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sition au doctorat en droit et au doctorat en médecine, ne fût-ce que pour contre-balancer la tendance trop étroitement professionnelle qui règne dans les études juridiques et médicales. Quoi qu'il en soit, la mesure nouvelle ne peut porter que de bons fruits. Elle contribuera puissamment à éveiller et à développer ce qui manque le plus à nos étudiants: l'initiative, la curiosité intelligente, le goût des recherches scientifiques. Nos Universités sont engourdies par le dogmatisme : le professeur dicte ou pérore; les élèves prennent des notes, rédigent des cahiers :

On les voyait sans cesse écrire, écrire

Ce qu'ils avaient jadis entendu dire.

Ils n'imaginent rien, comme l'abbé Trublet, mais, à la différence de l'abbé Trublet, ils ne lisent pas davantage. Les cours pratiques, où l'on tâche de les tirer de leur torpeur et de leur apprendre à travailler par eux-mêmes, reçoivent maintenant une sanction légale; ils deviendront une partie intégrante de l'organisme universitaire. Sans doute les thèses de nos docteurs ne seront pas toutes des chefs-d'œuvre, mais le débutant qui aura approfondi une question spéciale et qui aura produit une œuvre, même médiocre, sera un autre homme que le récipiendaire qui éblouissait ses examinateurs par des tours de force de mémoire. Les professeurs eux-mêmes seront stimulés, tenus en haleine, et s'occuperont de leurs élèves plus que par le passé.

Il est temps de conclure.

Il résulte clairement de ce que nous avons dit que la loi du 10 avril 1890 n'est qu'une seconde édition, revue, corrigée et augmentée, de la loi de 1876.

Elle maintient le principe fondamental de la loi de 1876: la collation des grades académiques par les Universités.

Elle l'étend encore, en créant le grade universitaire d'ingénieur, c'est-à-dire en dépouillant les Écoles spéciales de l'État de leur privilège, et en substituant, de fait, les Facultés aux Écoles normales supérieures.

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Elle écarte définitivement l'examen d'entrée à l'Université, mais elle exige des aspirants aux grades académiques un certificat d'études d'humanités ou d'études professionnelles, soit un peu plus que rien.

Elle impose la thèse pour le doctorat dans deux Facultés.

Elle améliore sensiblement le programme d'examen de la Faculté de philosophie et lettres.

Il serait prématuré de porter un jugement sur une loi qui

n'est pas encore mise en vigueur (1). Nous dirons seulement qu'en l'examinant de près et en étudiant les mesures à prendre pour l'exécuter, on y a découvert déjà quantité de lacunes, d'obscurités et d'incohérences (2). Les discussions parlementaires ont d'ailleurs produit sur le public une pénible impression: l'incompétence de la législature sautait aux yeux; à l'exception d'un très petit nombre de députés, les orateurs se montraient très mal informés; les amendements improvisés se succédaient sans relâche, et, à certains moments, la scène tournait presque à la comédie (3). Aussi le système du Staatsexamen pour l'exercice des professions libérales et pour l'admission aux fonctions publiques, combiné avec l'autonomie absolue des Universités en ce qui concerne les examens académiques, a-t-il fait rapidement de grands progrès dans l'opinion publique.

P. THOMAS,

Professeur à l'Université de Gand.

(1) Art. 64: « La présente loi sera obligatoire à partir du 1er octobre 1890. » (2) N'est-ce pas une inconséquence frappante que d'imposer un examen préparatoire aux candidats ingénieurs (art. 12 de la loi) et de ne demander aux autres aspirants aux grades académiques qu'un simple certificat? Il existait, a-t-on dit, un examen d'entrée aux écoles spéciales, et il était utile de le conserver; mais il y avait aussi un examen d'entrée aux Écoles normales, qui sont maintenant remplacées par les Facultés! Il serait facile de citer d'autres exemples, mais celui-ci suffit.

(3) La Belgique n'a pas de Conseil d'État.

LA

RÉPUBLIQUE AMÉRICAINE

Les Américains ont le droit de s'enorgueillir du redoublement de curiosité et d'intérêt qu'excitent dans l'ancien monde leurs institutions politiques et sociales. En moins de deux années, trois ouvrages importants sur les États-Unis ont successivement vu le jour en France ou en Angleterre d'abord le livre de M. Claudio Jeannet, rempli de vues personnelles, mais trop marqué au coin de l'esprit de parti pour revêtir un caractère véritablement scientifique, puis les deux volumes de M. le marquis de Noailles : Cent ans de république aux États-Unis, essai brillant d'un écrivain qui, dans sa critique souvent judicieuse des institutions américaines, se préoccupe un peu trop de faire la leçon à la démocratie; enfin l'ouvrage, très supérieur aux deux autres, dont nous venons entretenir les lecteurs de la Revue internationale: la République américaine, en trois gros volumes, par M. James Bryce, membre du Parlement anglais.

Ce qui constitue, à nos yeux, la valeur exceptionnelle du travail de M. Bryce, c'est l'originalité et la franchise de la méthode qu'il consacre à l'étude des institutions américaines. M. Bryce se sépare de la tradition de Tocqueville et des ouvrages antérieurs sur le même sujet en ce qu'il essaye d'appliquer la méthode expérimentale et comparative à l'étude de la société et de la Constitution des États-Unis. Comme le dit l'auteur lui-même dans l'introduction de son livre, l'ouvrage de M. de Tocqueville est « un traité dont les conclusions sont empruntées à l'Amérique, mais s'appuient, dans une large mesure, sur des vues générales de la démocratie suggérées par les circonstances où se trouvait la France ».

