Page images
PDF
EPUB

donnant mille signes de repentir. C'est ce que se racontent, au commencement dû troisième acte, Agrippine et Marcus. Celui-ci, pour prix d'un si grand service, a obtenu la grâce de son père. Pison arrive, cède en apparence aux conseils de son fils, consent à remettre son épée, et envoye Marcus avertir ses amis qu'ils peuvent venir le joindre. Plancine, d'abord furieuse d'une réconciliation dont son orgueil se révolte, apprend que ce n'est qu'une feinte, qu'un piège plus sûr tendu à la confiance de Germanicus. Les conjurés arrivent : il est décidé que le prince va être assassiné à l'instant même. Marcus, en entrant, est frappé de ces derniers mots. Il en témoigne son indignation. Germanicus paraît. Il fait, malgré Marcus, retirer ses gardes, reud son épée à Pison, et par cette magnanimité, désarme l'assassin. Plancine frémit de rage. Sentius vient s'instruire de ce qui se passe. Il croit le complot déjoué. Séjan le rassure. Livrez, dit-il, à Plancine, la lettre d'accusation de Germanicus contre son époux faites - lui croire qu'elle est postérieure à leur réconciliation: il n'en faudra pas davantage pour ranimer leur haine; et si le fer ne réussit pas, que Pison alors reçoive de vous cet anneau qui lui dictera son devoir.

:

Germanicus qui croit Sentius parti, envoye Marcus pour le rejoindre et lui retirer des mains sa lettre à l'empereur. Agrippine ne peut approuver l'excessive clémence de son époux, et ne lui dissimule pas ses inquiétudes. Comme Pison arrivait, un affranchi demande à parler à Germanicus de la part de Tibère. Il sort, et dans ce moment Plancine apporte à son mari la lettre que Sentius lui a remise; Pison pourrait croire cette lettre antérieure à sa réconciliation avec son ennemi; mais entraîné par Plancine, aveuglé par sa haine qui renaît tout-à-coup, il jure de se venger, et il ne s'agit plus que d'en concerter les moyens. Plancine propose le poison; mais il n'aura recours à ce moyen qu'au moment où le signe, dont il est convenu avec Tibère, viendra l'avertir qu'il est temps de l'employer. Germanicus rentre. Je pars, dit-il, pour une expédition lointaine; c'est vous, Pison, que j'investis de mon autorité; veillez au bonheur de l'Asie, et recevez en outre

cet anneau auquel César m'écrit que vous reconnaîtrez ses volontés.

Un banquet solennel est prêt: c'est là que Germanicus veut sceller sa reconciliation sur la coupe de l'amitié; c'est là qu'il va périr. Plancine attend au vestibule l'issue de l'événement. Pison vient lui apprendre que le crime est consommé. Marcus, qui le suit, laisse éclater ses soupçons. Il conseille à Plancine et à Pison de quitter ce lieu où va paraître Germanicus mourant. Pison s'y prétend retenu par son honneur, par son devoir, et par l'intérêt de l'état. Les conjurés viennent lui promettre l'appui de l'armée. Le malheureux prince est apporté sur un lit, au milieu de ses amis et de ses enfans. 1 les exhorte à le venger, à poursuivre Plancine et Pison. Sentius annonce Séjan. Pison est arrêté par l'ordre du ministre. Plancine déclare que son époux n'a rien à craindre, qu'il n'a fait que suivre les instructions de Tibère. A ces mots, Agrippine se lève, quitte le corps de Germanicus, et, dans un discours pathétique, exhorte les vrais Romains à l'accompagner et à venir poursuivre à Rome et devant César, la punition du plus grand des forfaits.

Telle est l'analyse de la nouvelle tragédie de Germanicus assurément, comme le dit M. Tissot, il y a dans cette composition une connaissance réelle du théâtre, des ressources du génie et des combinaisons du talent, qui ne sont pas d'un homme médiocre.

En effet, comment ne pas s'intéresser au héros de la pièce, quand on le voit poursuivi par tout ce que la tyrannie et la haine ont de plus sombre et de plus farouche, sans cesse en danger quoique sans cesse changeant de situation, n'échappant à un piége que pour tomber dans un autre; ici sauvé par le hasard, là par Marcus, plus loin par sa grandeur d'ame, et mouraut enfin victime de sa générosité et de la scélératesse d'une femme! Comment ne point aimer Marcus, ce fils généreux du plus coupable père, et ne pas s'attendrir à l'aspect des inquiétudes, des larmes, du désespoir de la noble et vertueuse Agrippine? Ces belles ames ne font-elles pas le plus touchant contraste avec les ca

ractères atroces d'un Séjan, d'une Planciue, d'un Pison, d'un Sentius, de quelques autres scélérats subalternes? Ne sont-ce pas les ombres les plus propres à adoucir la teinte noire et lugubre de tant de scènes révoltantes?

Mais un caractère que l'auteur a su trouver dans Tacite, un caractère nouveau sur la scène, et qui répand sur toute la pièce la couleur du sujet, c'est celui de Séjan; vous diriez le génie du mal; vous diriez l'ame farouche de Tibère planant à tout moment sur la tête de Germanicus.

Cependant, quelqu'habiles que soient les dispositions de ce plan, nous croyons y avoir remarqué quelques défauts.

