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il ne s'agit, en vérité, que d'apprendre à en montrer à point ce qu'il convient et à vous en faire honneur: il suffit pour cela d'y penser un peu à l'avance.

Quelles sont bien, je vous prie, les excuses que nous pourrions nous donner à nous-mêmes pour nous refuser ces quelques heures de causerie sur les choses de notre état ?

Il en est une fort honorable, à laquelle je veux m'arrêter.

A votre âge, on vise naturellement très haut. Pris par les nobles études que vous faites ici, on laisse fort au-dessous de soi les préoccupations professionnelles. Il n'est pas un de vous qui, dans le secret de son cœur, borne son ambition à être un excellent professeur.

Le moins qu'on rêve est d'être un grand savant, un maître écrivain, un penseur. On sera bon professeur, s'il le faut, par surcroît mais on le sera éminemment, comme disent les philosophes : qui peut le plus ne peut-il pas le moins? J'ai, quant à moi, Messieurs, pour ces belles espérances le plus sincère respect et une sympathie décidée. Vous avez bien raison de viser très haut: c'est encore le meilleur moyen de ne pas tomber trop bas. Hélas! vous en rabattrez toujours assez. Ces ambitions d'ailleurs ne sont pas vaines en tout pays les grands corps savants se recrutent surtout dans le corps enseignant; et de vos rangs, nous y comptons bien, sortiront pour une part les hommes qui dans trente ans auront un

nom.

Au point de vue même qui est le nôtre aujourd'hui, vous ne pouvez faire rien de mieux que de vous donner autant qu'il se peut une haute valeur scientifique. C'est là sur les élèves un élément souverain d'autorité, le plus sûr après le caractère.

Et pourtant, Messieurs, il n'est pas de travaux personnels qui tiennent. La plus belle thèse amoureusement méditée n'excuserait pas un professeur de dédaigner ou de négliger sa tâche de professeur, pas plus qu'un soldat sa tâche de soldat. On n'a jamais assez de valeur quand on n'a pas au juste celle qu'il faut où l'on est, celle qui consiste à faire bien ce qu'on a à faire.

« Travailler pour soi », se réserver le temps de travailler pour soi, c'est l'expression médiocrement heureuse d'un vœu très légitime et très élevé. Rarement c'est pour lui seul qu'un professeur travaille même à son insu, ses élèves profitent et du savoir qu'il acquiert et des forces nouvelles qu'il se donne, sans parler des cas plus rares où la science aussi en profite, et le pays. Voilà pourquoi nous estimons tant chez un jeune professeur la résolution de travailler pour lui, de ne pas se laisser tout envahir par le métier.

Mais il en serait autrement si ce travail, dit personnel, l'était au point de nuire à la fonction. C'est si peu de chose, Messieurs, que nos petits intérêts, et ce qu'on fait pour soi seul a si peu de prix ! Que sera-ce si on le fait au détriment de ce qu'on doit aux autres ? A notre age à nous, on le voit à n'en pas douter, un homme ne vaut sérieusement que par ce qu'il fait pour les autres. La valeur de nos actes et de nos œuvres se mesure à leur portée au delà de nous.

C'est pour cela précisément que l'œuvre de l'éducateur est sans contredit une des plus nobles. Pour qu'il y ait un doute à cet égard, combien faut-il qu'elle soit dénaturée et compromise par les malentendus et les routines! Est-il une façon d'agir en dehors de nous qui porte plus loin? Si la marque d'une vie utile est de faire qu'après nous quelque chose aille un peu mieux en ce monde, quelle tâche que de façonner des esprits!

Messieurs, au dernier banquet de l'Association des étudiants, l'hôte illustre, l'écrivain aimé qui nous faisait l'honneur de présider cette fête, saluait en termes éloquents la fin, dans la jeunesse française, du pessimisme inerte, du dilettantisme triste qui, ces dernières années, semblaient avoir tout envahi. Il saluait le réveil de la vie, le goût renaissant de l'action désintéressée, de l'action. utile.