On ne saurait plus justement signaler le défaut de la cuirasse

(1) La République américaine (the american Commonwealth), par J. BRYCE, membre du Parlement anglais.

dans le livre de Tocqueville qui décrivait les institutions américaines d'après des idées a priori beaucoup plus que d'après les données de la réalité observée sur le fait particulier et vivant.

M. Bryce poursuit un tout autre but dans l'étude de la République américaine et a, conséquemment, recours à une méthode très différente: « Je me suis efforcé, dit-il dans son introduction, d'échapper aux tentations de la méthode déductive, et de présenter simplement les faits de mon sujet en les arrangeant et les groupant le mieux que j'ai pu, mais en les laissant parler d'eux-mêmes plutôt qu'en imposant au lecteur mes conclusions. >>

C'est là le véritable esprit scientifique auquel l'auteur reste fidèle dans tout le cours de son ouvrage. Il envisage la démocratie non comme une catégorie politique universelle et toujours identique à elle-même, mais comme un genre susceptible de produire des espèces très diverses, et de se manifester dans la réalité concrète par des types particuliers. La République américaine est alors présentée au lecteur non point comme un exemplaire idéal dont l'imitation s'impose à tous les peuples, mais comme un état politique ayant ses conditions d'existence propres et produit par une série de causes aboutissant à une série d'effets.

Dans la vaste enquête qu'il appartient à la science d'ouvrir sur la démocratie, les États-Unis apportent sans doute leur contingent de documents précieux dont M. Bryce est le premier à reconnaître la portée; mais l'auteur refuse d'attribuer à la forme du gouvernement une importance aussi exclusive que la plupart de ses prédécesseurs, estimant que les explications tirées de la forme du gouvernement sont trop simplistes pour embrasser la réalité. tout entière et pour ne pas demander le complément d'explications d'une autre nature.

M. Bryce détermine ainsi le cadre de son livre : « C'est le caractère, le tempérament, ce sont les tendances de la société. américaine, tels qu'ils s'incarnent d'abord dans les institutions politiques et sociales, puis dans la littérature et les mœurs. » L'ouvrage est divisé en six parties dont les cinq premières traitent de matières purement politiques, tandis que la sixième est consacrée au côté plus spécialement social du sujet. Cette division même indique que l'auteur s'est surtout proposé de donner le pas à l'organisation politique sur l'organisation sociale, et de se livrer à une analyse approfondie du gouvernement national et local des États-Unis. Il y a, dit-il, « trois choses essentielles qu'on désire connaître relativement à une communauté nationale: c'est-à-dire sa structure et son mécanisme constitutionnel, les méthodes qui

le mettent en jeu, les forces qui le font mouvoir et dirigent sa course. Il est naturel de commencer par la première. »

Nous ne voyons en effet aucun inconvénient à commencer l'étude d'une société par les organes et les fonctions de sa vie politique. Il importe peu de soumettre d'abord le sommet de l'édifice aux investigations de la science, pourvu que la base ait ensuite son tour et qu'on ne lui fasse pas une part trop réduite. Or ce sont précisément ces forces élémentaires et internes « qui font mouvoir le mécanisme constitutionnel et dirigent sa course », que M. J. Bryce néglige de mettre en lumière.

On n'aperçoit pas assez dans son livre les ramifications étroites et profondes qui rattachent le mécanisme constitutionnel des États-Unis aux fonctions de l'organisme social, aux institutions vitales de la société américaine, telles qu'elles se sont peu à peu incrustées dans le droit ou les mœurs sous la pression des événements.

Le lecteur découvrira de lui-même cette lacune, quand nous arriverons à la sixième partie de l'ouvrage; mais nous tenions à la signaler dès le début, car elle constitue, dans le livre de M. Bryce, bien moins un vice de plan qu'une interversion des influences naturelles qui met au premier rang le mécanisme politique et constitutionnel, quand il n'est, en réalité, que le reflet, que la traduction extérieure et dérivée de l'organisme social et économique.

Ces réserves faites, nous n'avons qu'à suivre l'auteur dans l'étude de la constitution américaine où il apporte une abondance de documents, une connaissance personnelle du pays, de ses mœurs et de ses traditions politiques acquise pendant cinq ou six voyages successifs aux États-Unis, une sûreté de méthode, en même temps qu'une défiance des généralisations hasardeuses véritablement hors de pair.

Dès le chapitre II, M. Bryce a soin de bien établir le double caractère du gouvernement des États-Unis et le dualisme des liens dans lesquels il enserre les citoyens : « L'Amérique est une communauté de communautés, une république de républiques. L'Union est plus qu'un agrégat d'États, et les États sont plus que des parties de l'Union. Il y a, aux États-Unis, deux gouvernements couvrant le même sol et commandant, avec une autorité égale et directe, l'obéissance d'un même citoyen. »

La Constitution fédérale émane de la Convention réunie à Philadelphie, le 14 mai 1787 et composée de 55 délégués des 13 communautés séparées qui formèrent le noyau primitif de l'Union américaine.

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