Page images
PDF
EPUB

III. Exemple.

On y voit des fots rengorgés
Des bégueules très-agréables,
Et des enfans fans préjugés;

De grands feigneurs bien dérangés
Se donnant les airs d'être affables;
Des protecteurs impitoyables

Qui vont quêtant des protégés, &c.

Quelquefois on retranche les conjonctions qui devroient naturellement lier les parties du difcours; & c'eft ce qu'on appelle disjonction, comme on peut le voir dans l'exemple fuivant, au quatrieme vers, où l'on a retranché la conjonction &:

Les unes difoient que Ménage
Avoit l'air & l'esprit galant,
Que Chapelain n'étoit pas fage,
Que Coftar n'étoit pas pédant.

Quoique ces figures n'aient pour objet que la diminution des mots, ce font cependant celles qui contribuent le plus à rendre le ftyle élégant & poëtique. Voyez Ellipse. FIGURES.

ADDITION. Ce mot, dans l'art oratoire, fignifie la même chofe qu'amplification; mais, comme plufieurs rhéteurs l'emploient préférablement à l'autre, nous avons cru devoir y confacrer un article.

Le mot addition porte avec lui fa fignification c'eft l'opération par laquelle on augmente, on amplifie une chose. Le difcours tire de l'addition fa richeffe, & quelD. de Litt. T. I,

C

M. Dorat,

Cha

pelle

quefois toute fa dignité : nous allons mon trer cela par des exemples.

Verrès a fait pendre un citoyen Romain! Voici de quelle maniere Cicéron amplifie cette propofition, pour lui donner de la force, & pour rendre l'action de Verrès plus criminelle. « C'eft une chofe expreffément défendue de mettre un citoyen » Romain aux fers: c'eft un crime inouï de » le condamner au fouet: c'eft prefque un » parricide de le faire mourir; mais de le » faire mourir fur une croix, comment cela » doit-il s'appeller? »

Voici comment ce même orateur s'y prend, pour ne pas dire tout fimplement qu'il vient accufer un raviffeur. « Qui pen» fez-vous, Meffieurs, que nous venons » accufer à votre tribunal? Un voleur? » un adultere? un facrilege? un meurtier? » Non, Meffieurs; mais un raviffeur; mais » l'ennemi juré des femmes; mais un impie » qui a profané tout ce que nous avons de » plus faint, de plus inviolable; mais un » homme que nos citoyens & nos alliés » regardent comme leur plus cruel bour

>> reau. »

Toutes ces additions ont lieu dans les vers comme dans la profe. Boileau ayant à dire à fon efprit, de la maniere dont vous cenfurez les auteurs, on diroit que vous êtes fans défaut, a donné à cette pensée toute la pompe & tous les charmes dont elle est fufceptible:

On croiroit à vous voir, dans vos libres caprices, Difcourir en Caton des vertus & des vices,

Décider du mérite & du prix des auteurs,
Et faire impunément la leçon aux docteurs,
Qu'étant feul à couvert des traits de la fatyre,
Vous avez tout pouvoir de parler & d'écrire.

La richeffe de l'élocution de ce poëte eft égale, fi elle n'eft pas plus grande, lorsqu'il exprime cette autre penfée: Sçavez-vous pourquoi tout le monde lit mes vers? Ce n'eft que parce qu'ils difent vrai, & que je fuis moi-même perfuadé des vérités que je dis. Voici l'abondance & la nobleffe qu'il jette dans cette pensée :

Sais-tu pourquoi mes vers font lus dans les provinces,

Sont recherchés du peuple,&reçus chez les princes? Ce n'eft pas que leurs fons agréables, nombreux, Soient toujours à l'oreille également heureux ; Qu'en plus d'un lieu le fens n'y gêne la mefure, Et qu'un mot quelquefois n'y brave la céfure. Mais c'eft qu'en eux le vrai, du menfonge vainqueur, Par-tout fe montre aux yeux, & va faifir le cœur ; Que le bien & le mal y font prifés au juste, Que jamais un faquin n'y tient un rang auguste,' Et que mon cœur, toujours conduifant mon efprit, Ne dit rien aux lecteurs qu'à foi-même il n'ait dit.

