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lant de loin. Comme le ventre demeure gonflé tandis qu'on parle, on croit d'abord ventriloquer pendant l'inspiration; mais on ne tarde pas à se convaincre que c'est réellement pendant l'expiration; car, lorsque l'on continue jusqu'à ce qu'on n'ait plus d'haleine, la poitrine s'est resserrée de plus en plus, et, quand il n'y a plus possibilité de produire aucun son par défaut d'air dans le soufflet, on est forcé de faire une nouvelle inspiration.

Parmi les effets que produisent les ventriloques, il y en a beaucoup qu'il faut attribuer à de simples illusions d'autres sens, de l'oreille, par exemple, comme quand le sujet fait entendre des paroles qui ont l'air de venir d'un endroit déterminé. En général, nous distinguons très peu la direction du son, et, quand notre attention est dirigée vers un point, notre imagination est prête aussitôt à y rapporter ce que nous entendons.

Vices de la parole.

Une bonne prononciation suppose que la cavité orale est bien conformée et l'oreille juste. Les imperfections de la parole proviennent d'un vice dans l'une et l'autre de ces deux conditions. La parole devient vicieuse eu égard à la formation de certains sons, et en même temps nasonnante, lorsqu'il y a un trou à la voûte palatine. Elle devient incomplète chez ceux qui manquent de dents. On peut consulter Kempeler et Schulthess pour ce qui regarde les vices de prononciation relatifs à chaque lettre. Le bégaiement tient à l'inhabileté et l'immobilité de la langue. L'ivresse le produit d'une manière passagère, et la paralysie du nerf grand hypoglosse d'une manière permanente. Mais la parole peut aussi être imparfaite parce que les sons ne se succèdent pas convenablement, quoique le sujet ait la faculté de les former purs. Le bégaiement est l'impossibilité momentanée de prononcer une consonne ou une voyelle, ou de l'unir aux précédentes. L'obstacle peut se rencontrer au commencement ou au milieu des mots. Si la lettre difficile à prononcer se trouve au milieu d'un mot, il arrive souvent que la syllabe précédente ou celle qui ne peut sortir complétement est répétée plusieurs fois de suite, par exemple zi-zi-zi-zitze, llllachen. Il manque dans le premier cas la possibilité d'unir la consonnet avec la voyelle i qui précède, et dans le second celle d'unir la consonne avec la voyelle a qui la suit. La répétition de ce qui précède n'est pas, comme l'a très bien fait remarquer Schulthess, ce qui constitue l'essence du bégaiement; c'est seulement une sorte de reprise pour trouver le passage, la transition. Si la consonne précédente est explosive, l'individu est enclin à la répéter, parce qu'il ne peut la soutenir à volonté et jusqu'à ce que la voyelle en sorte. Mais, si cette consonne est soutenue (m, n, gn, f, x, sch, r, 1, s), la répétition n'est plus nécessaire, parce que le son peut être prolongé jusqu'à ce que la voyelle arrive. Exemple: Bbbboire, l-lire. Cependant il arrive aussi que l'homme qui bégaie répète la consonne soutenue, et prononce llllire. Quelquefois il intercale involontairement, dans le mot, des lettres qui n'y appartiennent pas, d, t, gn, nd et autres. Schulthess pense que ce sont les voyelles et non les consonnes dont l'articulation difficile donne lieu au bégaiement, Cette remarque découle d'une observation attentive de la nature; toutefois, bien qu'elle rectifie une erreur jusqu'alors accréditée, elle va trop loin; car il arrive souvent que la voyelle est déjà formée,

