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DE

L'ENSEIGNEMENT

LA QUESTION

DE

L'ENSEIGNEMENT SECONDAIRE

DEVANT LE SÉNAT

Le Sénat a consacré, le 17 et le 19 juin dernier, deux pleines séances à une interpellation de M. Combes « sur la nécessité d'apporter sans retard d'importantes modifications à l'organisation de notre enseignement secondaire ». Si la presse politique, il faut le reconnaitre, n'a prêté en général, et sauf exceptions, qu'une oreille très distraite à ces débats dont la portée morale est pourtant si considérable et si haute, il n'en est pas moins vrai (nous avons la hardiesse de l'affirmer) que la question de l'éducation nationale, celle de l'enseignement secondaire en particulier, a pour l'avenir du pays autant d'importance que celle des maïs et des raisins secs. Il faut donc féliciter M. Combes de son initiative aussi généreuse qu'opportune. Elle a appelé à la tribune du Sénat nombre d'orateurs de grande autorité, d'anciens chefs de l'Université, tels que MM. Simon, Berthelot, Bardoux, des maîtres très compétents comme MM. Chalamet et Maze; elle a provoqué surtout les déclarations impatiemment attendues et, disons-le de suite, très bien accueillies, du ministre actuel de l'instruction publique, M. Bourgeois.

M. Combes avait pris pour point de départ de son interpellation le discours de Montpellier, dont le retentissement a été si grand et si légitime, et qui annonçait le dépôt prochain d'un projet

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de loi sur la création de nouvelles Universités. A la vérité, comme l'a fait remarquer M. le ministre, le lien qui rattache ces deux questions celle des Universités et celle de l'enseignement moderne est bien lâche à la fois et bien ténu. Il est possible qu'une des réformes réclamées par M. Combes, je veux dire un certain temps d'études quasi universitaires avant le baccalauréat, puisse à la longue accroître, sinon en qualité du moins en quantité, la clientèle de nos écoles supérieures; mais cette perspective est encore bien vague et reculée; tandis que la question des Universités est tout à fait mûre et appelle des mesures promptes et décisives. Il ne s'agit, en somme, que de fortifier, par la consécration de la loi, des institutions en pleine activité, de reconnaître l'existence très réelle de centres universitaires là où les conditions nécessaires à leur fonctionnement et à leur durée se trouvent dès à présent réunies. Pour l'enseignement secondaire, il en va autrement. Comme nous pensons le démontrer, des innovations, très désirables. en principe, ne peuvent y être introduites qu'après sérieuse réflexion et à la suite d'une étude attentive des éléments nombreux et d'une complexité délicate que ce grave problème met en jeu.

Il n'est pas besoin de suivre ici pas à pas et dans ses moindres détails la discussion du Sénat, on en trouvera plus loin les principales parties reproduites d'après le compte rendu officiel. Les divers orateurs ont parlé un peu de tout, tantôt du culte des Muses, tantôt des aspirantes institutrices, de celles qu'on a appelées assez durement, bien qu'en termes de commisération, les déclassées de notre enseignement primaire. L'enseignement classique, l'enseignement. spécial, les récentes décisions du Conseil supérieur relatives à la discipline, le baccalauréat, les examens de passage, les exercices physiques ont tour à tour été mis sur la sellette du Sénat. Si l'on faisait un tableau de notre enseignement secondaire d'après les indications qui ont été fournies de part et d'autre, il faut convenir qu'il ne serait pas très flatteur. Seul, le ministre a tenu un langage plus optimiste; mais les documents statistiques, les rapports administratifs du personnel sous ses ordres, dont il a donné lecture à la haute assemblée, n'ont, dans ce qu'ils peuvent avoir de rassurant, que la valeur relative de toutes les communications officielles. en général. Heureusement, l'histoire de la pédagogie nous l'apprend, depuis la renaissance des études, les plaintes ont été continuelles, chez tous les peuples et dans tous les temps; on a sans cesse critiqué, modifié, réformé les programmes scolaires et l'organisation des écoles, sans capter la source des abus et sans satisfaire tout le monde. Je viens de lire une histoire du gymnase de Bâle depuis le xvi° siè

