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et qui se prête avec tant d'abandon et de violence aux desseins des perturbateurs. En Suède, un grand capitaine, un homme d'état distingué, assis sur les marches du trône, enseigue à son fils les moyens de rendre heureux le peuple qu'il est appelé à gouverner un jour, et lui donne ainsi la véritable légitimité.

Enfin, reportant nos regards sur notre patrie, cette fertile, industrieuse et loyale Belgique, pour laquelle la nature a tant fait, et qu'elle semble appeler encore aux hautes destinées dont nos annales ont conservé le souvenir si nous envisageons sa situation d'un œil exempt de préventions, également éloigné d'un complaisant optimisme et du travers aussi dangereux que triste, qui fait tout voir sous les plus sombres couleurs; si nous songeons à ce qu'eût pu être noiré sort, sur-tout à ce qu'est celui de quelques peuples qui peut-être ne l'avaient pas mérité plus que nous, sans doute nous trouverons dans ce parallèle des motifs de consolation et même d'espérances. Le souverain, en traçant aux représentans de la nation, dans un langage digne de lui et d'eux, le tableau fidèle de notre situation présente, n'a point dissimulé que quelques sacrifices étaient nécessaires pour assurer la marche du gouvernement; mais comme une compensation de ces efforts indispensables, il a offert à leurs regards l'abondance renaissante, l'instruction publique assise sur de nouvelles bases, et surtout le rejeton de son illustre fils, élevé dans ces principes libéraux qui font le bonheur des peuples et la force des monarques. Reposons députés de la nation. Plusieurs d'entr'eux, par la manière dont ils ont rempli leurs devoirs dans la session précédente, ont contracté un grand engagement: tout nous autorise à croire qu'ils sauront le remplir. Que la nation, de son côté, travaillant à sa propre félicité, marche, s'il se peut, toute entière dans la route que lui ont ouverte de généreux citoyens. Un grand exemple de patriotisme a été donné plusieurs villes paraissent disposées à le suivre, et déjà l'Angleterre s'en alarme. Si les Belges mettent dans la formation et dans les actes de cette coalition nouvelle, unanimité et persévérance, il est permis d'en attendre un succès d'autant plus désirable, qu'il prouvera chez nous l'existence d'une qualité sans laquelle il n'est point de nation le sentiment de sa dignité, joint à la volonté de la soutenir.

nous aussi sur les

Ph. L***.

MERCURE BELGE.

POËSIE.

ÉPITRE AU GRAND TURC.

Oui, c'est à toi, sublime Hamet,

Qu'un mortel obscur ose écrire.
Un digne fils de Mahomet,

Pour te flatter, pour te séduire,
Sur de grands mots se hausserait ;
Au gré de son noble délire,

A ta voix, dans ses vers, le monde obéirait,
L'Olympe, à ton aspect, d'aise tressaillerait :
Mais ce fatras pompeux, que l'Orient admire,
Chez nous-autres Français serait peu de saison;
On tourmente le ciel quand on n'a rien à dire,
Et je veux te parler raison.

J'apprends qu'aux rives du Bosphore (1)

Ta sagesse attentive anime les talens,
Que d'un jour plus serein déjà la faible aurore
Frappe les yeux des Musulmans.

Tu sais qu'ils ne sont plus, ces siècles ignorans,
Où le courage aveugle enchaînait la victoire:
Crains d'habiles rivaux, sultan; ne souffre pas
Qu'un autre despotisme, opprimant tes états,
Du plus beau des succès te dérobe la gloire.

(1) Lorsque cette pièce fut composée, le grand-seigueur venait de faire imprimer à Constantinople plusieurs de nos bons ouvrages tra

duits en

langue turque.

Certains rêveurs, un peu pressés,

Espèrent qu'un héros, pour le bien de ce monde,
Va, le fer à la main, sur des morts entassés,
Planter de la raison la racine profonde.

Laissons pérorer à grands frais

Tous ces guerriers de cabinets;

Moi, dont l'ame, sans doute, est trop faible et trop bonne;
Je dis, en admirant leurs rapides projets :
Éclairons les humains, et n'égorgeons personne.

Oui, puisse l'arbre de la paix
Ombrager l'antique Bysance,
Et puissent tomber sous tes traits,
Les cent têtes de l'ignorance!
Mais que d'obstacles je prévois!

