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gnement son caractère général et vraiment classique, de transformer les établissements d'éducation secondaire en écoles préparatoires en vue de professions déterminées à l'avance; d'obliger les enfants à faire choix d'une carrière avant que leur vocation ait pu s'éveiller; d'établir une séparation complète, un fossé profond entre des catégories entières de carrières, et, au lieu de rapprocher les esprits, en les nourrissant à la fois du suc des lettres et de la moelle des sciences, de les éloigner les uns des autres, de les cantonner dans des horizons étroits et bornés, de faire naître des divisions, des malentendus, des mécomptes irréparables et, ce qui est plus grave, de briser l'unité à la fois si souple et si forte de la pensée française? En songeant à tous ces périls qui menacent la jeune génération qui grandit sous nos yeux et qui est notre espé- · rance et celle du pays, nous nous rattachons au système de l'école unique comme à un système de transaction et de concorde. Nous réclamons des instituts où nos enfants soient élevés en commun; où le latin, les langues vivantes, les sciences, l'histoire, la géographie, l'instruction civique, les exercices physiques se partagent, à des degrés divers selon les âges et les aptitudes, le'temps consacré à leur éducation. Nous faisons une large part aux sciences et aux langues vivantes, pour donner satisfaction aux exigences de la société moderne; nous excluons le grec à regret, pour éviter la surcharge et le surmenage; nous maintenons le latin parce qu'il nous paraît nécessaire encore aujourd'hui, non seulement pour l'étude des belles-lettres, du droit, de l'histoire, mais aussi, si je puis dire, pour la culture véritablement scientifique des sciences, et pour la connaissance approfondie et exacte de leur développement et de leurs méthodes. Et nous répétons ce que nous écrivions il y a quelques années, en réponse au livre de M. Frary: Ce qui est à l'ordre de jour, ce n'est pas la question du latin, c'est la question du grec.

Ed. DREYFUS-BRISAC.

L'UNIVERSITÉ IDÉALE

Comme l'indique leur titre même, ces quelques pages n'ont d'autre prétention que d'indiquer quel serait, selon nous, le maximum des réformes qui peuvent paraitre nécessaires pour constituer nos grandes Universités provinciales et que nous voudrions recommander à l'attention de nos législateurs.

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Après les remarquables études publiées dans ces derniers temps sur la question des Universités, celles notamment de M. Liard, si complètes et si pratiques, il nous parait difficile de rien ajouter dans le domaine de la réalité actuelle ou historique. Qu'il nous soit permis, du moins, de tenter une digression dans le domaine du futur contingent peut-être ne sera-t-elle pas absolument inutile. Nous examinerons successivement ce qu'il y aurait à faire pour l'organisation générale, pour le personnel et pour l'enseignement.

I. ORGANISATION GÉNÉRALE

Et d'abord nous devons prévenir le lecteur que nous donnons à ce mot d'Université un sens bien plus large que celui qu'on est habitué à lui donner chez nous. Cela semblera peut-être un peu hardi, bizarre même, si l'on veut mais puisque nous avouons ne pas craindre de côtoyer par moments l'utopie, nous risquerons tout de suite notre définition: « L'Université provinciale sera constituée par l'ensemble de tous les établissements d'instruction de la région, à quelque degré qu'ils appartiennent, supérieur, secondaire et primaire, ou mieux, pour présenter les choses dans l'ordre logique et rationnel: primaire, secondaire et supérieur. »>

Il nous paraît désirable, en effet, que, dans un avenir plus ou moins rapproché, les trois ordres d'enseignement soient reliés entre eux de la façon la plus intime, dans la pratique, et non point seulement sur le papier, dans les documents officiels. Ils devraient en réalité, au lieu de se juxtaposer comme ils font actuellement, se pénétrer et s'entr'aider de leur mieux. Par quels moyens on pourrait arriver à cette réforme capitale, c'est ce qui

REVUE DE L'ENSEIGNEMENT.

XX.

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résultera, nous l'espérons, des courtes propositions qui vont suivre.

L'Université comprendra donc : 1° les écoles primaires, quelle que soit leur nature ou leur dénomination; 2° les lycées et collèges classiques ou professionnels; 3° les écoles supérieures et les Facultés. Chacune de ces catégories d'établissements aura son organisation spéciale, sa vie propre; mais elles seront rattachées entre elles par certains liens communs que nous allons essayer de définir.

D'abord le chef, le recteur, qui devra être à la fois l'agent de l'administration centrale, comme il l'est déjà aujourd'hui, et, ce qu'il n'est guère encore, le représentant attitré, autorisé, reconnu, des divers ordres d'enseignement. On verrą plus loin comment nous pensons que l'on pourrait arriver à ce résultat. Ses attributions seront très étendues. Il aura l'autorité complète, incontestée, avec certaines réserves, sur les fonctionnaires des trois ordres, sur l'application des méthodes, sur les élèves. Ce ne sera pas un maitre absolu, mais un chef constitutionnel, grâce aux divers conseils qu'il sera tenu de consulter avant de prendre une décision dans les circonstances importantes.

Ces conseils seront, naturellement, de deux sortes: une assemblée chargée de veiller sur la marche générale de l'Université, puis des conseils spéciaux qui ne s'occuperont, chacun en ce qui le concerne, que des intérêts de chaque ordre d'enseignement. La première pourra s'appeler conseil universitaire et remplacera les conseils académiques actuels. Ses membres seront élus pour une période de quatre ans par les divers établissements, d'après des règles et dans des proportions qu'il sera facile d'établir: ils seront renouvelés par moitié tous les deux ans. Nous tiendrions beaucoup à ce renouvellement qui, en infusant du sang nouveau dans le grand conseil de l'Université, l'empêcherait de s'endormir, et qui, d'autre part, offrirait l'avantage d'éviter les changements trop brusques dans l'orientation générale des idées. Ce conseil aurait son président élu dans son sein: le recteur, entouré de ses inspecteurs d'académie, assisterait aux séances et prendrait part aux discussions, mais n'aurait point à diriger les débats; il jouerait ici le même rôle que nos préfets vis-à-vis des conseils généraux.

