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sous le pied une grosse épine, que j'arachai; et m'enhardissant par la patience avec laquelle il souffrait l'opération, je pressai les chairs pour en faire sortir le pus; j'essuyai la plaie; je la nettoyai le mieux qu'il me fut possible, et la mis en êtat de se cicatriser. Le lion soulagé se coucha, laissant son pied entre mes mains, et dormit paisiblement. Depuis ce jour, pendant trois ans, j'ai vécu avec lui dans le même antre et des mêmes nourritures. Il allait à la chasse, et m'apportait régulièrement quelques quartiers des bêtes qu'il avait prises ou tuées. J'exposais cette viande au soleil, n'ayant point de feu pour la faire cuire. Enfin je me lassai d'une vie si sauvage; et, pendant que le lion était sorti pour la chasse, je m'éloignai de l'antre. Mais à peine avais-je fait trois journées de chemin, que je fus reconnu par des soldats qui m'arrêtèrent, et l'on m'a transporté d'Afrique à Rome pour être livré à mon maître; condamné par lui à périr, j'attendais la mort sur l'arène. Je comprends que le lion a été pris peu de temps après notre séparation, et que me retrouvant, il m'a payé le salaire de l'utile operation par laquelle je l'avais autrefois guéri."

Le récit courut en_un_instant toute l'assemblée, qui demanda à grands cris la vie et la liberté pour l'heureux Androclès. On lui donna l'une et l'autre: de plus on lui fit présent de lion; il allait dans les rues de Rome, menant cet_animal en laisse, on lui jetait de petites pièces de monnaie, on couvrait le lion de fleurs, et l'on se disait les uns aux autres: voici le lion qui a exercé l'hospitalité envers un homme; voici l'homme qui a été le médecin du lion.

35. Les quatre saisons.

Ah! si l'hiver pouvait durer toujours? disait le petit Fleuri au retour d'une course de traîneaux, en s'amusant dans. le jardin à former des hommes de neige.

M. Gombault, son père, l'entendit, et lui dit: Mon fils,

tu me ferais plaisir d'écrire ce souhait sur mes tablettes. Fleuri l'écrivit d'une main tremblante de froid. L'hiver s'écoula, et le printemps survint.

Fleuri se promenait avec son père le long d'une plate-bande, où fleurissaient des jacinthes, des auricules et des narcisses. Il était transporté de joie en respirant leur parfum, et en admirant leur fraîcheur et leur éclat.

Ce sont les productions du printemps, lui dit M. Gombault: elles sont brillantes, mais d'une bien courte durée. Ah! répondit Fleuri, si c'était toujours le printemps!

Voudrais-tu bien écrire ce souhait sur mes tablettes? Fleuri l'écrivit en tressaillant de joie. - Le printemps fut bientôt remplacé par l'été.

Fleuri, dans un beau jour alla se promener avec ses parents et quelques camarades de son âge, dans un village voisin.

Ils trouvaient sur la route, tantôt des blés verdoyants, qu'un vent léger faisait rouler en ondes comme une mer doucement_agitée, tantôt des prairies émaillées de mille fleurs. Ils voyaient de tous côtés bondir de jeunes_agneaux et des poulains pleins de feu, faire mille gambades autour de leurs mères. Ils mangèrent des cerises, des fraises, et d'autres fruits de la saison, et ils passèrent la journée entière à s'ébattre dans les champs.

N'est-il pas vrai, Fleuri, lui dit M. Gombault en s'en retournant à la ville, que l'été a aussi ses plaisirs?

Oh! répondit-il, je voudrais qu'il durât toute l'année! et à la prière de son père, il écrivit encore ce souhait sur ses tablettes. Enfin l'automne arriva.

Toute la famille alla passer un jour en vendanges: il ne faisait pas tout à fait si chaud qu'en été, l'air êtait doux et le ciel serein: les ceps de vigne étaient chargés de

grappes noires et d'un jaune d'or; les melons rebondis, étalés sur des couches, répandaient une odeur délicieuse; les branches des arbres courbaient sous le poids des plus beaux fruits.

Ce fut un jour de régal pour Fleuri, qui n'aimait rien tant que les raisins, les melons et les figues. Il avait encore le plaisir de les cueillir lui-même.

Ce beau temps, lui dit son père, va bientôt passer: l'hiver s'achemine à grands pas vers nous.

Ah, répondit Fleuri, je voudrais bien qu'il restât en chemin, et que l'automne ne nous quittât jamais!

ponds.

M. Gombault.

En serais-tu bien content, Fleuri?
Fleuri. Oh! très-content, mon papa, je vous

en ré

Mais, repartit son père, en tirant ses tablettes de sa poche, regarde un peu ce qui est écrit ici. Lis tout haut. Fleuri (lit). Ah! si l'hiver pouvait durer toujours! M. Gombault. Voyons à present quelques feuillets

plus loin.

nous?

cela?

