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leur situation les met plus à même d'entreprendre, avant ou durant leurs études, les voyages indispensables au professeur d'une langue étrangère.

On voit que nous considérons dans l'enseignement supérieur l'organisation des études de langues vivantes surtout au point de vue des jeunes gens français qui se préparent au professorat dans l'enseignement secondaire.

Ce sont eux, en effet, qui doivent former le noyau des étudiants dans les Facultés des lettres. Les étrangers, qu'on admettait autrefois presque sans réserve, n'entrent plus qu'à titre d'exception dans les cadres réguliers. Malgré un décret récent, admettant à la rigueur dans les écoles françaises les professeurs de certains pays, comme l'Angleterre, nous ne connaissons pas d'exemple d'étrangers placés comme professeurs dans un établissement public depuis de longues années. On ne les prend guère s'ils ne sont pas naturalisés, et s'ils n'ont pas subi les mêmes examens que les Français. C'est, en somme, une situation dont il y a lieu de se féliciter quelques-uns regrettent qu'on se prive ainsi de professeurs connaissant à fond la langue qu'ils doivent enseigner; mais par là, il faut bien se le dire, pour quelques maîtres excellents dont on se prive, on écarte une bien plus grande quantité de maîtres très inférieurs, en dépit des apparences. Rien de moins justifié, que le préjugé assez répandu, d'après lequel les meilleurs professeurs d'une langue seraient les personnes qui la parlent naturellement. Cela peut être vrai quand il se trouve en présence d'élèves adultes, et encore à la condition que ces élèves aient déjà l'habitude d'apprendre une langue ou que l'étranger ait fait des études toutes spéciales. Autre chose est de savoir une langue, autre chose de l'enseigner, et surtout en graduant l'enseignement, en l'adaptant au reste des matières d'un programme. Dans tous les cas, il est indispensable au professeur qui s'adresse à des enfants de posséder le français. Qu'un homme puisse faire abstraction des fautes de prononciation ou des lapsus d'un étranger, très bien; mais demander à un écolier de l'indulgence pour son maître, c'est renverser les termes : la discipline ne repose que sur l'autorité, et c'est faire trop d'honneur à la nature des enfants que de les supposer capables de respect, voire de docilité, à l'égard de celui chez qui ils peuvent soupçonner, à tort ou à raison, une connaissance de leur langue maternelle, inférieure à celle qu'ils croient eux-mêmes en avoir En vain dirait-on que le professeur de langues vivantes doit parler le plus fréquemment possible dans sa classe la langue qu'il enseigne ne serait-ce que pour le cas

où une réprimande est nécessaire, il faudra bien faire usage du français, et ce serait pécher contre les règles les plus élémentaires de la pédagogie que d'obtenir d'un élève, par une observation, qu'à cause de cette observation même il vous rie au nez.

D'ailleurs, le meilleur moyen de prouver l'efficacité de l'étude des langues vivantes est de montrer des exemples de Français s'étant rendus maîtres par le travail de l'allemand, de l'anglais ou de tel autre idiome. Quel encouragement, s'il semble admis en principe que les Français n'arrivent jamais à savoir la langue qui leur est enseignée! Il y a, au contraire, dans la connaissance acquise par le maître, et un stimulant pour l'effort de l'élève et une garantie d'autorité.

A côté des futurs fonctionnaires de l'enseignement secondaire, les professeurs de littératures étrangères voient se former autour d'eux un auditoire régulier de personnes désireuses de développer les notions qu'elles ont acquises de la littérature et de la langue allemande, anglaise, italienne ou espagnole. Cet auditoire se compose d'étudiants de toutes les Facultés, mais surtout de candidats à la licence és lettres qui se préparent à l'explication d'un texte étranger requise depuis quelques années à leur examen. Non moins nombreux sont les auditeurs qui suivent d'une façon toute désintéressée les cours publics: dans cette catégorie, les femmes ne sont ni les moins empressées ni les moins aptes à profiter des leçons.

