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plètement, du moins de l'atténuer : ce serait de faire en sorte que, nous ne disons pas durant tout le cours des études, mais pendant trois, quatre ou cinq ans, et surtout dans les classes élémentaires, le maître suivit ses élèves. Il y pour la répartition du travail entre les professeurs d'une école deux systèmes : ou bien un seul maître enseigne dans une même classe plusieurs matières différentes, comme c'est l'usage en Allemagne ou chez nous dans les classes inférieures des lycées, ou bien chaque maître est chargé d'une spécialité qu'il promène, pour ainsi dire, à travers les classes. C'est ce dernier système qui, en France, est adopté, et cela d'une façon régulière pour toutes les matières dites complémentaires. Pour les langues vivantes il est certainement préférable, puisqu'il permet au maitre une étude très approfondie de la branche qu'il enseigne : mais pourquoi alors ne pas l'appliquer de manière à en tirer les plus grands avantages? Si le professeur, au lieu de retrouver les élèves, par hasard, une ou deux fois au cours de leurs études, et sans savoir au juste ce qu'ils ont fait dans l'intervalle, les prenait, je suppose, au début et les suivait jusqu'en quatrième ou troisième pour les céder à un de ses collègues jusqu'à la fin des classes, il y aurait moins de lacunes dans les connaissances des élèves, et au point de vue de la grammaire, et au point de vue du vocabulaire, le maître connaitrait mieux ses élèves individuellement, et il y aurait tout bénéfice pour la prononciation des enfants et l'éducation de leur oreille. Indépendamment des différences d'organes, auxquelles il faut s'habituer, il y a des différences de prononciation, notoires chez les divers professeurs, et il s'ensuit une regrettable confusion. Avant de pouvoir comprendre la langue que parle un chacun, il faut s'exercer à distinguer celle d'une personne déterminée. De même pour former une prononciation, mieux vaut un seul modèle que plusieurs. Pour l'allemand, par exemple, chacun prononce à sa façon. Comme il n'y a pas encore en Allemagne de prononciation officielle, les professeurs adoptent les particularités propres à telle ou telle partie de l'Allemagne. Ne sera-t-il pas préférable pour les élèves, étant donné que toutes ces prononciations se valent, de s'habituer à une prononciation uniforme? Ainsi pour les sons s et g, il entend dire une année à un maître : zo (so) et er liekt (liegt), et l'année suivante à un autre ço et er liecht. Exercé à une prononciation uniforme, l'élève en sera quitte pour constater par la suite des différences possibles, mais le fait de les constater prouvera qu'il en a conscience; dans l'état actuel des choses il est exposé à des confusions qui le troublent. On objecterait à tort

que les élèves courent risque, s'ils ont un mauvais maître, de ne rien apprendre du tout, ou si peu que rien. D'abord il ne devrait pas y avoir de mauvais maitres; et y en eût-il, qu'il vaudrait mieux trouver quelques divisions d'élèves faibles et un plus grand nombre de bonnes, qu'une série de divisions invariablement gâtées, invariablement médiocres, en dépit des efforts des bons professeurs!

Mais sans insister outre mesure sur ce point, revenons à la circulaire. M. Bossert recherche dans quelle mesure l'enseignement doit se partager entre l'étude de la langue et l'étude littéraire. C'est avant tout la langue comme assemblage de mots qu'il est nécessaire d'apprendre aux élèves et la langue usuelle, « celle qui est la plus simple, étant la plus ordinaire; la mieux faite, étant l'œuvre de tous; celle qui contient le plus d'idiotismes, le plus de métaphores, la plus intéressante et en même temps la plus utile; car c'est la clef de toutes les langues spéciales ». Cette étude commencera par l'enseignement de la prononciation et de l'accentuation. L'enfant doit assouplir d'abord ses organes par une sorte de gymnastique. Cette gymnastique est nécessaire, car elle familiarise tout de suite les élèves avec les traits caractéristiques de la langue qu'ils apprennent, et du reste elle facilite l'étude des mots : c'est surtout par le son qu'on retient le mot. Mal prononcé, on le retient malaisément, on n'aime pas à le répéter; bien prononcé, il vous appartient, il se loge dans la mémoire avec tout le cortège des mots similaires. « C'est ainsi que toute la langue entre peu à peu, non plus comme un assemblage de signes muets, mais comme l'âme parlante d'un peuple. »

Les exercices recommandés sont, au début, les leçons de mots, faites autant que possible en désignant les objets eux-mêmes. Puis commenceront les exercices de traduction, thème et version, qu'on fera marcher de pair avec l'étude de la grammaire, et qu'on aura soin de revoir et de prendre pour point de départ d'exercices semblables, afin de loger les mots dans la mémoire des enfants, de les exercer à les manier eux-mêmes et à les reconnaître au passage. Quant à la grammaire, qu'elle soit d'abord enseignée d'une façon élémentaire : elle sera complétée au cours des classes de grammaire.