Fleuri (lit). Si c'était toujours le printemps?
M. Gombault.

Et sur ce feuillet-ci, que trouverons

Fleuri (lit). Je voudrais que l'été durât toute l'année?
M. Gombault. Reconnais-tu la main qui a écrit tout

Fleuri. C'est la mienne.

M. Gombault. Et que viens-tu de souhaiter à l'instant même?

Fleuri. Que l'hiver s'arrêtât en chemin, et que l'automne ne nous quittât jamais.

M. Gombault. Voila qui est assez singulier. Dans l'hiver tu souhaitais que ce fut toujours l'hiver; dans le printemps, que ce fut toujours le printemps; dans l'été que ce

fût toujours l'été; et tu souhaites aujourd'hui que ce soit toujours l'automne! Songes-tu bien à ce qui résulte de tout cela?

Fleuri. Que toutes les saisons de l'année sont bonnes.

M. Gombault. Oui, mon fils, elles sont toutes fécondes en richesses et en plaisirs, et l'Être Suprême s'entend bien mieux que nous, esprits limités que nous sommes, à gouverner la nature.

S'il n'avait tenu qu'à toi, l'hiver dernier, nous n'aurions plus eu, ni printemps, ni été, ni automne. Tu aurais couvert la terre d'une neige éternelle, et tu n'aurais jamais eu d'autres plaisirs que d'aller en traîneau, et de faire des hommes de neige. De combien d'autres jouissances n'auraistu pas été privé par cet arrangement.

Nous sommes heureux de ce qu'il n'est pas en notre pouvoir de régler le cours de la nature. Tout serait perdu pour notre bonheur, si nos vœux téméraires étaient exaucés.

36. Les Ambassadeurs Scythes.

Alexandre le Grand avait fait bâtir une ville sur les bords de l'Iaxarte. Le roi des Scythes, qui habitait_au delà de ce fleuve, voyant que c'était un joug qu'on lui imposait, envoya de nombreuses troupes pour la démolir, et pour en chasser les Macédoniens. En même temps il députa vers Alexandre des ambassadeurs, au nombre de vingt, selon la coutume du pays, qui traversèrent le camp à cheval, demandant à parler au roi. entrer dans sa tente, les pria de s'asseoir. Ils furent longtemps à le regarder fixement, dans un profond silence, surpris apparemment de ne point trouver que sa taille répondait à la grandeur de sa renommée. Enfin le plus ancien de la troupe, prenant la parole, adresse ce discours au conquérant de l'Asie:

Alexandre, les ayant fait_

„Si les dieux t'avaient donné un corps proportionné

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à ton ambition, tout l'univers serait trop petit pour toi. D'une main tu attendrais à l'Orient, et de l'autre à l'Occident: que dis-je ? tu voudrais suivre le soleil dans sa course rapide; tu voudrais savoir où cet astre radieux va cacher sa lumière. Homme petit et faible! tu aspires où tu ne saurais atteindre. De l'Europe tu passes dans l'Asie, et, quand tu auras subjugué tout le genre humain, tu feras la guerre aux rivières, aux forêts, aux bêtes sauvages. Ne sais-tu pas que les grands_arbres sont longtemps à croître, et qu'il ne faut qu'une heure pour les arracher, que le lion sert quelquefois de pâture aux petits oiseaux, que le fer, malgré sa dureté est consumé par la rouille, qu'enfin il n'est rien de si fort, que les choses les plus faibles ne puissent détruire? Qu'avons-nous___à démêler avec toi? Jamais nous n'avons mis le pied dans ton pays. N'est-il pas permis à ceux qui vivent dans les bois d'ignorer qui tu es, et d'où tu viens? Nous ne voulons ni commander ni obéir à personne; et afin que tu saches quels hommes sont les Scythes, nous avons reçu du ciel, comme un riche présent, un joug de bœufs, un soc de charrue, une flèche, un javelot, et une coupe: c'est de quoi nous nous servons et avec nos amis et contre nos ennemis. A nos amis, nous leur donnons du blé provenu du travail de nos bœufs: avec eux, nous offrons du vin aux dieux dans la coupe, et pour nos ennemis, nous les combattons de loin à coups de flèches, et de près avec le javelot: c'est avec quoi nous trefois les peuples les plus belliqueux, plus puissants, ravagé toute l'Asie, et pénétré jusque dans l'Égypte. Mais toi, qui te vantes de venir pour exterminer les voleurs, tu es toi-même le plus grand voleur de la terre. Tu as pillé et saccagé toutes les nations que tu as

avons dompté auvaincu les rois les

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