II

Les connaissances techniques exigées des maîtres de langues vivantes sont indiquées par la nature de leurs examens et les matières de leurs programmes : nous ne parlons ici que des examens en vue desquels on dirige les conférences dans les Facultés; il sera question plus loin des examens de langues vivantes particuliers à l'enseignement primaire.

Régulièrement, il ne devrait être question dans les Facultés que d'un examen, la licence ès lettres avec mention « langues vivantes », et d'un concours, l'agrégation. Mais l'assimilation avec les autres branches d'études n'est pas encore complètement achevée sur ce point. Il subsiste de l'ancienne organisation un examen, devenu cette année même un concours (1), qui confère les mêmes droits que la licence, c'est-à-dire qui permet de prendre part au concours de l'agrégation et donne droit à un poste de professeur

(1) A partir de juillet 1890, le nombre des diplômes est limité pour l'allemand et l'anglais à 15, tant pour les femmes que pour les hommes.

dans un collège le certificat d'aptitude à l'enseignement des langues vivantes. La Faculté de Paris a, seule jusqu'ici, décidé de ne plus tenir compte des programmes du certificat d'aptitude et de ne plus corriger les exercices des candidats à cet examen : en province, on continue à s'en préoccuper dans l'enseignement supérieur.

Les épreuves du certificat d'aptitude sont un thème et une version sans dictionnaire pour chacune desquelles trois heures sont accordées, et une dissertation en français sur un sujet de pédagogie. L'examen oral comprend un thème instantané, une explication d'auteur, des interrogations sur la littérature française, des interrogations en langue étrangère sur la littérature du pays et une leçon de grammaire d'une demi-heure environ, faite après une heure de préparation. Le jury est formé d'une commission nommée tous les ans et généralement composée de professeurs des lycées de Paris. Les aspirants doivent présenter, aux termes de l'arrêté du 31 juillet 1883, soit le diplôme de bachelier ou un grade étranger équivalent, soit le certificat d'aptitude au professorat des écoles normales primaires.

La licence és lettres avec mention « langues vivantes »>, instituée par les décrets du 25 décembre 1880 et du 28 juillet 1886, comprend des épreuves communes à tous les ordres de licence és lettres et des épreuves spéciales. Les premières se composent à l'écrit d'une dissertation en français et d'une dissertation en latin, à l'oral d'explications française, latine et grecque; les dernières, à l'écrit, d'un thème et d'une version faits sans dictionnaire en quatre heures chacun, à l'oral, d'un thème instantané, avec commentaire grammatical, d'une explication d'auteur avec interrogations sur la littérature étrangère et de l'explication d'un texte écrit dans une seconde langue vivante.

Cette licence avait été instituée dans une double intention : pour établir la correspondance des grades entre les langues vivantes et les autres branches, pour développer chez les futurs professeurs des lycées et des collèges la culture générale en même temps que les connaissances exigées pour le certificat d'aptitude. Ainsi la licence devait se substituer à ce dernier examen; mais après de longs débats il a été décidé qu'ils subsisteraient l'un et l'autre. Car la licence effraie par quelques-unes de ses épreuves, et surtout par la dissertation latine, bien des jeunes gens qui ont interrompu leurs études classiques par de longs séjours à l'étranger ou qui ont suivi au collège les cours de l'enseignement spécial. L'aspirant à la licence ès langues vivantes n'a pas moins de

cinq langues à étudier en même temps, dont trois assez à fond pour pouvoir les écrire. Comme, d'autre part, les examens de langues vivantes sont communs aux hommes et aux femmes, on ne peut pas refuser aux candidats pourvus du certificat d'aptitude l'autorisation d'affronter les épreuves de l'agrégation, tant que le même diplôme ouvre aux candidates les portes de ce concours. Force est donc de laisser subsister les deux examens côte à côte.

La licence et le certificat d'aptitude existent pour l'italien et l'espagnol comme pour l'anglais et pour l'allemand; il n'y a, en raison des besoins actuels de l'enseignement, de concours d'agrégation que pour l'anglais et l'allemand. Les épreuves maintes fois modifiées se composent, d'après les derniers règlements:

D'un thème et d'une version sans dictionnaire pour chacun desquels il est accordé quatre heures;

D'une dissertation en allemand et en anglais et d'une dissertation en français faites chacune en sept heures : l'une des deux dissertations doit porter sur un sujet de littérature, l'autre sur un sujet de langue.