Le mal, je crois, chez nous n'a jamais été bien profond; j'ai connu peu d'étudiants dégoûtés de la vie et de ce qui la rend bonne; et ceux qui disaient, par exemple, que vous n'aimiez plus la liberté, quand on a eu lieu de la croire menacée, ont pu voir que vous l'aimiez encore. Ce qui est vrai, c'est que beaucoup d'entre vous cherchent leur voie (on la cherche toujours un peu à votre âge), plus ou moins désorientés par le désarroi des idées, par les conflits de principes et d'opinions qui caractérisent notre temps et sont le premier effet de notre liberté même.

M. de Vogüé vous invitait donc à avoir une foi. « Vous sentez le besoin de l'action, vous disait-il; mais pour agir il faut croire, la foi est la mère de l'action. >>

Rien de plus vrai; mais que faut-il croire ? La foi ne se commande guère plus que l'amour. Le vague un peu mystique de ce noble appel, n'a pas laissé même, vous le savez, que de soulever quelques critiques et de provoquer des résistances.

Ah! Messieurs, ce qu'il faut croire? Je le sais bien, si vous me permettiez d'ouvrir un avis qui n'est pas très neuf, mais qui est toujours de mise, et qui l'est peut-être plus que jamais dans les temps d'extrême liberté. Que diriez-vous de la foi au devoir professionnel, pour commencer?

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C'est une foi active, par définition; une foi précise et qui ne craint point d'hérésies. Si elle ne suffit point (car je ne vous demande pas de vous en contenter), elle n'exclut rien. Elle mène à tout, au contraire : c'est la condition première des plus beaux rêves au delà, de toutes les espérances raisonnables.

Cette religion du devoir prochain manque-t-elle un peu d'ampleur et de poésie dans certaines carrières? Je ne le crois pas; mais ce qui est sûr, c'est qu'elle n'en manque point dans la nôtre; c'est que l'œuvre de l'éducation nationale a largement de quoi relever, honorer, j'irai bien jusqu'à dire, puisqu'il s'agit de foi, sanctifier la vie de celui qui s'y donne corps et âme avec la pleine conscience de ce qu'il fait. De toutes les manières de travailler pour autrui, combien en connaissez-vous qui aient de plus larges effets et qui intéressent plus tout ce que nous devons aimer?

Cherchant les voies dès maintenant ouvertes à vos généreuses énergies, on a parlé de visites à faire aux pauvres, d'enseignements à porter au peuple. Indications excellentes, qu'avait devancées. d'ailleurs, je le sais, l'initiative de quelques-uns. Michelet donnait, il y a quarante ans, les mêmes conseils à la jeunesse des écoles. Rien ne peut être plus bienfaisant, plus pacifiant pour notre société que cette charité de l'esprit, cet apport volontaire de ceux qui reçoivent la haute culture à ceux qui ne savent pas le nécessaire. Mais cela même, Messieurs, c'est de l'éducation. Ceux de vous qui sont hommes à préluder de la sorte à leur fonction ne risquent pas d'en méconnaître la grandeur.

Peuple, tout le monde l'est, aujourd'hui. Nos lycéens sont peuple; ils sont simplement cette partie du peuple qui, demain, par la parole et par la plume entraînera l'autre, qui par le prestige de la culture aura le plus d'action sur l'avenir, donc les plus lourdes responsabilités. Ce que vous ferez d'eux pèsera d'un poids énorme sur les destinées de notre pays. Comment gouvernerontils, si votre discipline, brisant ou séduisant leur volonté, ne leur apprend pas à se gouverner? Quels guides seront-ils pour ceux à qui leurs talents en feront accroire, s'il n'y a point de caractères sous ces talents? Faites-en, au contraire, de vrais hommes, fermes et fins, aussi droits que souples, dont le jugement ne le cède pas au goût, ni le sérieux à l'esprit, ni le bon sens au bien dire : vous pourrez vous vanter d'avoir bien travaillé pour la France. Et comme la France est quelque chose dans le monde, ce qu'on fait pour elle va plus loin encore. En vérité, Messieurs, il y a de larges horizons, pour ceux qui les aiment, au bout de cette voie modeste

de l'éducation, qu'on dédaigne parfois si naïvement pour des visées autrement courtes et vaines!

