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Vement du fourcil de Jupiter, eft le modele de la magnificence.

Le mot de Louis XIV, il n'y a plus de Pyrénées, eft digne d'être placé parmi ces exemples d'une expreffion magnifique.

La richeffe eft de tous les ftyles; la magnificence n'eft que du ftyle héroïque, dans l'enthousiasme ou dans la peinture du merveilleux.

L'expreffion a une abondance fuperflue, lorfqu'elle emploie beaucoup de mots vuides de fens, ou qui ne repréfentent que de foibles idées. Pour éviter ce défaut, il ne faut jamais épuifer le fujet que l'on traite. L'art a fes limites & un point fixe, difficile à connoître, plus difficile encore à faifir. Les préceptes ne fçauroient être d'une trop grande étendue fur ce point, parce qu'il eft de fentiment, & qu'en ce genre, il eft plus aifé de remarquer les défauts & de montrer les extrémités vicieuses, que de définir précifément en quoi confifte la perfection, & quelles voies il faut fuivre pour y parvenir. L'abondance fuperflue,& la féchereffe font les deux écueils contre lefquels on échoue le plus ordinairement. Au refte, le premier eft moins funefte que l'autre, fur tout aux jeunes gens. Le feu de l'imagination les emporte; une circonftance, un rien les amuse: ils s'imaginent que tout eft fufceptible d'agrément, ce qui fait que leurs productions ne font ni juftes ni châtiées. Mais il vient un tems où l'on remedie à cette trop grande abondance. Le jugement fe perfectionne ; le goût s'épure, & la réflexion retranche ce qu'il y avoit de fuperflu. Ce n'eft donc pas

Phédre,

ait. 5,

se. 6.

dans cet âge que la fécondité de l'efprit eft pernicieufe, mais dans celui où la raison plus éclairée doit avoir des idées plus nettes du vrai & du beau.

Il est une forte de bienféance pour les paroles, comme il en eft une pour les habits. Une robe, furchargée de pompons & de fleurs, feroit ridicule : il en eft de même, dans la poëfie, d'une defcription trop fleurie, & dans laquelle, parmi de grands traits, on rencontre des circonftances inutiles. Les plus grands maîtres ne font pas exempts de ce défaut; & leur chute doit nous fervir de préfervatif, comme leurs beautés de modele. Racine, dans la narration de la mort d'Hyppolite, qui d'ailleurs eft pleine de beautés, eft tombé, ce me femble, dans l'excès dont nous parlons ici. Qu'on fe mette à la place de Théramène; qu'on épouse les fentimens d'eftime & d'attachement dont il eft pénétré pour Hyppolite; qu'on fuppofe enfin qu'on va annoncer à un pere la mort malheureufe de fon fils, eft-il croyable que dans un fujet fi intéreffant l'on s'amufe à relever des circonftances peu importantes, par les expreffions les plus fleuries? Qu'on décrive en peu de mots le départ du fils de Théfée, à la bonne heure; mais qu'eft-il befoin d'ajoûter :

Ses fuperbes courfiers qu'on voyoit autrefois
Pleins d'une ardeur fi noble obéir à sa voix,
L'œil morne maintenant, & la tête baiffée,
Sembloient fe conformer à fa trifte pensée.

Ne fuffifoit-il

pas à Théramène de dire, en

parlant du monftre envoyé par Neptune,

L'onde approche, se brise, & vomit à nos yeux, id Parmi des flots d'écume, un monftre furieux.

fans ajoûter cette longue description de la
figure du dragon:

Son front large eft armé de cornes menaçantes ;
Tout fon corps eft couvert d'écailles jauniffantes:
Indomptable taureau, dragon impétueux,

Sa

croupe fe recourbe en replis tortueux;
Ses longs mugiffemens font trembler le rivage:
Le ciel avec horreur voit ce monftre fauvage;
La terre s'en émeut, l'air en eft infecté ;
Le flot qui l'apporta recule épouvanté.

