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me fait vivre. En la frappant chaque jour quatre heures de plus qu'à l'ordinaire, cela fait par semaine la valeur de deux journées, dont je puis céder le produit. Dieu merci! la besogne ne manque pas dans cette saison, et quand_on_a des bras, il faut bien s'en servir pour secourir son prochain.

22. Bravoure.

A la bataille de Sempach un gentilhomme du pays d'Untervald en Suisse, nommé Arnold de Vinkelried, voyant que ses compatriotes ne pouvaient enfoncer les_Autrichiens, dont ils venaient de secouer le joug, parce que ces tyrans, couverts de fer, présentaient un front hérissé de lances et de piques, conçut le généreux dessein de se sacrifier pour sa patrie. ‚Mes_amis, dit-il aux Suisses, qui commençaient à se rebuter, je vais vous donner ma vie pour vous procurer la victoire: je vous recommande seulement ma femme et mes

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enfants; suivez-moi, et profitez du moment. A ces mots, ils les range en forme de triangle dont il occupe la pointe, marche vers le centre de l'ennemi, et embrassant le plus de lances qu'il peut saisir, il se jette à terre, ouvrant à ceux qui le suivaient un chemin pour pénétrer dans cet épais bataillon. Les Autrichiens, une fois entamés, furent bientôt vaincus.

23. Frédéric le Grand à Sans-Souci.

Un jour le Roi trouva à Sans-Souci un marchand hollandais; il l'aborda, et lui demanda s'il voulait voir le jardin. Le marchand, qui ne connaissait pas le Roi, répondit qu'il ignorait si cela était permis, quand le Roi y était. Ne vous inquiétez pas, lui dit Frédéric, je vous mènerai. Il montra au marchand les plus belles parties de son jardin,

et lui demanda son sentiment sur plusieurs choses. Lorsqu'il lui eut tout montré, le marchand tira sa bourse, et voulut donner de l'argent à son conducteur. Point du tout, dit le Roi, il nous est défendu de rien prendre; si le Roi venait à le savoir, nous serions punis. Le marchand le remercia donc très-poliment, et se retira, dans la persuasion qu'il quittait l'inspecteur des jardins. A peine eut-il fait quelques pas, qu'il rencontra le jardinier, qui lui dit assez rudement: Que faites-vous_ici? le Roi est là. Le Hollandais raconta ce qui lui était arrivé, et loua beaucoup la politesse de celui qui lui avait montré le jardin. vous qui c'est? dit le jardinier: le Roi lui-même. magine l'étonnement du pauvre Batave!

24. Hospitalité.

Et savez-
Qu'on s'i-

Les Arabes ont toujours conservé un singulier attachement aux devoirs de l'hospitalité. Le trait suivant peut en servir de preuve.

Taleb avait eu le malheur de tuer le père de l'Émir Alexar. Celui-ci brûlait depuis long-temps du désir de se venger. Un jour, comme il était près de sortir de sa maison pour continuer ses recherches, il vit_entrer un__inconnu, qui lui demanda humblement l'hospitalité. Alexar reçut son nouvel hôte avec la plus grande cordialité, le fit asseoir à sa table, et le reçut de son mieux. Le lendemain l'Émir sortit encore, et courut toute la ville pour découvrir l'objet de sa vengeance. Le soir, désespéré de ses vaines recherches, il revient chez lui de fort mauvaise humeur, et soupe avec l'étranger, qui lui demande avec intérêt la cause de sa mélancolie. Après bien des instances réitérées_inutilement plusieurs jours de suite, Alexar déclare enfin à l'inconnu, que, depuis_un_an, il cherchait un certain Taleb,

meurtrieur de son père. „Eh bien" dit l'étranger, en_ôtant sa barbe postiche qui le déguisait, „ne cherchez plus votre ennemi, il est en votre puissance; reconnaissez en moi Taleb" - "Vous Taleb", s'écria alors l'Émir, „ciel! est_il possible? mais vous êtes mon_hôte, tenez, prenez cette

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bourse, éloignez-vous de ma maison et je verrai ensuite cel que j'aurai à faire.“

