Page images
PDF
EPUB

2o Le second moyen de séparer les rayons lumineux pour produire une image sur la rétine est celui sur lequel j'ai appelé l'attention dès 1826. Au-devant de la rétine sont dressés perpendiculairement, les uns à côté des autres, des cônes transparents, en quantité innombrable, qui ne laissent parvenir à la membrane nerveuse que la lumière dirigée suivant le sens de leur axe, et absorbent, au moyen des pigments dont leurs parois sont revêtues, toute celle qui vient les frapper obliquement. Soit A la rétine, représentant la

Fig. 99.

B

surface d'un sphère, les cônes transparents B doivent se trouver dans les rayons de cette sphère. La lumière partie de a, b, c, d, ne peut envoyer jusqu'à la rétine que ceux qui sont placés dans la direction des rayons de la sphère. Ainsi, le point A, quoiqu'il éclaire toute la surface de l'œil, ne projette son image que dans le seul point a' de la rétine; celle de b ne se forme non plus qu'en b', celle de e qu'en c', et celle de d qu'end'. On voit que la netteté de l'image doit croître en raison du nombre des cônes dressés sur la surface de la rétine; que, quand il y a mille cônes, mille particules du champ visuel sont représentées dans l'image, et que, si le nombre des rayons transparents est de dix mille, la netteté de l'image se trouve décuplée. Cette organisation, que la théorie indiquait comme mode possible de construction d'un organe visuel, je l'ai trouvée réalisée dans les yeux composés de tous les insectes et crustacés. Il va sans dire qu'un tel organe doit avoir la forme d'une sphère ou d'un segment de sphère. Lorsque sa circonférence est assez déprimée pour se rapprocher d'une surface plane, les cônes implantés sur elle ont moins de divergence aussi, et l'œil ne correspond qu'à une petite partie du monde extérieur. Mais le champ s'accroît en raison directe de la convexité de l'œil, ou de la grandeur du segment de sphère. La représentation de l'image en plusieurs milliers de points séparés, dont chacun correspond à un petit champ du monde extérieur, ressemble à une mosaïque ; une mosaïque construite avec beaucoup d'art est la meilleure idée qu'on puisse se faire de l'image que les créatures douées d'un pareil organe acquièrent des objets du dehors. Ce mode de séparation des rayons lumineux a l'inconvénient que la quantité de lumière qui vient frapper la rétine à travers un cône est fort petite; mais il paraît que, chez nous-mêmes, comme on peut le remarquer aux approches de la nuit, une quantité très faible de lumière, une partie infiniment petite de la lumière à laquelle nos yeux sont exposés pendant le jour, suffit pour la vue simple, pour celle qui ne tend pas à une appréciation minutieuse des détails; d'ailleurs la nature semble s'être plus attachée, dans la fabrication de notre œil, à modérer la lumière qu'à en accroître l'intensité; la pupille la plus étroite suffit encore pour voir en plein jour.

3o Le procédé dont la nature s'est servie, dans l'appareil précédent, pour isoler sur divers points de l'organe la lumière émanant de points différents, consiste à exclure les rayons qui empêcheraient l'effet de se produire. Elle arrive au même but, avec bien plus de précision encore, et surtout avec une plus grande intensité de lumière, en obligeant à se réunir de nouveau, sur un même point, les rayons

divergents qui émanent d'un autre point. Mais il faut alors que l'organe sensitif se trouve précisément à l'endroit où les rayons aboutissent de nouveau à un même foyer, c'est-à-dire au sommet du cône lumineux. Cette condition, qui n'était point nécessaire dans le cas précédent, est ici de rigueur absolue. Supposons que le

a

Fig. 100.

corps transparent A ait le pouvoir de réunir en un point a' la lumière qui émane de a et l'éclaire tout entier, qu'il puisse également réunir en b' les rayons partis de b, qu'il ait enfin la faculté de réunir, en chacun des points compris entre a' et, les rayons émanés de tous ceux qui sont intermédiaires entre a et b, une image

aussi parfaite que possible de ab sera représentée en a' b', et elle sera vue en ce dernier lieu si la rétine s'y trouve. Mais l'image sera imparfaite si la membrane nerveuse est placée en avant ou en arrière de a'b', par exemple en x ou en y: car, dans ce cas, a, b et tous les points intermédiaires entre a et b projetteront sur la rétine, non plus un point qui leur corresponde, mais une surface, et la lumière de toutes les surfaces se confondra en une image diffuse.

