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à l'administration supérieure d'abdiquer une prérogative dont elle se considère comme investie. Il semble qu'on pourrait tout concilier en acceptant le vœu émis par le Congrès, vou très modéré, puisqu'il réserve prudemment pour chaque cas l'appréciation des titres produits, mais en ajoutant que, pour la France, l'équivalence ne pourrait être accordée que sur l'avis conforme de la Faculté compétente.

Telle est la solution que la commission propose au Conseil d'adopter. Dans sa pensée, le bénéfice de cette solution ne serait pas limité aux étrangers venant continuer leurs études en France. Il n'y aurait pas de bonne raison pour ne pas en faire profiter les Français que des circonstances jugées légitimes auraient amenés à commencer des études dans une Université étrangère; suivant la formule adoptée par le Congrès, la règle devrait s'appliquer sans distinction de nationalité.

Enfin la commission pense qu'il y aurait lieu de supprimer les perceptions fiscales établies en France par le décret du 22 août 1854, art. 5, comme condition des équivalences de grades ou d'études. Ces exigences onéreuses et plus vexatoires encore qu'onéreuses, motivées sur un faux prétexte d'égalité entre Français et étrangers, aboutissent en définitive à faire payer un enseignement qui n'a pas été donné, des examens qui n'ont pas été subis et un diplôme qui n'est pas délivré. Le profit pour le Trésor est bien mince. Pour toutes les Facultés et pour l'École supérieure de pharmacie de Paris, il représente une moyenne annuelle de 30 à 35 000 francs, calculée sur les cinq dernières années. Il en résulte cependant une gêne sérieuse qui éloigne de nos établissements d'enseignement supérieur une partie des étrangers qui seraient disposés à venir à nous. Les dispenses que l'art. 6 du décret autorise le ministre à accorder n'interviennent qu'assez rarement et même sont sans doute rarement demandées. Ceux qui pourraient les obtenir s'abstiennent le plus souvent de les solliciter, jugeant peut-être qu'il y a quelque chose d'humiliant dans les justifications qu'ils doivent produire. Nous vous proposons donc de demander aux pouvoirs publics l'abrogation de la disposition fiscale du décret de 1854, et, en attendant, de prier M. le ministre de vouloir bien user le plus largement possible de la faculté qui lui est laissée d'accorder la remise des droits.

Le Conseil, se référant aux observations et aux motifs exposés dans le rapport qui précède, a émis, dans sa séance du 21 juillet 1890, les avis suivants :

1o En ce qui concerne l'équivalence des diplômes et certificats constatant des études d'enseignement secondaire faites à l'étranger, pour l'admission aux études d'enseignement supérieur en France;

Il suffit de maintenir la pratique très libérale dès à présent suivie et qui, mieux que tout autre système, donne satisfaction au vœu du Congrès international de 1889, sans sacrifier les garanties nécessaires pour prévenir l'abaissement du niveau des études.

Une satisfaction plus complète pourra d'ailleurs être donnée à ce vœu, grâce à la faculté accordée aux futures Universités de créer des diplômes d'ordre purement scientifique et de les accorder aux conditions qu'elles détermineront.

2o En ce qui concerne les facilités à accorder aux étudiants pour accomplir une partie de leur temps de scolarité dans une Université étrangère;

Les Facultés qui le jugeront utile doivent pouvoir accorder à cet égard les autorisations qu'elles estimeront compatibles avec le bien et la régularité des études.

3o En ce qui concerne les diplômes et certificats constatant des études d'enseignement supérieur déjà faites et des grades déjà obtenus à l'étranger;

Ces diplômes ou certificats doivent pouvoir, sur l'avis conforme de la Faculté compétente, être déclarés équivalents aux diplômes, certificats ou grades français correspondants, mais au point de vue scientifique seulement et comme condition de la recherche d'un grade plus élevé.

4o Les équivalences accordées aux diplômes ou certificats d'études étrangers à l'effet d'autoriser ceux qui les obtiennent à faire ou à continuer en France des études d'enseignement supérieur, doivent cesser d'être assujetties au paiement des droits établis par l'art. 5 du décret du 22 août 1854 et, en attendant la suppression de ces droits, il y a lieu de prier M. le ministre d'user le plus largement possible de la faculté d'en accorder la remise en vertu de l'art. 6 du même décret.

NOUVELLES ET INFORMATIONS

Un de nos plus éminents collaborateurs, M. Lorenz de Stein, un des principaux économistes allemands et autrichiens, vient de mourir à l'âge de soixante-seize ans.