Quand on retrancheroit ces huit vers, &
les quatre précédens de cette narration, elle
n'en feroit ni moins belle ni moins tou-
chante ce font done des ornemens fuper-
flus, des hors-d'oeuvre fi peu liés à la piéce
principale qu'on pourroit les en détacher
fans qu'elle en fouffrit.

Quelquefois c'eft un mot qui gâte tout ce qui précede; ainfi Regnard fait dire à fon Joueur :

Tu peux me faire perdre, ô fortune ennemie ! Mais me faire payer? morbleu! je t'en défie. Jufques-là tout eft vif, & l'on devine affez la raifon de cette impuiffance; qu'étoit-il donc befoin d'ajoûter :

Car je n'ai pas le fou.

Ce dernier trait n'eft qu'une longueur.

faut être précis: on doit fe fouvenir de ces deux vers de Despréaux:

Artpot. Tout ce qu'on dit de trop eft fade & rebutant; ch. 1. L'efprit raffafié le rejette à l'instant.

Au refte, la précifion n'eft pas ennemie des ornemens, elle s'accorde auffi très-bien avec la richeffe des expreffions. Voyez PRÉ

CISION.

La féchereffe eft le vice oppofé à l'abondance fuperflue. La précifion & la briéveté tiennent le milieu entre ces deux défauts. Voyez PROLIXITÉ. SÉCHERESse.

ABRÉGÉ: un abrégé eft un difcours qui renferme en peu de mots ce qui eft écrit ailleurs plus au long, & plus en détail.

On diftingue les abrégés, des analyses, des extraits, des fommaires, des épitomes. L'analyse n'eft, à proprement parler, que le précis d'un ouvrage. L'extrait ne contient que des morceaux fidélement copiés d'après l'original, auxquels on joint quelquefois des réflexions critiques. Les fommaires font de petits abrégés qu'on met à la tête d'un chapitre, d'un chant, d'une piéce quelconque, afin que le lecteur voie d'un coup d'œil ce qui en fait la matiere. Les épitomes ne font autre chofe que l'abrégé d'un ouvrage, où, en rendant compte du fens des chofes qu'il contient, on s'eft fervi des mêmes expreffions de l'original. Voyez ANALYSE. EXTRAIT. SOMMAIRE.

Il n'eft ici queftion que des abrégés, proprement dits, tels que font les différens abrégés que nous avons de l'Hiftoire facrée,

& de l'Hiftoire profane. Ces fortes d'abrégés, difent plufieurs Critiques, n'ont pris naiffance qu'après les fiécles éclairés d'Athènes & de Rome. Ils veulent donner à entendre, par cette remarque, que c'est un des premiers fruits de la décadence des lettres. Il eft certain que les fciences qui ont toutes aujourd'hui leurs abrégés, ne peuvent qu'y perdre par la facilité qu'on a d'en acquérir une teinture legere, dont fe contentent les efprits médiocres & pareffeux, qui ne fe donnent jamais la peine de percer plus avant. Cependant il faut convenir que ces fortes d'ouvrages ont leur utilité, quand ils font bien faits; ils font commodes pour certaines perfonnes qui n'ont ni le loifir de confulter les originaux, ni le talent de les approfondir, ou d'y demêler ce qu'un compilateur habile & exact leur présente tout digéré ils ne font pas moins utiles à ceux qui ont déja vu les originaux, & qui veulent rappeller certains faits à leur fouvenir.

Les abréviateurs doivent avoir foin de ne faire entrer dans leurs abrégés aucun fait qui ne foit réellement dans l'original, de n'entamer aucun détail qui ne foit bien éclairci, de n'omettre rien d'effentiel, de ne dire rien qui n'éclaire & ne fixe l'efprit. Un abréviateur de l'Hiftoire fainte s'eft contenté de dire que « Jofeph fut vendu » par fes freres, calomnié par la femme de » Putiphar, & qu'il devint le furintendant » de l'Egypte; » de forte qu'on n'entend ce qu'il a voulu dire, que lorfqu'on fçait en détail l'Hiftoire de Jofeph. Cet abrévia

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