La lecture forme le fond même des exercices: appropriée à la force de chaque classe, elle portera sur de petits récits, des fables, ou des anecdotes dont tous les mots seront expliqués soigneusement, qui seront répétés ensuite dans leur ensemble, par un seul enfant ou par tous les élèves. Dans les classes préparatoires, la circulaire recommande, sans l'imposer, l'usage du chant ou au

moins des lectures et récitations rythmées. A mesure que l'intelligence des élèves se forme et que ses connaissances générales se développent, les lectures prennent un caractère plus littéraire. Concurremment avec les morceaux choisis qui continuent à figurer parmi les livres recommandés, pour laisser plus de latitude aux professeurs, le programme de chaque classe contient une liste d'auteurs entre lesquels le maitre a le choix. C'est à partir de la quatrième que les ouvrages classiques entiers figurent aux programmes. L'explication de ces auteurs, faite au point de vue littéral tout d'abord, amènera des comparaisons naturelles entre les expressions et les tournures du texte et les expressions et les tournures correspondantes ou analogues du français. « Souvent l'impossibilité de traduire est le meilleur commentaire. Ainsi les paroles de Macbeth: Ot, out, brief candle! de même le hin ist hin! dans la Lenore de Bürger, ne peuvent pas être rendus en français. Ces textes, qu'on ne peut arriver à traduire, offrent des occasions de pénétrer dans le génie de la langue, et le professeur qui négligerait ces occasions se priverait d'une vraie source d'intérêt. »

Les notions littéraires n'apparaissent d'une manière expresse qu'en rhétorique. Le professeur doit les donner discrètement à propos des textes expliqués, replacer en quelques mots l'ouvrage étudié dans son temps et dans l'ensemble des œuvres célèbres de l'auteur, établir des rapprochements entre la littérature dont il est l'interprète et les littératures classiques plus familières à l'élève. Le but de ces comparaisons est de laisser entrevoir comment le génie de plusieurs nations, si proches voisines, peut s'exprimer différemment dans des genres pareils.

Citons la conclusion du rapport, qui résume en termes excellents le rôle des langues vivantes dans l'enseignement classique :

On a dit que notre tradition littéraire était un peu trop en ligne droite; elle va directement d'Athènes à Rome, et de Rome à Paris. Si l'étude des langues et des littératures étrangères n'est pas vaine, elle aura pour effet d'infléchir un peu cette ligne, sans la faire dévier tout à fait. L'Angleterre et l'Allemagne ont hérité, comme la France, de la civilisation antique, mais, comme la France, elles y ont mêlé quelque chose de leur propre génie. C'est ce quelque chose que nous recueillons et ce sont les langues qui nous ouvrent les chemins.

Il a été dit... que « la fin propre de l'enseignement secondaire était la formation de l'esprit ». OEuvre complexe et qui exige beaucoup d'ouvriers. Chacun y a son rôle spécial: celui des professeurs de langues est d'étendre l'horizon; le goût de l'élève n'y perdra rien, et son jugement y gagnera.

IV

Toutes ces indications sont très précises, et ce sont bien là les traits essentiels de la méthode de l'enseignement des langues vivantes. Peut-être y aurait-il matière à présenter quelques observations, toutes de détail. Mais, dans leur ensemble, si ces recommandations étaient suivies, on obtiendrait sans aucun doute des résultats excellents. A l'examen du baccalauréat, les langues vivantes sont aujourd'hui représentées à l'écrit par un thème fait à l'aide d'un lexique en une heure et demie, et à l'oral par une explication d'auteur. Si la méthode que nous venons de résumer était employée, ces épreuves devraient être très satisfaisantes (1).

Pourquoi alors les résultats obtenus sont-ils et seront-ils encore quelque temps, il ne faut pas essayer de se le dissimuler, bien différents de ceux qu'on serait en droit d'attendre ? C'est que l'enseignement des langues vivantes se heurte à une foule d'obstacles qu'il est malheureusement plus facile de signaler que d'écarter. Quelles sont, en effet, les conditions dans lesquelles cet enseignement est donné?