Le lecteur peut remarquer dans ces derniers vers, que l'auteur y parle par négation & par affirmation; c'eft-à-dire que, pour faire mieux fentir la vérité, il éloigne les fauffes idées qu'on auroit pu fe former fur le fujet : cette maniere de s'exprimer a beaucoup de grace & beaucoup de force en même tems. Voyez AMPLIFICATION.

AFFECTATION DU STYLE. En litté rature, comme en morale, le mot affectation fignifie un éloignement du naturel : ainfi l'affectation du ftyle eft un défaut, parce que rien n'eft beau que ce qui eft naturel. Ce défaut confifte à dire en termes recherchés, & quelquefois ridiculement choifis, des chofes triviales ou communes. La propriété des termes eft le caractere diftinctif d'un bon écrivain; & c'eft à cette qualité qu'on reconnoît le vrai talent d'écrire, & non à l'art futile, & de mauvais goût, de faire paroître les chofes plus ingénieufes qu'elles ne sont en effet.

Un des moyens de fe préferver de ce défaut, c'eft d'éviter ce ftyle figuré, poëtique, chargé d'ornemens, de métaphores, d'antithefes, & d'épithetes, qu'on appelle, par je ne fçais quelle raison, dit M. ď♫lembert, ftyle académique. Ce n'eft affurément pas, ajoute-t-il, celui de l'Académie Françoife; il ne faut, pour s'en convaincre, que lire les ouvrages & les difcours même des principaux membres qui la compofent c'est tout au plus le ftyle de quelques Académies de province, dont la multiplication exceffive & ridicule eft auffi funefte aux progrès du bon goût, que préjudiciable aux vrais intérêts de l'État. Depuis Pau jufqu'à Dunkerque, dit toujours le même auteur, tout fera bientôt Académie en France.

Ce ftyle académique, ou prétendu tel, eft encore celui de la plûpart de nos prédicateurs, du moins de plufieurs de ceux qui ont quelque réputation, N'ayant pas affez

de génie pour présenter d'une maniere frappante, & cependant naturelle, les vérités connues qu'ils doivent annoncer, ils croient les orner par un ftyle affecté & ridicule qui fait reffembler leurs fermons, non à l'épanchement d'un cœur pénétré de ce qu'il doit infpirer aux autres, mais à une espece de représentation ennuyeufe & monotone, où l'acteur s'applaudit fans être écouté. Ces fades harangueurs peuvent fe convaincre par la lecture réfléchie des fermons du P.Maffillon, fur-tout de ceux qu'on appelle le Petit-Carême, combien la véritable éloquence eft oppofée à l'affectation du style. Nous ne citerons ici que le fermon qui a pour titre: De l'humanité des Grands, modele le plus parfait que nous connoiffions en ce genre difcours plein de vérité, de fimplicité & de nobleffe, que les princes devroient lire fans ceffe pour se former le cœur, & les orateurs Chrétiens pour fe former le goût.

L'affectation du ftyle paroît fur-tout dans la profe de la plûpart des poëtes: accoutumés au style orné & figuré, ils le tranfportent, comme malgré eux, dans leur profe; ou, s'ils font des efforts pour l'en bannir, leur profe devient traînante & fans vie. Auffi avons-nous très-peu de poëtes qui aient bien écrit en profe. Les préfaces de Racine font foiblement écrites; celles de Corneille font auffi excellentes pour le fond des chofes, que défectueufes du côté du ftyle. La profe de Rouleau eft dure; celle de Defpréaux, pefante; celle de La Fontaine, infipide: celle de La Motte eft

« PreviousContinue »