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marchand Bereytter, par Delaconté, par tous enfin. Et, à sa sortie, dans la rue, il fut embrassé par des hommes qui n'avaient pas entrée au sanctuaire : les domestiques. Moins heureux qu'Anacharsis, ces Français n'avaient pu reconquérir leurs droits. L'Assemblée, après les avoir entendus, s'était gardée d'agréer leur demande. « Alors j'imprimerai la pétition, moi, leur dit Anacharsis. Consolez-vous votre tour viendra. »

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Il ne pouvait mieux dire ni faire davantage. Ce n'était pas à lui de donner du blâme à l'Assemblée, quand il lui devait, au contraire, un remerciment et que déjà il en méditait la forme. Aussi, loin de se laisser distraire, il s'employa tout à son discours complimenteur. Il tenait à relever certaines hérésies que Guadet s'était permises dans les considérants du décret adopté. Le 27 au soir, il vint seul à la barre (1):

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Législateurs, dit-il, la sagesse de vos décrets et la bravoure de vos armées élèvent chaque jour la nation française à une hauteur effrayante pour les tyrans et consolante pour les opprimés. Vous ébranlez tous les trônes en réunissant sous votre oriflamme et ceux qui combattent l'erreur et ceux qui combattent les errants (les émigrés). Les philosophes cosmopolites étaient associés à vos travaux et à vos dangers, vous les associez à votre gloire en les déclarant citoyens français. Les rigueurs de l'Assemblée constituante et les horreurs de la royauté constitutionnelle formaient un mur de séparation dont la mémorable journée du 10 ne laisse que les décombres, qui seront bientôt déblayés par la Convention nationale. Charles IX eut un successeur: Louis XVI n'en aura point.

(1) Le Moniteur.

Législateurs, vous savez apprécier la tête des philosophes, il ne vous reste plus qu'à mettre à prix la tête des tyrans. L'humanité vous conjure de pousser un cri tyrannicide contre Frédéric-Guillaume, contre le cannibal Brunswick... Quant à moi, pénétré de reconnaissance pour votre dernier décret philosophique, je sens, Législateurs, combien il m'honore et combien il vous est honorable. Je prononce le serment d'être fidèle à la nation universelle, à l'égalité, à la liberté. Gallophile de tout temps, mon cœur est français, mon âme est sans-culotte.

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C'était bien là le vrai commentaire du décret philosophique de la veille. Les considérants de Guadet parurent fades dès qu'on eut savouré les épices d'Anacharsis. Guadet avait dit qu'il n'est pas permis d'espérer que les hommes forment jamais une même famille. » — Anacharsis lui répond net, au nom de la souveraineté du genre humain : « Mon âme est sans-culotte!» Chargé d'applaudissements, l'Orateur fut encore baigné d'encens par son ami Hérault, qui présidait ce jour-là; et Lasource, qui, le 24, s'était montré si tiède pour l'adoption, demanda, cette fois, avec enthousiasme, qu'on décrétât la légion requise par Anacharsis. Elle fut décrétée, mais Vandale et non Prussienne (1). Cette dernière dénomination n'avait été mise en avant, dans la pétition du 12, qu'à l'intention des bons sauvages que l'on voulait gagner. Toutefois, le nom de Vandale ne plut guère encore à l'Orateur. Il voulut que sa légion eût bien, comme lui, un titre universel. «Elle sera la légion des frères, des Germains, dit-il, elle sera la Légion Germanique! » C'est pourquoi, sans tenir compte des propres termes du dé

(1) Le Moniteur.

cret, il fit afficher dans Paris l'appel suivant, dès qu'il eut obtenu pour caserne le ci-devant couvent des Bénédictins, rue des Blancs-Manteaux (1):

« Les Allemands qui ont adopté la France pour patrie, entièrement dévoués aux principes de la liberté et de l'égalité, se sont tous réunis de cœur et d'esprit, non-seulement pour soutenir et défendre les droits de l'homme, mais aussi pour les propager dans leur pays natal, qui gémit encore sous le joug du despotisme. En attendant, ces mêmes Allemands ont obtenu le consentement de la nation, en vertu des décrets des 12 et 26 août, de se former en légion franche sous le titre de Légion des Germains. En conséquence, ils invitent tous leurs compatriotes, qu'ils aient servi ou non, ainsi que les ci-devant Suisses, Balois ou Tyroliens, à venir se ranger sous leurs drapeaux pour combattre et vaincre les ennemis de la France... Ce corps jouira des mêmes avantages accordés aux légions franches, etc. Le ministre de la guerre déterminera incessamment la garnison, qui sera près des frontières; et, en attendant, chaque homme enrôlé au dépôt de Paris recevra pour sa subsistance vingt-cinq sous par jour... On peut s'adresser au citoyen Hayden, commandant en second de ladite légion, hôtel de Montpensier, au PalaisRoyal, no 160. »

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- Et maintenant, électeur de la section des QuatreNations... Comment? Oui, brave Anacharsis, tu viens d'être appelé par tes nouveaux concitoyens à élire les députés pour la Convention future (2). Moi? Mais ne nous dois-tu pas le tribut de tes lumières? Et

(1) Le Patriote.