Ce qui manque de poésie et d'ampleur, ce n'est donc pas la bonne pédagogie, c'est l'autre. Mais que dis-je ? la mauvaise par ses suites ne va pas moins loin que la bonne! Élever la jeunesse, enseigner, bien ou mal, c'est toujours semer pour l'avenir. Faire un cancre de plus qu'il n'est strictement nécessaire, c'est déjà manquer au pays: c'est le trahir que de faire, quand on pourrait l'éviter, des cœurs aigris ou secs, des volontés serviles ou mutines, des âmes sans lest et sans boussole. En mal comme en bien, les conséquences sont incalculables.

Nous le sentons, Messieurs; je le sens pour ma part, aujourd'hui avec une vivacité où il entre comme un regret du temps perdu. En dépit des efforts et des progrès que nous avons faits déjà (et je ne les rappelle pas, parce qu'ils vous sont connus et que nous ne sommes pas ici pour nous congratuler), avons-nous fait jusqu'ici tout ce qu'il est en nous de faire pour l'œuvre du relèvement national? Mettons-nous en valeur autant qu'il est possible toutes les forces vives de notre jeunesse? Ne pouvons-nous rien de plus pour hâter le jour où nos mœurs publiques seront à la hauteur de nos institutions? - C'est, Messieurs, à une sorte d'examen de conscience sur ce point que nous vous convions. N'y eùt-il qu'une petite chance de faire plus et mieux que nous n'avons fait, vous voudrez la chercher avec nous dans les libres entretiens auxquels la Faculté vous invite. Le patriotisme ardent et vigilant dont vous avez donné des preuves lui répond de l'accueil que vous ferez à son appel.

L'INSTITUT PASTEUR

Il y a deux ans, le 14 novembre 1888 avait lieu, en présence du président de la République et des plus illustres savants du monde, l'inauguration de l'Institut Pasteur, élevé par souscription publique. Cette maison de traitement, d'étude et d'enseignement libre n'a pas sa pareille en France et à l'étranger; aussi avonsnous pensé qu'il serait intéressant pour nos lecteurs de connaître son organisation.

Il n'est peut-être pas inutile de rappeler tout d'abord son histoire, dont nous empruntons les principaux traits au discours prononcé, le jour de son inauguration, par M. le professeur Grancher, directeur du service de la rage.

La communication dans laquelle M. Pasteur annonçait à l'Académie des sciences, le 26 octobre 1885, que le jeune Meister avait subi avec succès l'inoculation antirabique eut dans le monde un tel retentissement, dit M. Grancher, que dans l'année 1886, on dut vacciner dans le laboratoire de M. Pasteur 2682 personnes françaises ou étrangères. Il fallait s'occuper de l'inscription des malades, du pansement des plaies, de la correspondance, faire subir à chaque personne 15 à 20 inoculations, et le personnel du laboratoire de M. Pasteur, pris au dépourvu, dut faire établir à la hâte une installation provisoire dans la rue Vauquelin. Quelques insuccès étant survenus dans la méthode pendant le cours, à la fin de 1886, les adversaires de M. Pasteur ne manquèrent pas de raconter que la méthode était non seulement inefficace mais dangereuse, et que le laboratoire cachait ses morts. M. Pasteur sentit dès lors la nécessité de créer un établissement confortablement emménagé et muni d'un personnel spécial. Un journal fut créé en janvier 1887 sous la direction de M. Duclaux, professeur de chimie biologique à la Sorbonne, sous le nom d'Annales de l'Institut Pasteur. Cette publication est déjà devenue le recueil des meilleurs travaux de microbie. - L'Institut était plus difficile à fonder, car c'étaient les fonds qui manquaient le plus. Lorsque fut ouverte une souscription publique,

REVUE DE L'ENSEIGNEMENT.

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