Né dans le Holstein, il fut appelé à Vienne vers 1854 par le ministre des finances, baron de Bruck, qui cherchait des collaborateurs pour ses plans de réforme et d'organisation administrative. M. de Stein, qui s'était déjà acquis une certaine réputation comme auteur de traités et de brochures, refusa la position qui lui était offerte au ministère, mais il accepta la chaire d'économie sociale et politique à l'Université de Vienne, et, favorisé par de brillantes qualités oratoires, il remplit ce poste avec beaucoup d'éclat pendant plus de trente ans.

M. Lorenz de Stein, qui était correspondant étranger de l'Institut de France (Académie des sciences morales et politiques), était l'un des chefs de la nouvelle école d'économie nationale allemande. Il s'occupait avec prédilection de la science du droit politique et administratif et des finances publiques.

L'UNIVERSITÉ ET LA DISCIPLINE NOUVELLE

Les élèves du lycée Janson-de-Sailly ont entendu cette année de belles allocutions. M. Léon Robert, l'éminent inspecteur général de l'instruction publique, qui présidait la distribution des prix, a charmé son jeune auditoire par de judicieuses et spirituelles réflexions sur les fêtes du Lendit.

« Ces belles fêtes scolaires du Lendit sont bien nouvelles et pourtant si bien en harmonie avec notre tempérament national que l'on s'étonne vraiment d'avoir attendu si longtemps pour les inaugurer chez nous.

En vous voyant au Bois de Boulogne, ce bon, ce cher et hospitalier voisin, en vous voyant par le grand soleil poursuivre vos courses sur les pelouses ou diriger vos canots sur les lacs, je songeais, non sans quelque mélancolique retour, aux écoliers du temps passé, à nos maussades promenades d'autrefois, en rangs silencieux et serrés, tout le long des boulevards poudreux.

Vous l'avouerai-je même, je n'étais pas spectateur impartial de vos. brillants combats, j'en prenais aussi ma part, hélas! par la pensée seulement, par le désir secret de vous voir triompher.

J'ai tout près de moi, à mon foyer, deux de vos plus jeunes camarades, qui seront mon excuse, si l'on me reproche jamais d'avoir une tendresse de cœur pour le lycée Janson-de-Sailly. Ils sont trop petits encore pour contribuer à vos victoires, mais ils s'y préparent, ils s'entrainent, ils rèvent de devenir sérieux champions; et avec quelle pas

sion ils assistaient aux exercices des grands! Ils m'ont familiarisé avec votre vocabulaire thèque, gouret, courses de fond, de vitesse, match, football et tous ces termes, d'aspect trop souvent britannique, dont vos aînés ignoraient jusqu'à l'existence. Quelles inquiétudes quand vous perdiez des points! Mais quel bonheur quand le lycée fut proclamé victorieux et quand pour une seconde année on lui confia la garde de la Coupe d'honneur!

Soyez donc encore aujourd'hui félicités, jeunes élèves. Ce sont là des joies vivifiantes : cette coupe, elle représente la discipline acceptée, l'effort soutenu, la lutte ardente et loyale, tout un ensemble de sentiments généreux et désintéressés qui sont la parure de la jeunesse.

Je n'ignore pas que votre entrain pour les jeux physiques, d'abord encouragé par tout le monde, a fait naître déjà quelques inquiétudes. On a parlé d'excès dans cette fougue juvénile, on a murmuré un gros. mot, pas britannique cette fois, qui rime plus ou moins richement avec canotage, qui circule autour des théâtres et signifie, si je ne me trompe, amour exagéré de la publicité.

La publicité, est-ce vous qui l'avez recherchée? P.-L. Courier l'a dit : « C'est la lettre moulée qui met le monde à mal », et P.-L. Courier écrivait avant l'invention de la presse à cinq centimes. Est-ce votre faute si vos rallye-paper ne sauraient s'accommoder du huis-clos? Si les reporters inévitables les ont surpris et en ont fait une ample matière à copie? Trop heureux s'ils ne commettaient jamais de plus dangereuses ou plus fastidieuses indiscrétions!. Non, vous ne provoquerez autour de jeux d'écoliers ni le bruit ni la réclame, puisqu'il faut l'appeler par son nom. Sans doute on a toujours raison de craindre les engouements subits qui amènent les rapides défaillances, mais vous saurez rester dans la juste mesure et dissiper les appréhensions.