Les corps qui ont le pouvoir de réunir ainsi la lumière sont les milieux transparents et réfringents. La forme la plus parfaite et la plus appropriée à l'organe visuel, qu'ils puissent avoir, est celle d'une lentille, comme je ne tarderai pas à le dé

montrer.

C'est ici le lieu de réfuter quelques fausses opinions qu'a fait surgir l'ignorance des conditions physiques nécessaires à la vision. On s'imagine assez souvent qu'il y a des animaux qui ont la sensation de la lumière par la peau. Nul doute assurément, que certains animaux inférieurs, qui réagissent contre l'influence de la lumière, soient dépourvus d'yeux. Rapp (1) a observé qu'un polype appelé Veretillum Cynomorium est très sensible à la lumière, qu'il se contracte dès qu'il vient à en être frappé, et qu'il affectionne les endroits obscurs. Quant aux hydres, les expériences de Trembley, de Backer, de Hanow, de Roesel, de Schaeffer, de Ch. Bonnet, de Goeze, n'ont point donné de résultat précis. Ingenhousz et Goldfuss assurent que la matière verte de Priestley s'accumule dans les lieux éclairés. Il est très possible que la matière verte qui s'amasse ainsi dans les endroits frappés par la lumière consiste en un assemblage d'infusoires vivants; car beaucoup de ces animalcules ont une teinte verte, et plusieurs même sont munis d'yeux, comme l'a constaté Ehrenberg; mais ce qu'on nomme ordinairement matière verte de Priestley n'est souvent qu'un amas de corps morts d'infusoires verts, tels que l'Euglena viridis et autres.

Quant à la réaction des animaux inférieurs privés d'yeux contre la lumière, aucun fait n'établit qu'en agissant sur la peau ou la surface entière du corps de ces êtres, le principe de la lumière ou les ondulations de ce principe produisent réellement la sensation de la lumière, et non une tout autre sensation. Notre peau nous fait sentir aussi quelque chose de ce principe, savoir, la chaleur, mais elle ne nous la fait jamais sentir comme lumière, et, si nous voulons nous en tenir aux faits,

(1) Nov. act. nat. cur., t. XIV, p. II.

il n'y a que le nerf optique qui soit capable de nous procurer cette sensation. Il est possible que, chez les animaux inférieurs privés d'yeux, les réactions contre la lumière soient du même genre que celles de notre peau. Les végétaux euxmêmes réagissent avec assez de force contre elle, puisqu'ils la recherchent dans leurs expansions, et que leurs nouvelles pousses vont à sa rencontre.

La nécessité de nerfs particuliers, et doués d'une sensibilité spéciale, pour procurer la sensation de la lumière, est prouvée aussi par l'existence réelle d'yeux chez un grand nombre d'animaux des classes les plus inférieures. Beaucoup d'annélides, tels que plusieurs néréides, diverses espèces d'Eunice, de Phyllodore, de Spio, de Nais, presque toutes les hirudinées, l'Aphrodite heptacera; ont des points oculaires de couleur foncée à la tête. Un genre voisin des sabelles, et qui a été observé par Ehrenberg, Henle et moi, présente deux de ces points obscurs à l'extrémité postérieure et à l'extrémité antérieure du corps: il rampe aussi bien en avant qu'en arrière. E.-H. Weber a fait voir que la sangsue médicinale a dix yeux ponctiformes à la tête, et qu'on les distingue parfaitement bien chez l'embryon de cet animal, dont le corps est encore parfaitement transparent. Les planaires portent, à la tête, des taches oculaires remarquables par leur pigment, Nitzsch, Dutrochet (1), Gruithuisen, Ehrenberg, ont également aperçu des points oculaires chez plusieurs cercaires et rotifères. Ehrenberg a constaté l'existence de ces points ou pigments chez un grand nombre d'infusoires, et chez les astéries, à l'extrémité de leurs rayons, qu'elles relèvent en nageant ; il regarde comme très probable que les organes pigmentaires placés au bord du disque des méduses ont la même signification (2). J'ai suivi les nerfs optiques dans ces points oculaires, chez les annélides (3), et Ehrenberg a montré que les nerfs des rayons des étoiles de mer s'étendent jusqu'aux yeux ponctiformes à l'extrémité des rayons.