mais que la consonne qui vient après ne veut pas s'y unir. Je connais un jeune homme, très versé dans les mathématiques, et qui a fortement bégayé autrefois; lorsqu'il prononçait son nom, il lui arrivait fréquemment de dire Te-Tessot, au lieu de Tessot. Il y a encore beaucoup de circonstances où l'obstacle existe dès la première consonne d'un mot. Dans ces cas aussi, la cause tient moins à l'articulation par les parties actives de la bouche qu'à une occlusion soudaine de la glotte, qui s'oppose au passage de l'air nécessaire pour produire telle ou telle consonne. Cette clôture de la glotte, sur laquelle Arnott surtout a appelé l'attention, ne survient que lorsqu'il s'agit d'associer ensemble certaines articulations, le passage de l'air restant libre pour d'autres, par exemple pour la répétition de la syllabe précédente. Au fond, l'obstacle est toujours à la glotte, soit qu'elle ne rende pas le son nécessaire quand il s'agit d'une voyelle, soit qu'elle ne laisse point passer l'air durant la tentative que le sujet fait pour articuler un son dans la bouche. Ce travail de la part de la glotte s'annonce clairement, chez les personnes qui bégaient beaucoup, par la gêne de l'expiration et par la congestion du sang dans la tête et dans les veines du cou. L'essence du bégaiement consiste donc en un état pathologique des mouvements associés du larynx et de la bouche. Lorsqu'il est porté au plus haut degré, on observe aussi des mouvements dans les muscles de la face; l'effet est le même que quand on veut contracter un muscle de la face, et que la face entière se contracte parce qu'on éprouve de la peine à isoler l'influx nerveux.

Je partage complétement l'opinion d'Arnott et de Schulthess quand ils assignent pour cause prochaine au bégaiement une affection spasmodique de la glotte. Cette affection est une occlusion momentanée de la glotte, soit par le rapprochement des cartilages aryténoïdes, qui s'appliquent l'un contre l'autre, soit par la pression qu'exercent les muscles thyro-aryténoïdiens, qui peuvent accoler les cordes vocales l'une à l'autre. Il faut tenir pour certain que cette affection momentanée est une association pathologique avec certains mouvements de la bouche, en particulier de la langue, et qu'elle en dépend entièrement. Les parties de la bouche sont placées comme elles doivent l'être pour former le b; les lèvres peuvent aussi s'ouvrir comme l'exige l'explosion de cette lettre; mais il manque le courant d'air venant de la glotte. La marche naturelle pour remédier au bégaiement consiste donc à rendre facile l'association entre les mouvements du larynx et les articulations. Chanter les mots est déjà un moyen d'y parvenir, parce que, dans le chant, l'attention se porte plus sur la part que le larynx prend à la prononciation, qu'elle ne le fait dans la parole ordinaire: aussi les personnes qui bégaient chantent-elles mieux qu'elles ne parlent.

Tenir la langue trop basse dans la bouche paraît favoriser le bégaiement. La méthode de madame Leigh tend à corriger ce vice et à relever la langue vers le palais. Les anciens avaient recours à un moyen analogue quand ils faisaient tenir des corps étrangers sous la langue. La méthode indiquée par Arnott repose sur des notions physiologiques exactes, eu égard au bégaiement. Si les lèvres de la glotte étaient visibles comme celles de la bouche, dit cet écrivain, la nature du bégaiement ne serait pas demeurée si longtemps couverte d'un voile. La glotte se ferme de temps en temps chez l'homme qui bégaie: il s'agit de faire perdre cette habitude à la nature par l'exercice. Arnott propose de faire unir tous les mots en un seul par des intonations intercalées, jusqu'à l'épuisement de l'haleine. Ce moyen

est bou, mais il ne suffira pas, puisque l'obstacle principal existe, la plupart du temps, dans l'intérieur même des mots, et tient aux mouvements associés que réclament certaines articulations. Si j'avais une méthode à proposer pour la guérison du bégaiement, outre le procédé d'Arnott, j'emploierais le suivant : je ferais pour le bègue des écritures dans lesquelles il ne se trouverait aucune consonne absolument muette ou explosive (ẞ, ô, y, π, τ, x); ces écritures ne contiendraient que des phrases dans la composition desquelles il n'entrerait, outre les voyelles, que des consonnes susceptibles d'intonation concomitante (f, x, sch, s, r, l, m, n, gn); je ferais une loi de prononcer toutes ces lettres avec intonation, et de les traîner très longtemps. De là résulte une prononciation dans laquelle l'articulation est constamment accompagnée d'intonation, de manière que la glotte ne se trouve jamais fermée. Une fois le sujet bien exercé à tenir sa glotte ouverte sans interruption, même entre les mots, comme le conseille Arnott, à ne jamais la fermer pendant et après chaque consonne et chaque voyelle, on pourrait passer à la consonne muette h, et aux consonnes explosives; car, parvenu là, il sait déjà de quoi il s'agit. Le procédé de madame Leigh est d'un empirisme aveugle: ni le maître ni l'élève ne savent ce dont il est question (1).