La partie orale comprend un thème improvisé; une explication d'auteur avec commentaire, après une demi-heure de préparation; une leçon en français d'une durée d'une heure au maximum et une leçon en allemand ou en anglais de même durée, qui sont faites l'une et l'autre après vingt-quatre heures de préparation. Depuis deux ans, on a ajouté à l'examen oral l'explication d'un texte anglais pour l'agrégation d'allemand, d'un texte allemand pour l'agrégation d'anglais.

Chaque année un programme fixe la liste des auteurs dans lesquels ou à propos desquels doivent être choisis les sujets de composition et de leçons (s'ils portent sur un point particulier de littérature ou de linguistique, s'ils ne rentrent pas dans les questions dites générales), et les explications et traductions orales.

Comme on voit, les deux agrégations de langues vivantes offrent des garanties sérieuses en ce qui concerne les connaissances du professeur. Mais la question est de savoir si elles répondent aux besoins de l'enseignement secondaire (1). Il est bon de s'assurer que le maître manie la langue qu'il doit professer, qu'il traduit avec habileté, parfois avec talent, les textes étrangers et les textes français mais rien n'indique qu'il saura enseigner. Dans le cas où il a passé le certificat d'aptitude, il a dû prouver qu'il avait

(1) A propos des modifications qu'on pourrait apporter aux différents ordres d'agrégation, voir la note de M. Lavisse: Questions à étudier (Revue, t. V, janvier à juin 1883).

une idée des principes pédagogiques propres à son enseignement, et qu'il savait exposer clairement les règles de grammaire; le plus souvent il a enseigné entre la licence ou le certificat et l'agrégation; mais ne serait-il pas bon qu'il y eût à l'examen le plus élevé, qui donne droit aux postes dans les lycées, une épreuve pratique entrant en ligne de compte avec les épreuves techniques? Il y avait autrefois une correction de devoir qu'on a supprimée comme n'offrant pas une image exacte de la réalité : la leçon, les explications faites devant les examinateurs peuvent-elles davantage donner une idée de la leçon et de l'explication faites devant les élèves? Il y a là une difficulté dont les professeurs de Faculté se préoccupent aussi bien que les étudiants. N'y aurait-il pas moyen de tenir compte des aptitudes pédagogiques pratiques des candidats?

III

Tous ces professeurs, agrégés, licenciés, certifiés, comment enseignent-ils la langue qu'ils ont étudiée? Quel but se proposentils, et comment réussissent-ils ?

Reportons-nous aux circulaires et aux programmes pour avoir la théorie; nous examinerons ensuite dans quelle mesure ces instructions sont suivies en réalité.

La dernière circulaire date de janvier 1890. C'est le rapport présenté à la première sous-commission du Conseil supérieur de l'instruction publique pour l'étude des améliorations à introduire dans le régime des établissements d'enseignement secondaire, par M. Bossert, inspecteur général des langues vivantes. Ce rapport résume les traits essentiels de la méthode propre à l'enseignement des langues.

Posant en principe la nécessité d'une méthode, M. Bossert constate les efforts louables de ceux qui ont créé l'enseignement des langues vivantes, mais qui, en général, pris en dehors des cadres ordinaires, et dépourvus de toute expérience pédagogique, ne sachant pas, en outre, ce qu'on exigeait au juste d'eux, ont fait des langues vivantes des langues mortes pour leurs élèvès : les choses se sont améliorées, mais il n'y a pas encore assez d'entente entre les professeurs; si bien qu'en passant d'une classe à l'autre, l'élève, changeant de professeur, est dérouté; et le défaut qui consiste à traiter la langue vivante comme la langue morte n'a pas encore complètement disparu.

A propos du premier inconvénient signalé il y aurait, nous semble-t-il, un moyen bien simple, sinon de le supprimer com

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