Eh bien, si tous les jours l'autorité suprême
Foule aux pieds sans pudeur la majesté des loix,
Fais le bonheur d'un peuple en dépit de lui-même ;
Le despotisme, au moins, sera juste une fois.

L'intérêt va se faire entendre;

Au nom de l'Alcoran ton Muphti va rugir;

A de plus grands dangers sans doute il faut t'attendre:
Mais c'est en les bravant qu'on peut s'en garantir.
Un grand homme a suffi pour changer la Russie.
En vain les préjugés, en vain la barbarie,
Minèrent sourdement ses glorieux travaux;
En vain le démon des complots

Souleva contre lui son ingrate patrie;

Il sut vouloir, et la fureur impie
Qui d'un faible monarque aurait tranché la vie,
Se tut à l'aspect du héros.

Ecoute. Dusses-tu m'accuser de folie,
Il faut que je m'explique avec sincérité.
De ta sublime majesté

Descends quelquefois, je te prie.
Veux-tu t'enfermer pour jamais
Au fond de ta prison dorée,

Du grand, du vain nom de palais
Par le vulgaire décorée ?

Fais mieux ose porter tes pas

Loin des lieux où tu pris naissance ;

Dans ta course, tu connaîtras

Les lois qui d'un empire assurent la puissance.
Garde-toi d'oublier ce peuple généreux

Grand par son industrie et grand par son courage;
La Tamise t'attend sur ses bords orgueilleux;
Là, de la Liberté vas contempler l'ouvrage;
Un Sultan ne lit point: les objets parlent mieux
Qu'un long discours sur l'esclavage.

L'Italie à son tour appelle tes regards.
Un Pontife coiffé d'un triple diadême,

De superbes débris, des chef-d'œuvres épars,
Et des saints encadrés à côté des Césars,

Tout dans Rome est prodige, et tu diras toi-même :
Que d'abus on pardonne en faveur des beaux-arts!
Mais sur-tout hâte-toi d'arriver à Lutèce ;
Donne-nous le plaisir de voir un grand sultan.
D'un peuple humain et plein de politesse
La plus belle moitié prendra le doliman.

Pour plaire aux yeux de ta Hautesse ;
Les badauts haletans et froissés dans la presse
Se croiront trop heureux d'avoir vu ton turban,
Mais redoute à la cour le léger ridicule;

A nos riens importans soumets-toi sans scrupule :
La malice attentive à tes dépens rira,

Si tu vas oublier quelque grave formule.
Quand ce malheur t'arrivera,

Car enfin la sagesse ainsi que le génie
Ont leurs momens d'étourderie,

Sultan, un madrigal, et l'on t'excusera.

Que de nouveaux objets à tes yeux vont paraître ! Un Visir en Turquie est l'esclave d'un roi ;

En France, un grand seigneur respecte fort son maître,
Mais il veut vivre un peu pour soi.

Des mœurs de l'Orient parmi nous tout diffère.
Ta politique trop sévère

S'effarouche toujours et ne sait que punir;
La plus ferme vertu ne peut s'en garantir.
A Paris, c'est tout le contraire.
Le ton grondeur gâterait tout,
Et l'ordre
y naît du sein de la licence;
Chacun se conduit à son goût
Sans que personne s'en offense;
Chez ce peuple d'aimables fous,
On tolère jusqu'aux filoux,
J'entends filoux de conséquence ;
L'esprit, l'adresse, l'enjoûment
N'ont presque jamais tort en France;
Et l'on fait tout impunément,

Si l'on fait tout avec décence.

Quel courroux va briller dans tes regards surpris!
O forfait! Le dirai-je ? Une loi juste et sage
Depuis long-temps muette, abandonne au pillage
L'honneur de nos beautés et l'honneur des maris.
Pour des bagatelles d'usage

On n'empale point à Paris.

J'entends raconter qu'en Turquie
Une éternelle gravité

Couvre du Musulman la face rembrunic.

Ici, sur tous les fronts éclate la gaîté.

Il faut que le Français s'amuse ou qu'il expire.
O Sultan, si tu connaissais

Tout ce que vaut un peuple qui sait rire !....
Avec deux mots bien doux, tu le gouvernerais.
Il devient ombrageux s'il se croit à la gêne;
Mais qu'on flatte un peu ses désirs,

Il rit, et le bruit de sa chaîne

Se perd dans celui des plaisirs.

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