Gruithuisen admet (4) que tout point de la peau qui a une teinte plus foncée participe jusqu'à un certain degré de la nature d'un organe visuel, parce qu'il absorbe plus de lumière. C'est une opinion évidemment inexacte; car la première de toutes les conditions pour voir est que le nerf possède une sensibilité spécifique, et que celui qui sert à la vision ne soit point un nerf tactile.

D'ailleurs la structure des yeux chez les vers prouve qu'il faut un nerf et un organe particuliers, même pour distinguer simplement le jour de la nuit ; car, d'après mes recherches sur la structure de ces organes dans les animaux de la classe des annélides, il est bien constant qu'ils ne renferment aucun appareil optique pour la séparation de la lumière, et qu'en conséquence ils ne sauraient rien distinguer de précis. Au dedans de la choroïde en forme de godet de l'espèce de Nereis que j'ai examinée, il n'y a ni cristallin, ni aucune trace des organes isolateurs dont les insectes sont pourvus. Le corps embrassé par cette membrane n'est que le bulbe du nerf optique. Ainsi, même lorsqu'il ne s'agit que de distinguer le jour de la nuit, la nature a créé des organes pour cela; telle paraît être la destination des points oculaires des planaires, des astéries, des rotifères et des infusoires.

(1) Mém. pour servir à l'hist, anat. et physiol, des végétaux et des animaux. Paris, 1837, L. II, p. 385.

(2) MECKEL'S Archiv, 1834.

(3) Annales des sciences naturelles, t. XX, p. 19.

(1) Isis, 1820, p. 251.

Une seconde remarque critique, que je dois faire ici, concerne l'opinion également fondée sur l'ignorance des conditions physiques de la vision, que la faculté de voir à l'aide de la peau serait possible, même chez l'homme, par une exaltation ou par un changement, un déplacement de la sensation.

On sait qu'il ne nous est pas donné de connaître les couleurs avec les doigts, quoique nous puissions parvenir à distinguer, au moyen du toucher, le corps ou le grain de quelques matières colorantes étalées en couches épaisses, parce qu'elles offrent des inégalités et qu'elles contractent de l'adhérence avec les parties qui y touchent. La nécessité d'appareils optiques, soit en mosaïque, soit collecteurs, pour la formation d'une image sur une membrane sensible, réfute suffisamment la prétendue vision par le creux de l'estomac ou par le bout des doigts dans l'état qu'on appelle magnétisme animal. Quand bien même la peau de la région épigastrique et des doigts aurait la faculté de sentir la lumière, ce qu'elle n'a pas, il n'y aurait cependant point encore pour elle possibilité de voir, puisqu'il n'existerait aucun appareil capable de reporter la lumière venant des différents points a, b, c, d....n d'un objet aux points a, b, c, d....n de la surface sentante. Or, sans de tels appareils, le creux de l'estomac et les doigts, fussent-ils même aptes à sentir la Jumière, ne pourraient que distinguer le jour de la nuit. Mais, comme ces parties n'ont point la capacité de sentir la lumière, et comme il n'y a pas de sensation qui puisse se déplacer, un individu plongé dans ce qu'on appelle l'état magnétique ne saurait, dans aucun cas, distinguer, même vaguement, le jour de la nuit, à l'aide de ses doigts ou de sa région épigastrique, et, s'il y parvient, ce n'est qu'au moyen de ses yeux, auquel il est si difficile, même en les bandant, d'enlever la faculté de voir le jour, qui peuvent même très bien apercevoir les objets au-dessous du bandeau, comme ont dû s'en convaincre tous ceux qui se sont amusés au jeu de colin-maillard. Qu'on se couche horizontalement, comme le sont les individus plongés dans le prétendu sommeil magnétique, et un bandeau placé sur les yeux n'empêchera pas qu'on voie par-dessous l'étendue tout entière d'une chambre. Quel est le médecin instruit qui pourrait ajouter foi à de pareils contes ? Du point de vue scientifique, on conçoit qu'une personne qui dort ait des visions semblables à celles qu'on éprouve quelquefois, les yeux fermés, avant de s'endormir; car les nerfs optiques peuvent être sollicités à sentir par une cause interne, tout aussi bien que par des causes extérieures. Tant que les magnétisés n'accusent rien autre chose que les symptômes nerveux ordinaires qui s'observent dans d'autres maladies nerveuses, tout est croyable; mais, dès qu'ils se donnent pour voir avec les yeux bandés, ou avec les doigts, ou avec l'estomac, pour distinguer ce qui se passe dans la maison voisine, ou pour faire des prophéties, de pareilles jongleries ne méritent aucun égard, et, au lieu d'admirer niaisement, il faut crier tout haut au mensonge, à la déception.