cle(1), fort bien composée par le professeur Burckhardt-Biedermann, avec une érudition à la fois sûre et impartiale, et qui donne à l'appendice toute la série des plans d'études adoptés successivement par les conseils scolaires de cette grande cité qui est en même temps un centre d'État dans la Confédération suisse. On y voit que les programmes ont été remaniés à peu près tous les vingt ans, qu'ils ont subi le contre-coup de tous les événements petits ou grands de la politique locale ou générale, religieuse ou civile. L'individu, considéré isolément ou en corps de nation, se transforme sans cesse, et la mort seule, la catastrophe finale, peut mettre un terme à ses aspirations toujours nouvelles à un ordre de choses meilleur. La critique historique, si elle était conséquente, devrait nous rendre plus indulgents pour le passé, mais aussi pour le présent. En nous faisant mieux comprendre les idées et les croyances des générations qui nous ont précédés, elle n'établit, semble-t-il, qu'avec plus de force le droit qui nous appartient à nous-mêmes de nous soustraire, s'il le faut, aux institutions traditionnelles et d'organiser notre vie, comme l'ont fait nos devanciers, au gré de nos préférences et en conformité avec nos besoins.

Pour revenir aux critiques formulées sur notre enseignement, j'ai hâte d'arriver à la question des études classiques, qui est de beaucoup la plus importante, et je ne dirai qu'un mot sur les autres points qui ont été touchés incidemment dans la discussion du Sénat.

Pour nous la question des examens de passage est presque insoluble, sous le régime de la concurrence.

Si la liberté de l'enseignement, comme nous l'avons toujours pensé, est une liberté nécessaire et féconde, il faut l'accepter avec ses inconvénients comme avec ses avantages. Le mal se trouvera d'ailleurs singulièrement atténué de lui-même et sans aucune mesure préventive, du jour où l'on aura fait aux études modernes leur place légitime dans nos programmes scolaires.

Le problème du baccalauréat est fort grave, mais il se représentera naturellement à notre examen quand le ministre aura soumis au Conseil supérieur le projet de réformes qu'il annonce devoir être importantes et profondes.

Le peu qu'il nous en dit dès aujourd'hui nous parait fort bon. « Désormais l'élève pourra apporter, à l'appui de sa demande

(1) Geschichte des Gymnasium zu Basel, par FR. BURCKHARDT-Biedermann, Bale, Emile Birkhaueser édit., 1889. 1 vol. in-8 de 337 pages.

d'examen, l'ensemble de ses notes et des témoignages qu'il a reçus pendant la durée de ses études... Un livret scolaire sera tenu régulièrement dans les établissements de l'État. » Cette indication nous laisse entrevoir que le baccalauréat ne sera pas supprimé purement et simplement, comme le désirent M. Combes et M. Maze. Nous sortons donc, avec le projet ministériel, du pays des chimères; car ne nous apparaît pas très bien comment cette suppression aurait pu cadrer avec la liberté de l'enseignement, à moins de substituer au diplôme de bachelier ce qui n'est pas une petite affaire une série d'examens à l'entrée des diverses professions universitaires et autres. Si, avec le système actuel, on étudie mal, sous la menace de l'examen, dans les classes supérieures, il serait à craindre, le baccalauréat une fois supprimé, de voir l'immense majorité des élèves ne plus étudier du tout.