D'abord, le lieu de la scène est-il parfaitement choisi, et toute l'action s'y développe-t-elle sans invraisemblance? Est-ce dans le vestibule du palais de César que Sejan, qui ne veut pas être connu, doit venir trouver Seutius avant le jour ? Est-ce là qu'il doit prendre des informations, et s'entretenir de l'important objet de son voyage, avec un sénateur dont il ne connaît pas encore les secrètes dispositions? Est-ce là qu'il doit achever un entretien interrompu par l'arrivée de Germanicus? Marcus n'a pu obtenir la grâce de son père : il ne voit plus de ressource que dans les prières et la soumission de Plancine ; et c'est encore dans le vestibule du palais qu'il lui donne de salutaires conseils. Qui amène Plancine en ce lieu! Le désir de détacher son fils d'un odieux parti, de l'entraîner dans sa révolte. Mais cette conversation se tiendrait chez elle beaucoup plus commodément: car sans doute avant qu'elle parte en exil, Marcus ne manquera pas d'aller lui faire ses adieux. Vient-elle y porter des propositions de paix à Germanicus? Elle le dit en effet à Agrippine, qu'étonne sa présence dans un tribunal où elle vient d'être condannée; mais elle ment.

Je veux que pendant le banquet où Germanicus va être empoisonné, elle se trouve encore naturellement dans cet éternel vestibule, dans l'espoir d'y apprendre plutôt l'issue du fatal événement; je veux qu'elle y ait donné rendez-vous à Pison, et qu'elle ne craigne pas,

en y restant, d'éveiller de trop légitimes soupçons; quelle raison y fait venir Germanicus mourant ? Le désir de faire ses adieux et de recommander sa vengeance à ses amis? Mais il est à table au milieu d'eux, et il y est aussi bien que sur le lit où on l'apporte. Avouons-le: c'est pour le public qu'il se donne tant de peine; et l'auteur ne le tourmente si fort à son agonie, que pour amener un dénouement plus tragique, que pour finir par ce qu'on appelle un coup de théâtre.

Nous demanderons ensuite, s'il est bien probable que Sentius, qui rend hommage aux vertus du fils de Tibère, se fasse si peu prier pour servir contre lui les cruels projets de l'empereur, quand il sait sur-tout quelle récompense attend Pison pour le crime auquel on l'excite? Peut-il espérer un autre prix de la même obéissance? Et quelque lâchement dévoué qu'il soit, ira-t-il presser l'assassinat d'un prince dont il ne parle qu'avec admiration, sur la frivole promesse d'honneurs également promis à

Pison?

Narcisse, dans Britannicus, est un rôle admirable; mais il révolte, et un second n'y serait pas supporté. Dans Germanicus, il y en a quatre, sans compter les subalternes; n'est-ce pas un peu trop?

e

Marcus chargé, dès le commencement du 4. acte, de se rendre à Seleucie, pour rejoindre Sentius, reparaît au 5.; il a sans doute été instruit que Sentius n'était pas sorti d'Antioche; mais le public qui ne sait point ce qui l'a retenu, a lieu d'être surpris de le revoir si vite.

Il se peut que l'anneau dont Séjan est porteur soit historique; mais ce qui n'est pas moins certain, c'est qu'il ne laisse plus assez de doute sur la catastrophe; c'est qu'il rappelle trop l'anneau royal, cet anneau si bien trouvé dans l'Astrate.

C'en est assez sur le plan de l'ouvrage; nous allons maintenant en examiner le style; et cet examen fera le sujet d'un second article; nous écrivons dans un pays où la langue française fait des progrès; où l'on s'y affectionne tous les jours davantage; mais nous n'écrivons pas à Paris; et c'est un préjugé assez généralement répandu, qu'à Paris seul on peut écrire français; qu'à Paris seul on est

en droit de prononcer sur le mérite littéraire d'un ouvrage, et que rien ne s'imprime ailleurs, en langue française, qui ne sente la province ou l'étranger. Cependant, comme nous mettons une grande importance dans ce royaume à parler le français dans toute sa pureté; comme nous croyons possible, en ne lisant que des modèles, non pas de perfectionner l'idiôme de Racine et de Buffon, mais de lui conserver la perfection qu'il a acquise; nous nous proposons d'appliquer, autant qu'il nous sera possible et que nous en trouverons l'occasion, aux nouvelles productions françaises, soit en prose soit en vers, même à celles qui nous viendront de Paris, les principes de littérature consacrés par les écrivains du siècle de Louis quatorze. Plus nous sommes éloignés du centre des arts, plus il nous importe de nous tenir en garde contre les invasions du mauvais goût et la séduction des nouvelles doctrines littéraires notre projet est de nous attacher sur-tout aux écrivains les plus célèbres de l'école moderne. L. V. R.

Coup-d'œil sur les Progrès des Lettres en Belgique, depuis César jusqu'à nos jours.

Il y a une grande différence entre les prétentions de la

L

vanité et le respect qu'on se doit à soi-même. L'homme qui ne s'estime point est incapable d'énergie; le présent pour lui est stérile, et l'avenir ne lui présente qu'un horizon étroit et décoloré. Il en est, sous ce rapport, des masses comme des individus, des nations comme des particuliers. Commençons par nous respecter nousmêmes, si nous voulons que nos voisins nous respectent. Ceux qui affectent de donner le nom de Béotie au pays qui les a vus naître, à ces provinces appelées par Philippe de Commines le jardin de la terre promise, ne savent pas qu'ils renoncent à la plus belle portion de

[ocr errors]
« PreviousContinue »