA VISION,

A. Action de la rétine et du sensorium.

J'ai démontré, dans l'introduction à la physiologie des sens, que la rétine ne se borne pas à transmettre des effets du dehors, et qu'elle réagit aussi sur eux. La lumière et la couleur sont des actions de cette membrane nerveuse et de ses prolongements au cerveau. Du mode de l'impression extérieure, il dépend que telles ou telles couleurs, telles ou telles images claires soient senties: aussi la manière d'agir de la rétine est-elle si peu inconnue, que sa propriété, généralement appréciée, de voir des couleurs et de la lumière, quand elle vient à être irritée, est le phénomène fondamental sur lequel reposent toutes les recherches ayant trait à la vision. Les vibrations d'un fluide répandu dans l'univers entier, et qu'on nomme éther, produisent, avec une certaine vitesse d'ondes, la sensation de telle couleur, et, avec une autre vitesse, celle de telle autre couleur, qui, l'une et l'autre, sont l'effet de la réaction de la rétine. L'irritation d'un même point de cette membrane par des ondes de vitesse diverse donne lieu à la sensation du clair. Mais les mêmes sensations se développent aussi sans le concours des vibrations de l'éther, quand la rétine est irritée, ou par l'électricité, ou par la compression.

Puisque ce sont les changements de la rétine que nous sentons lorsque nous

Fig. 134.

voyons, on peut dire aussi que, durant l'acte de la vision, cette membrane se sent elle-même, ou que le sensorium la sent dans un état quelconque. Le repos de la rétine est la cause de l'apparition de l'obscurité devant les yeux; son activité est celle de la clarté du champ visuel dans la sensation. En certaines circonstances, on la voit faire naître en elle des images sans nul objet extérieur. Tel est le cas, non seulement des figures que l'électricité et la compression déterminent, mais encore d'un phénomène que Purkinje a observé le premier, ét dont je dois parler ici. Si, dans un espace obscur, on promène ou fait tourner devant ses yeux une bougie de six pouces (1), on aperçoit, au bout de quelque temps, une figure obscure et ramifiée, dont les branches s'étendent sur le champ visuel entier, et qui n'est autre chose que l'expansion des vaisseaux centraux de la rétine, ou celle des parties de la membrane qui sont couvertes par ces vaisseaux. A proprement parler, il y a deux figures arborisées, dont les troncs ne se couvrent pas, mais naissent dans

la partie droite et la partie gauche du champ visuel, en s'écartant sur-le-champ l'un de l'autre. A chaque ceil appartient un tronc; les branches des deux figures s'entrelacent dans le champ commun. Ces figures naissent de la manière suivante. Le mouvement de la bougie à droite et à gauche répand de la lumière sur le pourtour entier de la rétine, et tous les points de cette membrane qui ne sont pas couverts immédiatement par les vaisseaux centraux reçoivent une lueur pâle, tandis que ceux qui sont couverts par les vaisseaux ne peuvent être éclairés, et paraissent en conséquence obscurs, sous la forme d'arbres noirâtres. L'expérience réussit très bien chez la plupart des hommes; chez quelques uns, elle présente des difficultés, ou même échoue. Les figures rameuses semblent être placées au-devant des yeux, et voltiger dans le champ visuel.

Cette expérience donne une preuve convaincante de la réalité du fait qu'en voyant nous sentons les états de la rétine, et rien autre chose, et que cette membrane est en quelque sorte le champ visuel lui-même, obscur dans l'état de repos, clair dans celui d'excitation.

Mais l'un des problèmes les plus difficiles est celui du conflit entre la rétine et le sensorium, dans l'acte de la vision. On peut dire que cette partie de la physiologie des sens est entièrement métaphysique, puisque nous manquons jusqu'à présent de moyens empiriques pour nous aider à concevoir ce conflit. Où l'état de la rétine est-il senti? Est-ce dans la rétine elle-même, ou dans le cerveau?

(1) La figure 134 représente l'arborisation dont il est question dans le texte; elle ressemble parfaitement à la figure qu'Arnold a donnée (Tab. anatom., fasc. II, tab. III, fig. 5 et 6) de la distribution des vaisseaux centraux sur la surface de la rétine.