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M. Chalamet, qui nous paraît à la fois un partisan acharné de la tradition universitaire et, pour me servir d'une expression à la mode, un mécontent, a attaqué avec beaucoup de virulence les nouvelles réformes, et en particulier les récentes décisions du Conseil supérieur de l'instruction publique relatives à la discipline. Il a rapproché avec un peu d'aigreur des idées si délicatement exprimées dans le beau rapport de M. Marion je ne sais quelle réponse plus ou moins authentique qu'il attribue au poète homme d'État de 1848, à Lamartine. Il est permis de penser néanmoins que le lycée ne doit être soumis ni au régime d'une caserne, ni à la discipline d'un couvent. La responsabilité de l'État est gravement engagée par les développements qu'a pris chez nous, à la différence des autres pays, l'institution de l'internat. La tutelle administrative y remplace celle des parents pour un très grand nombre de nos enfants, et il est naturel qu'elle s'inspire, dans une large mesure, des sentiments de douceur et d'indulgente bonté, qui pénètrent de plus en plus l'éducation qui se donne dans la famille. Si l'on veut que l'enfant aime l'étude, s'attache à ses maitres, et ne considère plus le collège comme un lieu de détention, au moins par comparaison avec la maison paternelle, il est nécessaire que l'on se relâche de plus en plus de ce que la discipline d'autrefois avait de trop âpre, de trop pédantesque et, tranchons le mot, d'inhumain.

Sans doute l'école est une préparation à la vie, mais, à ce qu'il nous semble, une préparation très longue, dont la durée est presque du tiers de la moyenne de la vie elle-même. Ce n'est guère que pendant une assez courte période, de la douzième à la quinzième année, que l'on devrait se montrer vraiment sévère, et tenir étroi

tement les rênes. Avant cette période, on a affaire à des enfants presque inconscients; après, à des adolescents qu'il faut habituer peu à peu et par degrés au sentiment de la responsabilité et à une émancipation inévitable. Les règlements pédagogiques, soit dit en passant, ne doivent pas être les mêmes pour tous les âges.

M. Chalamet s'est aussi exprimé en termes assez rudes sur les examens physiques. Il a apporté une note gaie dans cette discussion austère, en jetant un peu de ridicule sur le lendit; il s'est demandé si nos jeux publics d'écoliers ne feront pas bientôt concurrence au Grand Prix de Paris. Ce sont là plaisanteries faciles que la conversation familière autorise, mais qui nous semblent déplacées à la tribune d'une haute assemblée. M. Chalamet, qui n'a pas honoré ces exercices de son patronage, n'y était pas sans doute présent; il n'en parle probablement que par ouï-dire. Quant à moi qui assista is à la distribution des prix du lendit, comme beaucoup d'autres amis sincères des fortes études et d'une bonne éducation, j'ai pu, dans la foule très honnête où j'étais confondu, observer le public de ces réunions. Le coup d'œil était pittoresque, mais nullement solennel ou théâtral. J'y ai vu notre digne Président de la République, qui, avec un tact très sûr et un dévouement sans égal, ne néglige aucune occasion d'encourager les tentatives utiles et dignes d'intérêt, et à côté de lui des hommes comme M. Gréard, M. Berthelot, M. Liard, M. Rabier, M. Buisson, M. Bréal (je ne cite que quelques noms), qu'on ne peut accuser sérieusement de vouloir assigner aux professeurs de sciences et de belles-lettres un rang inférieur ou égal à celui des maîtres d'équitation, d'escrime, de natation ou de gymnastique. L'assistance se composait surtout d'universitaires, de jeunes élèves et de leurs familles, et l'on n'y apercevait aucune trace de ce monde, en partie interlope, qui fait des courses sa distraction, on peut même dire son occupation habituelle, et qui envahit les pelouses d'Auteuil et de Longchamps.

M. le ministre a dit à ce sujet, en termes justes et mesurés, tout ce qui devait être dit. Il a parfaitement expliqué que pour encourager ces exercices si nouveaux, pour appeler sur eux l'attention du public (et du meilleur), il importait, au moins dans les premiers temps, non pas de faire sonner les trompettes de la réclame (ce qui serait fàcheux), mais de leur prêter le retentissement nécessaire de la publicité. Si l'on considère que les traditions de l'Université ont été presque de tout temps contraires à l'éducation physique, il eût été à craindre que, renfermées dans l'enceinte des collèges, ces exercices n'y fussent mort-nés. Et le ministre a insinué finement qu'il appartenait moins qu'à personne aux partisans de

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