Il y a un certain vice, assez commun, de la parole, qui diffère essentiellement du bégaiement : c'est l'intonation entre les mots, l'interpolation d'un e, d'un œ, d'un a, plus ou moins long, ou de quelqu'une des voyelles nasales, ou d'un son particulier modifié par la gorge, pendant que la prononciation des mots eux-mêmes est bonne, par exemple je... e. Il semble entendre un instrument de musique dont le son se prolonge au delà de la durée voulue. Ces sons étrangers forment et facilitent le passage d'un mot à un autre, et c'est peut-être là ce qui souvent y donne lieu, quoique fréquemment aussi ils tiennent à l'hésitation de la pensée. On rencontre quelquefois ce défaut chez les personnes qui bégaient, peut-être parce que c'est un moyen d'éviter une interruption en passant au mot suivant.

La formation des sons purs suppose l'ouïe. Il est fort difficile aux sourds-muets d'apprendre à prononcer des sons même grossiers. Il ne leur manque que l'ouïe, en totalité ou en grande partie; le mutisme est la suite de la surdité. Avec beaucoup de peine ils apprennent à imiter les mouvements pour articuler les sons qu'ils voient faire devant eux, mais leur langage demeure toujours une sorte de hurlement qui ne peut servir dans la société, parce que l'absence de l'ouïe les prive du régulateur dont ils auraient besoin pour bien articuler (2).

Au reste, l'ouïe et la parole ne peuvent tenir l'une à l'autre que par l'intermédiaire du cerveau lui-même. On ne voit pas de quelle utilité seraient des connexions nerveuses entre l'organe de l'audition et celui de la phonation. L'anastomose entre les nerfs facial et lingual est étrangère tant à l'ouïe qu'à la parole; car le nerf facial n'a rien de commun avec la première, ni le nerf lingual avec la seconde. Le

(A) Cons. MAGENDIE, art. BEGAIEMENT du Dict. de médecine et de chirurgie pratiques, t. IV, p. 63. — COLOMBAT, Traité de tous les vices de la parole, et en particulier du bégaiement. Paris, 1843. — A. BECQUEREL, Traité du bégaiement. Paris, 1843. - H. MATHIEU, De la parole et du bégaiement, Paris, 1847.

(2) Voy. De GégANDO, De l'éducation des sourds-muets de naissance. Paris, 1827. — BKBIAN, Manuel d'enseignement pratique des sourds-mucts. Paris, 1827.

principal nerf de la phonation est le grand hypoglosse, duquel dépendent tous les mouvements de la langue. Le nerf facial joue aussi quelque rôle dans les articulations, du moins dans celles auxquelles les lèvres prennent part. Ces deux nerfs appartiennent à la physionomie, en ce sens que la mimique de la face et la parole représentent objectivement, chacune à sa manière, nos états intérieurs. Or tous deux paraissent dépendre de la même partie centrale, les olives.

Accent.

L'accent est une intonation plus élevée qu'on donne à certaines syllabes et à certains mots.

1o Accent prosodique. Chaque mot a son accent. Beaucoup d'hommes n'élèvent pas d'un semi-ton la syllabe accentuée; d'autres l'élèvent de plus d'un semi-ton: alors la parole devient chantante. Dans le cas contraire, quand toutes les syllabes sont prononcées du même ton, elle devient monotone. Ce défaut de variation est insupportable chez les pédants, dont il exprime le naturel.

Dans les langues anciennes, l'accent et la quantité, ou longueur des syllabes, sont deux choses tout à fait différentes. Dans le rhythme de la poésie, les syllabes sont mesurées d'après leurs longueurs naturelles aux dépens de l'accent.

En allemand, l'accent coïncide presque toujours avec la quantité. Il y faut allonger tout ce qui est marqué de l'accent.