Pour moi, je ne les partage point. Faire une bonne partie de ballon en plein air, cela vaut mieux que de s'aller passionner pour un torero espagnol et feindre d'admirer s'il sait bien, sans tuer le taureau, faire couler le sang du pauvre animal rendu inoffensif. Courir comme vous, en personne, cela est plus sain que de regarder courir des chevaux, quand ils courent, que d'organiser des émeutes au pesage et des insurrections sur la piste. Garder ses économies pour renouveler le crocket, cela est plus sûr que de les risquer dans les ténébreux hasards du pari mutuel. Jouer avec ses amis, lutter avec ses camarades, vivre entre soi, entre braves garçons, cela est meilleur et plus prudent que de lier connaissance avec les messieurs cosmopolites et suspects qui tiennent leur comptabilité, en partie simple, derrière les tribunes de Longchamps.

>>

Notre collaborateur, M. E. Stropeno, a entretenu le même public d'un sujet fort intéressant : « la discipline au lycée. » Voici la conclusion de ce remarquable travail :

<< Jeunes gens qui bientôt serez des hommes, et qui devez être des hommes libres, loin de vous ces bandelettes où l'on enserre la volonté, comme une momie froide et desséchée! Ce que nous voulons de vous, ce n'est pas vous courber de force sous un joug servile, mais vous préparer à la liberté par la pratique de la discipline affranchie. « Le respect est nécessaire, même dans la liberté, surtout dans la liberté »; mais quel respect? « Cette sorte de respect que vous éprouverez toute votre

vie pour les grandes choses, et qui, au lieu de dégrader l'âme, l'améliore et l'élève (1). »

<< L'homme libre dit Platon (2), ne doit rien apprendre en esclave. Les leçons qui entrent de force dans l'âme n'y demeurent point... Ainsi, bannis toute violence des études des enfants. >>

A l'œuvre donc, jeunes élèves! Conspirez avec vos familles, avec vos maîtres, à la formation de vos caractères, de vos consciences. Entraînez-vous, pour user d'un langage qui vous est devenu familier. Vous avez montré récemment de quelle énergie vous êtes capables pour discipliner vos muscles, rompre vos jeunes corps à l'effort méthodique et prolongé qui donne la victoire dans l'arène des jeux physiques. La coupe d'honneur et le drapeau portent témoignage de ce que vous savez endurer pour vous assurer un si brillant triomphe.

Celui que je vous propose est moins retentissant: il n'en est point de plus enviable. Il est question de vous vaincre vous-mêmes, de triompher, avant la punition, des motifs de la punition; ou si enfin la légèreté, pour un temps, a été la plus forte, de subir, avec le sentiment des réparations nécessaires, la conséquence logique de vos erreurs. «Il n'y a de durable et de salutaire, selon la parole magistrale de M. Gréard (3), que le sentiment de la faute attaché d'une main sûre à la conscience du coupable.

Développez en vous la conscience, disciplinez votre volonté. Ainsi vous vous assurerez le bénéfice complet de l'éducation que vous recevez ici. « L'éducation publique, dit le maître éminent que j'aime à citer, en même temps qu'elle inculque à l'enfant les idées d'égalité, de tolérance, de loyauté, de justice, de respect pour la supériorité de l'intelligence et du caractère, de solidarité, qui sont comme le viatique du monde moderne, lui crée par l'habitude de la règle, du travail, de l'effort aisément soutenu, de la vie morale puisée aux mêmes sources, le tempérament d'esprit et de cœur qui lui permettra d'en soutenir les épreuves (4). »

Songez-y: le résultat de cet effort exercé avec suite sur vous-mêmes ne sera pas uniquement de faire de vous de bons et d'aimables élèves; non, la discipline n'est pas un bien qui ne serve qu'au collège; c'est, suivant la forte parole de l'historien grec, un « κτῆμα ἐς ἀεὶ (*) », une possession durable, un capital solide dont les intérêts accumulés seront le trésor de votre vie tout entière.

Au sortir du lycée, vous serez soumis à une discipline plus étroite et plus formelle, celle du régiment. Salutaire école, où tous passeront, où vos maîtres eux-mêmes auront, de bon cœur, dans le rang, pratiqué l'obéissance que plus tard ils réclameront de vous.

Commencez dès maintenant, en vous soumettant avec joie aux sujétions indispensables du lycée, à déterminer votre volonté au sacrifice entier de vous-mêmes que la France réclame de ses fils. Rien n'est dur, rien n'est intolérable, lorsqu'il s'agit de servir son pays, et nulle règle

(1) JULES SIMON, op. cit., p. 11-12.

(2) PLATON, Repub., livre VII. (3) GRÉARD, op. cit., II, p. 189.

(4) ID. Ibid., p. 209.

(5) THUCYDIDE, I, 23.

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