Si les états des particules de la rétine n'arrivent à la sensation que dans le cerveau, il faut que le nerf optique les transmette à cet organe dans le même ordre que les particules de la membrane observent les unes par rapport aux autres. A chaque parcelle de la rétine doit correspondre une fibrille du nerf. L'expérience ne s'accorde nullement avec cette hypothèse. Si l'on compare l'épaisseur du nerf optique avec l'expansion de la rétine, il paraît y avoir peu d'espoir d'arriver à un semblable accord; car le nombre des fibres du nerf semble être beaucoup plus petit que celui des papilles de la membrane. L'accord ne pourrait donc avoir lieu qu'autant que les fibres dites primitives du nerf optique contiendraient encore une multitude d'éléments infiniment plus petits: cependant il faut penser que la sensation n'est bien nette qu'au milieu de la rétine; or, si l'on admet que les extrémités des fibres sont très serrées les unes contre les autres en cet endroit, mais qu'en dehors elles se trouvent séparées par des intervalles de plus en plus grands, une partie des difficultés s'efface. La sensation est aussi nette au milieu de la rétine, et aussi confuse sur ses côtés, que si une extrémité de fibre nerveuse correspondait à chaque parcelle de l'image dans le premier point, tandis que, sur les côtés, une seule fibre correspondrait simultanément à plusieurs parcelles de cette image, ou que si chaque fibre du bord recevait l'impression sur une partie de sa longueur, tandis que chaque fibre du centre serait affectée seulement par son extrémité punctiforme. Il importerait beaucoup ici de savoir comment les papilles nerveuses de la rétine, observées par Treviranus, se comportent à l'égard de la couche fibreuse de la membrane, et si chaque fibre nerveuse se replie réellement en une papille, comme le dit ce physiologiste, ou si à chaque fibre correspondent des séries entières de papilles. Mais comment une fibre pourrait-elle transmettre jusqu'au sensorium les changements de séries entières de molécules matérielles sur sa longueur, si la sensation des lieux ne doit naître que dans le sensorium? Si la représentation des sensations n'a lieu que dans le cerveau, par les extrémités des fibres nerveuses, une fibre ne peut représenter qu'en un seul point toutes les affections survenues dans des parties aliquotes de sa longueur. Si, au contraire, la sensation des différents lieux s'effectuait dans les parties aliquotes de la longueur d'une fibre, il faudrait se figurer l'âme agissant dans chaque particule de la longueur de cette fibre, hypothèse contre laquelle parlent, pour ce qui concerne les nerfs rachidiens, les observations faites sur les sensations qu'éprouvent les amputés. Cette difficulté disparaîtrait en supposant que les nerfs des sens supérieurs participent plus à l'action de l'âme que les autres nerfs, de sorte que l'âme continuerait d'agir jusqu'aux extrémités nerveuses de la rétine, les nerfs sensoriels n'étant que des prolongements du sensorium. Dans l'état présent de la science, il est totalement impossible de résoudre cette énigme.

De quelque manière que les choses se passent, ce qu'il y a de certain, dans tous les cas, c'est qu'après la perte de la rétine ou de la partie extérieure du nerf optique, les portions intérieures ou cérébrales du sens de la vue ne peuvent plus produire non seulement les sensations de lumière, mais même les intuitions d'un champ visuel dans lequel des images soient vues. Ici se rangent les phénomènes remarquables observés par Lincke. Un homme auquel on avait extirpé un œil cancéreux voyait, le lendemain de l'opération, quand il fermait l'oeil sain, différentes images voltiger au-devant de son orbite vide, comme des lumières, des cercles de

feu, de nombreux personnages dansants (1). On avait déjà remarqué souvent des phénomènes analogues sur des personnes totalement aveugles (2). Il paraît découler de là que les affections des fibres nervenses du nerf optique ne sont employées que dans le cerveau à la construction d'un champ visuel, et il s'ensuivrait aussi, comme conséquence, que toute la mosaïque de la rétine serait représentée dans le sensorium par un nombre correspondant de fibres nerveuses, ce dont on ne peut donner la démonstration empirique.

Le conflit entre les parties terminales et les parties centrales de l'appareil visuel est donc encore fort obscur, et nous sommes obligés de nous en tenir au fait que tout ordre régnant parmi ce que nous voyons dans le champ visuel dépend de l'ordre des particules de la rétine qui viennent à être affectées.