Les langues romanes modernes possèdent trop peu de syllabes naturellement longues par des consonnes et ont trop peu d'accentuation dans les mots pour pouvoir utiliser au profit du rhythme les longues et brèves naturelles ou les syllabes accentuées et non accentuées. Aussi les langues romanes ne sont pas, comme l'est la langue allemande, susceptibles de recevoir le rhythme des langues anciennes.

2° Accent grammatical. L'accentuation des mots dans le discours exprime la modalité du jugement. Dans les phrases interrogatives, affirmatives, etc., l'accent est toujours sur le mot principal. La proposition la plus simple, celle qui ne se compose que de trois mots, le sujet, le verbe et l'attribut, a une signification diverse suivant le membre auquel l'accent se rapporte.

3° Accent des dialectes. L'accentuation des divers dialectes peint le caractère vif ou lent des peuples. Ici l'accent est physionomique. Celui qui ne ressort pas du caractère de l'individu est maniéré. Dans les grandes villes, ceux qui affectent le bon ton ont souvent une manière d'accentuer tout à fait différente de l'accent naturel du peuple. Les Allemands n'ont point d'accent grammatical général comme les Français, les Danois et les Suédois.

LIVRE CINQUIÈME.

DES SENS.

NOTIONS PRÉLIMINAIRES.

Les sens (1) nous informent des états divers de notre corps par la sensation spéciale que nous transmettent les nerfs sensoriels. Ils nous font connaître aussi les qualités et les mutations des corps qui nous entourent, en tant qu'elles déterminent des états particuliers de ces mêmes nerfs. Le sentiment est commun à tous les sens; mais la manière de sentir varie dans chacun d'eux. A cet égard, on en distingue cinq, la vue, l'ouïe, le goût, l'odorat et le toucher. Par toucher, nous entendons la manière de sentir propre aux nerfs sensitifs, tels que le trijumeau, le vague, le glosso-pharyngien et les rachidiens, c'est-à-dire les sensations de chatouillement, de volupté, de douleur, de chaud, de froid, et les sensations tactiles. Le mot de sensation ne nous servira désormais que pour désigner la transmission au tensorium, qui appartient également à tous les nerfs sensoriels. Les sens ne nous procurent, à proprement parler, que la conscience des qualités et des états de nos nerfs; mais la pensée et le jugement sont toujours prêts à interpréter comme qualités et mutations des corps situés hors de nous les changements provoqués dans nos nerfs par des causes extérieures. A l'égard des sens qui sont rarement affectés par des causes internes, comme la vue et l'ouïe, cette confusion nous est devenue tellement habituelle qu'à moins d'y réfléchir nous ne nous en apercevons pas. Mais, pour ce qui concerne le sens du toucher, qui est tout aussi souvent mis en jeu par des causes internes que par des causes externes, et qui nous procure la conscience des sensations particulières à nos nerfs tactiles, il nous est facile d'apercevoir que ce que nous sentons, la douleur, la volupté, est un état de nos nerfs, et non une qualité des choses qui le déterminent. Ceci nous conduit à quelques prinipes généraux, dont l'exposition doit précéder l'histoire des sens considérés chacun en particulier.

1. Nous ne pouvons avoir par l'effet des causes extérieures aucune manière de sentir que nous n'ayons également sans ces causes et par la sensation des états de Nos nerfs.

Cette proposition est de toute évidence pour le sens du toucher. Ce que les nerfs tactiles peuvent sentir est le froid, le chaud, la douleur, le plaisir, et d'innombrables modifications de sensations, qui ne sont ni de la douleur ni du plaisir, mais

1) Cons. sur les sens: LECAT, Traité des sensations et des passions en général, et des sens en particulier. Paris, 1767, 3 vol. in-8, fig. ELLIOT, Ueber die Sinne. Leipzick, 1785. STEINBOCK, Beitrage zur Physiologie der Sinne. Nuremberg, 1841. - TORTUAL, Die Sinne des Menschen. Munster, 1827.— GERDY, Physiologie philosophique des sensations et de l'intelligence. Paris, 1846.

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