II. CONDITIONS PHYSIQUES DE LA PRODUCTION DES IMAGES PAR DES MILIEUX RÉFRINGENTS.

L'importance de la théorie de la réfraction de la lumière pour celle de la visiou chez l'homme et les animaux, dont les organes visuels sont fondés sur l'emploi que la nature y a fait des moyens réfringents, m'impose l'obligation de rappeler ici les principaux points de cette doctrine, pour l'exposition complète de laquelle je ren

voie d'ailleurs aux écrits de Porterfield (1), de Priestley, de Fischer, de Biot, de Kunzek et de Brandes.

Fig. 101.,

Lorsque des rayons lumineux passent d'un espace vide dans un corps transparent, ou d'un milieu moins deuse dans un autre qui l'est davantage, s'ils tombent perpendiculairement sur la surface du second milieu, ils continuent de cheminer en ligne droite; mais, si leur incidence est oblique, ils changent de direction, et, tout en continuant de suivre le A prolongement du plan d'incidence, ils se rapprochent de la perpendiculaire. Ainsi AB étant le plan d'incidence du milieu plus dense c, le rayon ab, au lieu de suivre la direction be, se

B

C

rapprochera de la perpendiculaire de, et marchera dans la nouvelle direction bf. Si, au contraire, le rayon passe obliquement d'un corps transparent dans un espace vide, ou d'un milieu plus dense dans un autre qui le soit moins, il s'écarte de la perpendiculaire, et, au lieu de la direction be, il suit celle bg.

Le rayon incident, le rayon réfracté et le fil à plomb se trouvent d'ailleurs dans le même plan. Si nous appelons angle d'incidence l'angle compris entre le rayon incident ab et la perpendiculaire db, et angle de réfraction celui qui est compris entre le rayon réfracté bf et la perpendiculaire be, ac est le sinus du premier, et fg celui du second. L'expérience a appris que, quand les deux milieux restent les mêmes, le sinus de l'angle d'incidence a est au sinus de l'angle de réfraction ẞ, dans un rapport constant, quelque grande ou petite que soit l'inclinaison du

Fig. 102.

α

rayon incident à l'égard du milieu réfringent. Le rapport de réfraction des deux

milieux est donc exprimé par

sin

a

sin 3

Ce ne sont pas les angles, mais seulement les

sinus des angles qui ont entre eux ce rapport constant sous toutes les incidences possibles pour les mêmes milieux cependant, tant que les angles sont petits, comme le sont ceux des rayons centraux des lentilles, on ne commet pas une erreur notable en regardant aussi le rapport des angles comme constant. Le rapport de réfraction de l'air et de l'eau est 4/3; celui de l'air et du verre commun 3/2. Du reste, le pouvoir réfringent des corps ne dépend pas seulement de leur densité, mais encore de leur combustibilité.

La surface du milieu réfringent pouvant, lorsqu'elle est courbe, être regardéc comme composée d'une infinité de surfaces planes, quand le rayon lumineux ab tombe sur le milieu C, dont la surface est courbe, la tangente AB peut être considérée comme plan d'incidence, et le fil à plomb, dont le rayon lumineux se rapproche en traversant le milieu réfringent, est ici la perpendiculaire de, qui rencontre la tangente au point de contact de la courbe. Ainsi le rayon ab se rap

(1) A Treatise on the eye, the manner and phænomena of vision. Édimbourg, 1759.

19

« PreviousContinue »