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en dehors des individus, l'existence de groupes sociaux naturels, tels que la famille, les corporations professionnelles, les associations de tout genre, les communes, l'État, et l'importance du rôle que ces organismes sont appelés à jouer dans la démocratie de l'avenir.

Déjà la constitution fédérale des États-Unis a consacré l'autonomie politique des collectivités en accordant à chaque État de l'Union le droit de choisir un nombre égal de deux sénateurs, quels que soient l'étendue territoriale et le chiffre de la population de l'État. C'est là une première dérogation au principe du droit de suffrage individuel et à la souveraineté de la loi du nombre; mais, quand on a une fois admis qu'une nation ne se compose pas uniquement d'unités individuelles, que les groupements organiques font aussi partie intégrante de l'existence nationale et ont également le droit de participer à la représentation politique du pays, ce principe ne manquera sans doute pas de produire ses conséquences ultérieures dans un avenir plus ou moins éloigné.

La démocratie s'acheminerait ainsi vers une organisation plus compréhensive et plus complexe; les individus y garderaient toujours leur place, mais la vie collective s'y ferait largement sa part, les groupes territoriaux ou sociaux, tels que les communes, les provinces ou les départements, les chambres de commerce ou d'agriculture, les syndicats industriels, les établissements publics d'enseignement, comme les Universités, enverraient siéger dans les assemblées les représentants, non plus seulement de votes individuels mais de volontés collectives.

La prévision d'une pareille forme de démocratie beaucoup moins simpliste que le type des États-Unis serait sans valeur, si elle procédait d'une vue purement subjective, et si elle ne s'appuyait sur aucune donnée positive de la réalité actuelle. Or c'est précisément dans l'évolution même de la démocratie américaine, dans les efforts qu'elle a tentés pour éliminer certains effets morbides de ses institutions, que nous croyons entrevoir les germes latents, l'ébauche encore vague mais déjà perceptible d'une organisation nouvelle.

Ainsi nous avons constaté dans les dispositions constitutionnelles récentes du gouvernement fédéral ou local une tendance générale à limiter la compétence des législatures par des restrictions spéciales, à fortifier les prérogatives du pouvoir exécutif, le droit de veto du président, du gouverneur des États et même des maires des grandes villes sur les résolutions des assemblées législatives ou municipales.

Nous avons signalé un courant d'opinion considérable qui vise à enlever au suffrage populaire le recrutement des fonctions administratives et judiciaires pour le confier désormais soit aux législatures, soit au gouverneur, enfin la réforme du service civil qui, en instituant des concours à l'entrée de certains emplois fédéraux, a porté un coup sérieux au système des dépouilles et au patronage des politiciens.

Les nations du vieux monde ont donc à se défendre d'un engouement irréfléchi pour les institutions américaines, non pas seulement parce que les conditions différentes de climat, de race et de milieu social favorisent peu le greffage des fruits de la civilisation américaine sur les produits du sol européen, mais encore parce que le type de démocratie réalisé aux États-Unis est loin de correspondre à l'idéal de l'espèce, parce que le cours des événements a conduit l'Amérique elle-même à modifier le caractère par trop élémentaire de son organisation politique. En somme, les États européens peuvent trouver dans les données de leur propre développement historique, dans les institutions traditionnelles du régime représentatif, le germe d'un type de démocratie plus complet et plus avancé que celui de la démocratie américaine.

La plupart de ces États possèdent déjà, en effet, le suffrage universel, ou sont à la veille de l'adopter; mais, s'ils acceptent tous plus ou moins ce legs de l'évolution démocratique des sociétés modernes comme un baromètre de l'état d'esprit des masses apte à guider l'orientation du gouvernement, l'expérience des ÉtatsUnis les détourne de considérer ce suffrage comme le moteur exclusif de l'action gouvernementale, de lui confier la conduite directe des affaires publiques, le rôle d'exécution proprement dit, et surtout le choix des compétences spéciales, comme les fonctionnaires de l'ordre administratif et judiciaire.

Les nations européennes que le régime parlementaire a dotées des avantages du gouvernement de cabinet se garderont bien aussi -d'échanger cette organisation plus parfaite du pouvoir exécutif contre le mécanisme inférieur du gouvernement présidentiel où la séparation des fonctions législative et exécutive révèle une division rudimentaire du travail politique, par suite une solidarité moins forte entre les grands pouvoirs de l'État, et un organisme moins cohérent, moins harmonique, moins bien intégré dans toutes ses parties.

Aucun État de l'ancien continent, république ou monarchie, ne songe aujourd'hui à abandonner les conquêtes essentielles de

la démocratie réalisées dans le cours de ce siècle. Les garanties constitutionnelles, les libertés individuelles, telles que le droit de se réunir, de s'associer, d'exprimer librement sa pensée, font désormais partie, à des degrés divers, de leur chair et de leur sang. Il s'agit seulement de savoir si la démocratie doit aller encore plus loin dans cette voie et radicaliser de plus en plus les institutions politiques, ou si, au contraire, le moment n'est pas venu de consolider les prérogatives acquises de l'individu en resserrant les tissus sociaux, en accroissant la force des groupes et de l'État au profit de l'unité nationale et de la protection des classes inférieures.