B. Grandeur du champ visuel dans la représentation.

La grandeur du champ visuel dépend de celle de la rétine; car on ne saurait jamais voir en même temps plus d'images qu'il n'en peut tenir à la fois sur la rétine entière. En ce sens, la rétine sentie par le sensorium est le champ visuel lui-même. Mais, pour la représentation de celui qui voit, le champ visuel n'a point de grandeur déterminée, et la représentation que nous avons de l'espace au-devant de nous varie à l'infini, tantôt fort petite, tantôt extrêmement grande. En effet, la représentation de ce que nous voyons le projette en dehors de nous, par des motifs qui seront déduits plus tard: aussi le champ visuel est-il très petit quand cette représentation se trouve bornée par des obstacles situés au-devant de l'œil, et très grand, au contraire, lorsque la projection hors de nous ne rencontre pas d'obstacles. Le champ visuel est très petit dans la représentation lorsque nous voyons à travers un étroit corps creux placé devant notre œil, grand lorsque nous contemplons un paysage à travers une petite ouverture, plus grand encore quand nous regardons par la fenêtre, et aussi grand que possible quand nous sommes en plein air, où rien ne gêne notre vue. Dans tous ces cas, la représentation de la grandeur du champ visuel diffère beaucoup, et cependant sa grandeur absolue est toujours la même, c'est-à-dire dépendante de l'étendue de la rétine. En effet, comme je l'ai déjà dit, il nous est impossible de jamais voir plus d'images à la fois qu'il n'y a de place pour elles sur la rétine. Cependant, quoique, en regardant un paysage à travers une ouverture, son image entière ne soit pas plus grande que l'ouverture, et occupe sur la rétine le même espace que le pourtour de cette dernière, la représentation d'un même champ visuel n'en est pas moins extrêmement variée. Il suit donc de là que l'imagination joue toujours un rôle dans la vision, à tel point qu'on aurait finalement de la peine à établir ce qui lui appartient et ce qui est du ressort de la simple sensation. Si nous pouvions, à l'âge adulte, faire abstraction de l'imagination quand nous voyons, il ne resterait plus que la sensation nue, ce qui est peut-être le cas chez l'enfant nouveau-né. Pour l'enfant, qui n'a encore aucune idée du voisinage ou de l'éloignement de ce qu'il voit, le champ visuel devrait paraître également grand quand il regarderait dans un tuyau fermé au

(1) De fungo medullari. Leipzick, 1834.

(2) MUELLER, Ueber die phantastischen Gesichtserscheinungen. Coblentz, 1826.

bout, ou quand il verrait le paysage entier à travers le même tube, mais ouvert. De ces considérations il suit encore que la simple sensation de ce qu'on voit doit être quelque chose de primitif et d'indépendant des représentations.

Fig. 135.

Tout ce qui apparaît sous le même angle optique arb n'a non plus, sur la rétine, qu'une image de même grandeur ab. Les objets d, e, f, g, h, très différents de grandeur et placés à des distances diverses, ont le même angle optique et la même image ab sur la rétine. Cependant leur image diffère beaucoup, pour la représentation, dès que des idées de proche et de loin se sont développées ; car la représentation agrandit successivement le champ visuel de d, e, f, g, h, et l'image ab de la rétine se trouve peinte par elle à l'âme aussi grande qu'elle le serait si l'objet était vu de près, c'est-à-dire dans les conditions les plus ordinaires de la vision. D'après cela, un paysage ab peint sur la rétine, sous l'angle optique axb, peut être représenté ayant des lieues d'étendue, si nous savons que telle est réellement sa grandeur, ou si, de la quantité d'objets connus que nous découvrons en même temps, nous concluons qu'il doit l'avoir. Et de même que des images d'un même angle optique sont représentées diversement grandes dans le champ visuel, de même aussi le champ entier des particules affectées de la rétine, dont la grandeur absolue demeure constamment la même, est représenté avec des diversités infinies dans son étendue : c'est ce qui fait qu'en contemplant l'image dans une chambre obscure, on la prend pour un paysage vivant, pour le véritable champ visuel lui-même, quoique ce ne soit qu'une très petite image projetée sur une table. La même action de projeter hors de nous dans la représentation fait naître aussi la représentation de la profondeur dans l'espace, idée à la consolidation de laquelle ce qui contribue le plus, c'est que, quand nous marchons en avant, d'autres images s'offrent à notre rétine, de sorte que nous semblons cheminer, pour ainsi dire, entre des images, ce qui, pour la représentation, produit le mème effet que si nous passions réellement entre les objets vus dans l'espace.

Il est donc clair que le champ visuel représenté est extrêmement variable, tandis que celui de la sensation simple dépend absolument de l'étendue de la rétine ou des parties centrales internes de l'appareil visuel dans le cerveau. Ce qui correspond le mieux à ce dernier, c'est la sensation que nous éprouvons dans la rétine quand nous ne nous représentons aucun objet, c'est-à-dire celle du champ noir étendu devant nos yeux fermés, ou la sensation du champ clair également étalé devant nos yeux fermés, quand la lumière passe à travers nos paupières. Ici encore le champ paraît être immédiatement au-devant de l'œil ou dedans. Mais dès qu'une représentation quelconque d'objets déjà vus se joint à ce que nous voyons, la projection au dehors a lieu aussitôt, et la grandeur sous laquelle on se représente ce qu'on voit dépend de l'expérience individuelle. De là les différences dans la taille que divers individus assignent aux arborisations de la rétine qu'ils voient en répétant l'expérience de Purkinje, et dans la distance à laquelle ces figures leur semblent être de l'œil.

Le sens de la vue se comporte en cela d'une tout autre manière que celui du

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