L'emploi du temps, dont on se servira dès la prochaine rentrée, accorde au professeur de langues vivantes quatre heures par semaine dans les classes élémentaires; et deux heures et demie dans toutes les autres classes: savoir une classe d'une heure et demie et une conférence d'une heure. En philosophie il n'y a plus qu'une conférence d'une heure (2). Si ce temps pouvait être utilisé, comme le recommande le programme, depuis le commencement des études jusqu'à la fin, il serait suffisant; mais il n'en est pas et ne peut pas en être ainsi. Les élèves qui viennent au lycée dès la huitième préparatoire sont l'exception; il en arrive tous les ans de nouveaux dans une classe entre la huitième et la quatrième. En sixième, ceux qui

(1) En philosophie il n'y a plus qu'une heure de conférence pour les langues vivantes, et à la seconde partie du baccalauréat il n'est plus question de ces matières. Ne pourrait-on pas introduire à l'examen oral une épreuve toute pratique pour montrer aux élèves que, durant leur année de philosophie, ils ne doivent pas se désintéresser d'une étude qu'ils sont censés avoir pratiquée pendant dix ans, et pour rappeler aux professeurs que l'heure dont ils disposent dans cette classe doit être employée à rassembler les matériaux amassés par leurs élèves durant le cours de leurs études antérieures ?

(2) Nous apprenons qu'à partir de la rentrée prochaine la conférence de langues vivantes en philosophie sera facultative. En tenant compte de nos mours scolaires, on peut, croyons-nous, considérer l'étude de l'allemand et de l'anglais comme bel et bien supprimée dans cette classe. Nous n'en regret tons que plus vivement l'absence de toute épreuve à la seconde partie du baccalauréat.

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ont déjà trois ans de scolarité sont à peine dans la proportion d'un tiers: or, parmi les nouveaux venus, bien peu sont en état de suivre pour les langues vivantes la classe où on les admet en considération de leurs connaissances générales de français, d'histoire, de calcul; de là un groupe croissant régulièrement d'élèves ou complètement ignorants ou fort en retard; si bien que le professeur jusqu'à la cinquième a le choix entre deux alternatives également déplorables ou bien il fait ses leçons en vue de la minorité qui a suivi régulièrement les classes ou qui est au niveau normal de la classe, et alors il retombe dans le vieil errement si reproché à certains professeurs il ne s'occupe que des premiers et néglige les moyens et les faibles, ou plutôt les faibles et les très faibles; ou bien il essaie de faire avancer individuellement toutes les têtes de son petit troupeau, ce qui veut dire, pour parler sans métaphore, de recommencer partout, en cinquième comme en septième, la classe de neuvième. Les classes sont fractionnées en trois ou quatre tronçons, et cette fâcheuse division se continue irrémédiablement à travers la série des classes.

Ce qui contribue encore à hacher les classes en séries de faiblesse inégale, c'est que les examens de passage, rendus un peu plus sérieux pour les matières dites principales, ne comptent pas encore, en fait, malgré les instructions données à cet égard, pour les autres branches et en particulier pour les langues vivantes (1). Un professeur met un zéro à un élève; celui-ci n'en passe pas moins dans la classe supérieure. Quelle conduite son collègue tiendra-t-il vis-à-vis de cet élève, quelle conduite tiendra-t-il surtout lui-même si par hasard il fait aussi la classe supérieure? Il reléguera, comme font quelques-uns, le malheureux ou les malheureux qui sont dans ce cas à « un banc d'infamie », et ce seront désormais autant d'agents de désordre, qui ne prendront part à la classe que pour la troubler.

Indépendamment des unités qui dans une classe gênent le professeur, il y a souvent un obstacle dans leur nombre. Partout où il y a plusieurs divisions d'une même classe, les élèves qui suivent l'allemand ou l'anglais sont réunis dans une commune division. Nous ne parlons pas des cas où, comme dans certains lycées de Paris, il y en a dans une division jusqu'à cinquante. Des classes de trente élèves ne sont pas rares. C'est évidemment une question d'économie qui a dicté cette mesure. Mais pour qu'un enseignement porte ses fruits, il faut bien le doter du

(1) Sur la nécessité des examens de passage en général voir un chapitre dans le livre de M. BRéal, Quelques mots sur l'instruction publique en France, 1872.

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