La Révolution de 1789 a inauguré en Europe une période individualiste pendant laquelle on s'est efforcé avec raison de détendre les liens qui rattachaient les individus aux groupes, à la famille, à la corporation, à l'État, et de donner plus d'élasticité, plus de jeu à l'initiative individuelle que ne le comportait la structure trop rigide de l'ancien régime. Mais cette période a donné tous ses résultats, et est aujourd'hui épuisée. Il convient d'inaugurer maintenant une période socialiste dans le vrai sens du mot, où l'on se préoccupera surtout d'intégrer à nouveau les individus émancipés par les principes de 1789 dans les groupes auxquels les incorpore nécessairement la vie sociale, et d'adopter la famille, les unions professionnelles, les associations diverses, l'État lui-même, à l'organisme plus complexe et plus souple de l'âge moderne.

Mais l'exemple des États-Unis nous avertit que, pour accomplir cette tâche, la démocratie devra s'abstenir des procédés incohérents et anarchiques où ne manquerait pas de l'entrainer un radicalisme plus intense de ses institutions. L'agitation stérile de majorités parlementaires issues exclusivement de la loi du nombre, impuissantes à coordonner leur activité et à se soumettre à la direction de leurs chefs, est en contradiction directe avec une démocratie organisée et pondérée qui aura seule la vertu d'opérer les réformes politiques et sociales de demain.

On aurait tort d'en conclure que nous prétendons imposer à la démocratie un roi ou un César. La monarchie ou la dictature césarienne n'en sont point, à nos yeux, l'accompagnement obligé; mais ce qu'elle exige absolument, c'est une organisation gouvernementale assise et cohérente, dont les différents pouvoirs s'équilibrent et se prêtent un mutuel concours, où les assemblées électives se cantonnent scrupuleusement dans leur fonction de délibération et de contrôle, en laissant la plus large sphère d'autorité et d'initia'tive à un exécutif vigoureux servi par une administration vaillante et dévouée.

REVUE DE L'ENSEIGNEMENT. XX.

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L'évolution politique de la plupart des sociétés européennes leur a, en effet, transmis un double héritage qu'il leur est également impossible de répudier : la démocratie et le régime parlementaire. Le second paraît être le système politique le mieux adapté et le plus adéquat à la première; mais, d'une part, la démocratie ne réussira à faire bon ménage avec le régime représentatif que si elle consent à se pénétrer des conditions essentielles du fonctionnement de cet organisme gouvernemental; d'autre part, le régime parlementaire ne survivra à l'épanouissement complet du type démocratique que s'il se montre capable de réaliser ces profondes transformations dans l'ordre économique et social dont les événements de chaque jour nous annoncent la fatale et prochaine échéance.

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SIMPLES OBSERVATIONS

TOUCHANT L'ENSEIGNEMENT

DU DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

EN FRANCE

Il est universellement admis aujourd'hui que l'enseignement du droit doit avoir en France un double caractère : il faut qu'il soit à la fois et scientifique et pratique. Nos Facultés se préoccuperont donc de donner à leurs élèves de solides connaissances pratiques qui les mettront à même de suivre avec succès les carrières si diverses auxquelles peut conduire l'étude du droit. En même temps, elles se garderont d'oublier qu'elles sont des établissements de haute culture intellectuelle, et auront à cœur d'initier leurs disciples aux dernières conquêtes de la science. Jusqu'à une époque récente, l'enseignement du droit était resté surtout pratique : c'était un tort, et l'on ne cesse de le reprocher à nos prédécesseurs. Ces reproches sans cesse répétés, souvent amers, sont exagérés, quelquefois même injustes: on ne devrait pas oublier en effet que, si l'enseignement ancien n'a été ni aussi étendu, ni aussi approfondi que l'on aurait pu le désirer, la faute en était moins aux hommes qui le donnaient qu'à l'insuffisance des moyens laissés à leur disposition. Le nom des Toullier, des Pardessus, des Rossi, des Ortolan et de tant d'autres, devrait faire taire les critiques par trop acerbes, et l'on peut souhaiter à la nouvelle école de se montrer à la hauteur de l'ancienne.

Quoi qu'il en soit, une réaction s'est produite, et de nos jours c'est au caractère scientifique de l'enseignement du droit que l'on prête la plus grande attention. Les justes revendications du monde savant ont été encouragées et soutenues par l'accueil qu'elles ont reçu des hommes qui se sont succédé à la tête du service de l'instruction publique. Quelques enseignements nouveaux introduits déjà depuis plusieurs années dans nos Facultés y ont acquis leurs lettres de naturalité, d'autres plus nombreux sont à la veille de

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