25. La preuve suffisante.

Un voyageur espagnol avait rencontré un Indien au milieu d'un désert; ils étaient tous deux à cheval. L'Espagnol, qui craignait que son cheval ne pût faire sa route, parce qu'il était très-mauvais, demanda à l'Indien, qui en_ avait un jeune et vigoureux, de faire un échange. Celui-ci le refusa. Ils en vinrent aux mains; mais l'Espagnol, bien_ armé, se saisit facilement du cheval qu'il désirait, et continue sa route. L'Américain le suit jusque dans la ville la plus prochaine, et va porter ses plaintes au juge. L'Espagnol est obligé de comparaître, et d'amener le cheval; il traite l'Indien de fourbe, affirme que le cheval lui appartient, et qu'il l'a élevé tout jeune. Il n'y avait aucune preuve du contraire, et le juge allait renvoyer les plaideurs, lorsque l'Indien s'écria: Le cheval est à moi, et je le prouve. Il ôte aussitôt son manteau, et en couvre subitement la tête de l'animal. Puisque cet homme assure avoir élevé ce cheval, commandez-lui, dit-il, en s'adressant_au juge, de dire de quel œil il est borgne. L'Espagnol ne veut point paraître hésiter, et répond à l'instant: de l'œil droit. L'Indien découvre la tête du cheval: il n'est borgne, dit-il, ni de l'œil droit ni du gauche. Le juge, convaincu par une preuve si ingénieuse et si forte, lui adjugea le cheval, et l'affaire fut terminée.

26. La sagesse achetée.

Dénis, le tyran, se promenait un jour à la place où se tenait la foire de Syracuse, et s'amusait à voir toutes les marchandises qu'on y vendait. Pendant qu'il était occupé à cet exercice, il aperçut un philosophe assis parmi les marchands. Qu'avez-vous à vendre? lui dit Dénis. La sagesse, lui répondit le philosophe. Combien la vendezvous? dit Dénis. Six cents écus, repartit l'autre. Dénis les lui fit compter sur le champ, et voulut avoir la marchandise; mais le philosophe ne lui dit autre chose que cette sentence: Quoi que vous fassiez, faites-le toujours avec prudence, et considérez en bien les suites. Dénis s'en_alla content de la marchandise, et retint si bien les paroles du philosophe, qu'il les avait toujours à la bouche. Il arriva un jour qu'on avait tramé une conspiration contre Dénis, et ceux qui l'avaient tramée, avaient su mettre le barbier de Dénis dans leurs intérêts, de sorte qu'il devait couper la gorge à ce tyran, en lui faisant la barbe. Le jour étant pris pour l'exécution, le barbier se rendit auprès du Roi, pour le raser en_apparence, mais en effet pour le tuer. Dans le temps qu'il rasait le tyran, celui-ci se mit à dire à son_ordinaire: Quoi que vous fassiez, faites-le avec prudence, et considérez en bien les suites. Ces paroles, dites sans y penser, épouvantèrent le barbier de telle sorte, qu'il laissa tomber le rasoir, et s'étant jeté aux pieds de Dénis, il avoua qu'il avait eu envie de lui couper la gorge, à la persuasion de quelques personnes qu'il nomma. Dénis, qui n'avait rien su de cette conspiration, fut bien_aise d'avoir acheté ces paroles du philosophe, et crut ne les_avoir pas assez payées; car il lui envoya encore un présent magnifique.

27. L'assemblée des animaux pour choisir un Roi.

(Fable.)

Le Lion étant mort, tous les animaux accoururent dans son_antre, pour consoler la Lionne, sa veuve, qui faisait retentir de ses cris les montagnes et les forêts. Après lui avoir fait leurs compliments, ils commencèrent l'élection d'un Roi. La couronne du défunt était_au milieu de l'assemblée. Le Lionceau était trop jeune et trop faible pour obtenir la royauté sur tant de fiers_animaux. Laissez-moi croître, disait-il, je saurai bien régner et me faire craindre à mon tour. En attendant je veux étudier l'histoire des belles actions de feu mon père pour égaler un jour sa valeur.

Pour moi, dit le Léopard, je prétends être couronné, car je ressemble plus_au Lion que tous les autres prétendants. Et moi, dit l'Ours, je soutiens qu'on me fit_une injustice, quand_on me préféra le Lion; je suis fort, courageux, carnassier tout autant que lui, et j'ai un_avantage singulier de grimper sur les arbres. Je vous laisse à juger, Messieurs, dit l'Éléphant, si quelqu'un peut me disputer la gloire d'être le plus grand, le plus fort et le plus grave de tous les animaux. Je suis le plus noble et le plus beau, dit le Cheval. Et moi le plus fin, dit le Renard. Et moi le plus léger à la course, dit le Cerf. Ой trouverez-vous, dit le Singe, un Roi plus agréable et plus ingénieux que moi? je divertirai chaque jour mes sujets, je ressemble même à l'homme, qui est le véritable roi de toute la nature.

Le Perroquet alors harangua ainsi: puisque tu te vantes de ressembler à l'homme, je puis m'en vanter aussi. Tu ne lui ressembles que par ton laid visage et par quelques grimaces ridicules; pour moi, je lui ressemble par la voix, qui est la marque de la raison, et le plus bel ornement de

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