(2) Appel au genre humain.

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pourquoi, après tout, ne serais-tu pas candidat toi-même? - Vous voulez rire. Qui me connaît, hors de Paris? Mais tous les lecteurs de la Chronique, parbleu ! Tous les paysans de tes fermes de Crépy en Valois, vint lui crier Charles Villette. Oui, tu seras député de l'Oise, et mon collègue, je l'espère. Voisin de campagne! voisin de ville! voisin de chambrée législative! - Et en effet, dans les lettres de recommandation qu'on expédia du ministère de l'intérieur aux électeurs de l'Oise réunis à Chaumont en Vexin pour faire choix de leurs mandataires, figura en première ligne le nom d'Anacharsis Cloots. Mais si, de par la Chronique, te voilà candidat dans l'Oise, pourquoi ne pas être aussi candidat dans Saône-et-Loire, de par les Annales patriotiques (1)? — Hé! je n'ai point de fermes à Chalon. Mais c'est la ville d'élection de Carra, ton collègue aux Annales, et son nom t'y patronne. Va donc encore pour Saône-et-Loire ! Et le nom d'Anacharsis arrivait, en effet, aux oreilles des électeurs réunis à Chalon.

Mais, au fait, si nous le portions à Paris même ? Dans le chef-lieu du globe? Anacharsis faillit s'éva

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nouir. On parle bien de nommer ici les Anglais : Priestley, Thomas Payne, David Williams. N'est-ce pas plutôt le jeu, aujourd'hui que le tyran de Prusse s'avance, d'élire un ex-Prussien comme toi? Quelle protestation! Quel défi! Au reste, Roland, que tu as proposé naguère pour chef d'un conseil exécutif, t'appuiera également par reconnaissance. Je l'inscris sur ma liste, dit Louvet; et en effet, à l'heure où l'assemblée électorale allait s'ouvrir, voilà que sur les murailles de la ville par excel

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(1) Les Annales patriotiques.

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lence s'étale le journal-affiche la Sentinelle, que patronnait Roland, et l'on put lire (1): Candidats recommandés: Barère, Boutidoux, Garat le jeune, Durand-Maillane, Kersaint, Lepaux (La Réveillère), Rabaut Saint-Étienne, Sieyès, Sillery, Vadier, Audoin, l'abbé Audoin, Boisguyon, Bonneville, L. Bourdon, Carra, Champfort, Chépy, J.-B. Cloots, Collin jeune, J. Deflers, Girey-Dupré, Gorsas, Lanthenas, Louvet, Milcent, Poullenot, Réal.

Ah! j'avoue que, si j'accepte pareil honneur, observait Anacharsis, mon principal motif est le péril où se trouve la chose publique!

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Hélas! comme il observait ainsi, la chose publique arrivait à un péril tel que cette liste de candidats va devenir, que dis-je? n'est plus déjà qu'une liste de martyrs. - Tu as un grade de plus, Anacharsis, mais les Prussiens ont fait une étape de plus. Votre anéantissement, à tous, est assuré, et le tien d'abord!... En 1790, tout à la crainte que les sujets du roi son maître ne prissent exemple sur toi, le ministre d'État, Hertzberg, avait renié pour Prussien l'Orateur du genre humain ; il y a trois mois, l'ambassadeur de Prusse, Goltz, déclarait à son tour, en quittant Paris, qu'il n'avait jamais vu le visage de ce prétendu Prussien qui donnait douze mille livres pour la bataille (2); - eh bien! aujourd'hui que tu viens d'être naturalisé Français, le roi de Prusse te revendique comme son sujet, et dans son camp, à la vue de ses soldats, il te pend en effigie haut et court, toi qui as renié ta patrie, toi qui payes pour la combattre, toi qui prêches la trahison jusqu'aux avant-postes, toi, enfin, prétendu Français,

(1) Affiches électorales de Marat. (2) Gazette universelle.

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