Le budget de l'Université, les questions générales de méthode et de discipline, les affaires contentieuses, les propositions relatives au personnel et aux traitements: tout cela rentrerait dans les attributions du conseil universitaire, avec divers autres objets d'un ordre supérieur et général qu'il sera facile de préciser. Ses

propositions et ses décisions devront être, en de certains cas, ratifiées par le recteur et le ministre, et, dans d'autres cas, elles seront susceptibles d'appel devant le Conseil supérieur de l'instruction publique, qui pourrait être conservé à peu près tel qu'ils est actuellement : nous voudrions seulement, entre autres réformes, lui voir appliquer aussi le système du renouvellement partiel et biennal.

Au-dessous du conseil universitaire, recruté dans les trois ordres et veillant sur l'ensemble, il y aurait, pour toutes les questions spéciales et de détail, trois conseils représentant chaque ordre d'enseignement, et qui pourraient s'appeler simplement : le conseil de l'enseignement supérieur, de l'enseignement secondaire, et de l'enseignement primaire de l'Université de X... Un règlement facile à élaborer fixerait le mode d'élection; là encore nous tiendrions au renouvellement dont il est parlé plus haut. On remarquera que notre projet comblerait une lacune assez étrange qui existe en ce moment dans notre organisation universitaire : l'enseignement supérieur a déjà son conseil général des Facultés, le primaire a son conseil départemental, que l'on n'aurait pas besoin de modifier bien profondément; mais les établissements d'instruction secondaire n'ont pas de conseil qui les représente, et seul le conseil académique s'occupe, d'une façon très générale, de tout ce qui peut les intéresser. Avec notre système, l'enseignement secondaire de toute une région aura ses représentants qui, une ou deux fois l'an, se réuniront au chef-lieu de l'Université, pour discuter les questions de toute sorte qui intéressent cet ordre d'instruction. Nous admettrions que ces conseils eussent une entière liberté d'action dans leur sphère : l'administration n'assisterait même pas à leurs séances, mais elle recevrait leurs procèsverbaux, et pourrait toujours déférer leurs délibérations, comme d'abus, au conseil universitaire, puis au Conseil supérieur et au ministre. Il va sans dire que les conseils spéciaux dont il s'agit ne seraient que des comités consultatifs, dont les propositions devraient être votées par le conseil universitaire avant d'être soumises à l'approbation du recteur ou du ministre.

On voit, en somme, que nous ne voulons pas désarmer l'autorité centrale nous cherchons uniquement à l'éclairer, à la décharger, à l'entourer de plus de garanties et, par suite, de respect que par le passé. Un recteur, un ministre sera autrement fort lorsqu'il pourra s'appuyer constamment sur les mandataires de l'Université, lorsqu'il aura le concours de toutes les bonnes volontés libres, de tous les intérêts bien entendus, que s'il était con

damné à se mouvoir dans le vide et dans l'obscurité, à prendre des mesures non prévues ni discutées, condamnées souvent à tort et d'avance par ceux qu'elles intéressent. Quant aux conflits possibles, une réglementation prévoyante les évitera en grande partie ou permettra de les apaiser facilement le Conseil supérieur de l'instruction publique aura surtout pour mission d'être ce régulateur, ce grand modérateur de tout l'organisme. Et puis, ne pouvons-nous pas compter un peu, beaucoup même, sur l'intelligence et le bon esprit du corps enseignant? On en doute parfois, et il y a, on peut l'avouer, des circonstances où ce doute semble presque permis: mais cela tient à ce que les fonctionnaires de l'Université de France n'ont eu, jusqu'à présent, que de rares occasions de faire l'apprentissage de cette autonomie dont on parle beaucoup depuis quelque temps, et que nous voudrions voir devenir une réalité. Chez les universitaires, plus encore que chez tous les autres citoyens, étant donné leur degré de culture, la pratique sage et raisonnée de la liberté passera dans les mœurs, deviendra une habitude, dès qu'ils verront que cette liberté, sérieusement octroyée, n'a de meilleures garanties que le respect de soi-même et la prudence dans la marche en avant.

Les diverses assemblées et les conseils qui existent actuel lement dans les Facultés et dans les lycées ou les collèges pourront fort bien continuer à fonctionner avec les attributions qu'ils ont eues jusqu'ici. L'enseignement primaire a déjà ses conférences cantonales; rien n'empêcherait de modifier le caractère de ces réunions dans un sens plus libéral.

L'organisation de ces Universités provinciales nécessiterait un remaniement des académies actuelles, dont plusieurs sont insignifiantes et pourraient disparaitre : chaque Université aurait son académie correspondante, dont le recteur serait, comme aujourd'hui, le chef et l'administrateur incontesté; le président du conseil universitaire ne viendrait qu'après lui au point de vue hiérarchique pour les cérémonies et les attributions: il n'aurait rien à voir, comme il a été dit plus haut, dans l'administration proprement dite, et le recteur aurait toujours une situation bien nette et prépondérante.

Reste la question du budget des Universités : puisque nous sommes dans l'idéal, profitons-en pour la trancher bien vite au mieux de nos rèves ou de nos désirs. L'État accorderait à chaque Université une somme annuelle, discutée et votée par les pouvoirs publics, et qui serait répartie entre les divers services de l'enseignement, sur la proposition du recteur, après consultation des

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