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vêtus d'habits de gardes nationaux, encombrent les corridors qui mènent à la cellule du roi!» Puis, un autre député Le prisonnier s'est entouré de ses anciens ministres. A notre barbe, on va, on vient, sans consigne, les fidèles portant des ordres. » Puis c'est Albitte : « On doit mettre le feu aux quatre coins de Paris; on distribue de l'argent dans les groupes! » Enfin, un tumulte plus grand que les autres se produit à la barre; un particulier haletant, accompagné de plusieurs citoyens, tient au collet un garde national grenadier qu'il traîne. Il s'écrie qu'il a aperçu cet homme rôdant sous les arbres des Feuillants, que cet homme cherchait à s'introduire quelque part; il l'a arrêté, il l'amène; cet homme ne peut être qu'un espion ou un intrigant de La Fayette. Le particulier qui parlait ainsi tenant l'homme était Anacharsis en personne. Sa surveillance n'avait pas été vaine. Il avait pris... Ah! quel étonnement quand le président interrogea son prisonnier!.. un aide de camp de La Fayette? oui; riche de cent cinquante mille livres de rente? oui; qui avait été au château pendant la nuit du 10 et qui n'avait plus quitté son roi? oui; mais il se nommait : le prince Rohan-Chabot. Or, ce prince, Anacharsis l'avait vu maintes fois jadis à l'hôtel de la Rochefoucauld, rue de Tournon; peut-être même lui avait-il bien souvent serré la main; mais, sous le bonnet à poil, il n'avait pu surprendre ses traits. Quoi donc! s'il l'eût reconnu, il aurait hésité à appréhender ce criminel de lèse-sans-culotterie? — Non pas. A l'Abbaye, Rohan-Chabot! — Et Louis le Dernier à la tour du Temple! crièrent les tribunes. Ah! le vœu est trop unanime, le danger trop imminent, pour que l'Assemblée ne doive céder enfin. Anacharsis, tu peux aller dormir. Avant vingt-quatre heures,

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Louis mangera, reposera sous la garde des Sans-Culottes.

Dormir? A d'autres, s'il vous plaît. Il n'y a que l'armée des coalisés qui puisse maintenant enlever Louis de nos mains; d'accord. Mais savez-vous bien que cette armée s'avance, et qu'en ce jour peut-être elle souille la terre de liberté? Vite! en bataille !......

Depuis vingt-quatre heures, en effet, la vieille Europe était en France. Les esclaves avaient envahi. A coups de knout, bien alignés, silencieux, sous la pluie, dans la boue, ils marchaient, précédés des hussards de la mort, vers le point le plus vivant, le plus sacré, le plus humain du globe à cette heure. Et leurs chefs étaient bien les plus parfaits représentants du droit divin : Frédéric-Guillaume, un illuminé; Brunswick, Kalkreuth, les héros du sabre, et les princes français pour introducteurs.

C'est pourquoi, la nuit suivante, à une heure du matin, l'Orateur du genre humain réapparut à la barre, entouré, cette fois, de fédérés prussiens, parmi lesquels on distinguait le colonel Guerresheim. Il n'est plus haletant, mais calme. Ce qu'il dit, il ne le crie plus, il le récite. Écoutez (1):

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Législateurs, il n'y aurait plus d'esclaves sur la terre, si le texte de nos lois était compris par les troupeaux d'hommes qui gémissent sous la verge de quelques individus appelés rois... Un porte-couronne, un pouvoir exécutif couronné fut toujours un pouvoir désorganisateur.

« Le délire des tyrans nous oblige de répandre la lumière les armes à la main. Vous avez sagement conçu le projet de former différentes légions étrangères... Les pétitionnaires qui fixent dans ce moment votre attention

(1) Cloots, Brochure.

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ont juré la délivrance de leurs pénates. Prussiens, ils promettent d'attirer à eux les satellites d'un Sardanapale brandebourgeois. Législateurs, nous vous offrons une Légion prussienne.

Ce brave Vandale, que vous voyez couvert de cicatrices honorables, est un colonel dont Frédéric le Grand a su distinguer le mérite dans des guerres longues et fameuses. L'insouciance et l'ingratitude de FrédéricGuillaume, la haine que nous portons héréditairement à la maison d'Autriche, l'amour que nous avons héréditairement pour les Français, l'horreur naturelle du despotisme inspirent la plus juste des vengeances à ce guerrier, dont le nom est cher aux conquérants de la Silésie.

« Tous les Prussiens éclairés partagent les sentiments du prince Henri, des généraux Mollendorf, Kalkreuth et Sheffen. L'opinion du ministre Hertzberg, d'abord flottante, est décidément favorable à la France. Berlin et Paris s'accordent parfaitement dans l'aversion des tyrans lorrains.

« La philosophie de Voltaire et de Rousseau a jeté de trop profondes racines sous un règne glorieux de quarante-six années pour que la patrie de Copernic, le cheflieu et le refuge des réformateurs de l'Allemagne et de la France s'alliat cordialement avec l'Autriche pour le rétablissement du papisme et du machiavélisme sur les rives de la Seine. Un murmure sourd se fait entendre dans toutes les contrées protestantes. Le duc de Brunswick lui-même est accablé de pensées sinistres sur le sort de sa religion et de sa principauté. Le roi de Prusse, plus galant que son prédécesseur, persistera-t-il à se ruiner pour deux femmes, pour Antoinette de Lorraine et Catherine de Russie? Les officiers prussiens sont trop raison

nables et trop instruits pour ignorer le véritable intérêt de Brandebourg; ils déplorent l'ineptie d'un roi illuminé, en invoquant les mànes d'un roi philosophe, et en tournant leurs regards vers l'héritier présomptif, qui proteste franchement contre l'absurde ligue de Pilnitz. Le soldat prussien combattra mollement pour des Impériaux qu'il abhorre et pour des émigrés qu'il méprise. Il n'y a pas une seule famille en Prusse qui n'ait à se venger de la politique barbare de Vienne, de Versailles et de Pétersbourg...

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Eh! mais, pardon! Quelle est cette langue? Et sur quel air chante l'Orateur? Le Sans-Culotte argumente en diplomate à la veille de la bataille? Est-ce le sommeil qui le fait brissoter? Non, Anacharsis ne brissote pas, et son esprit est bien ouvert. Ce n'est point pour les Sans-Culottes qui sont là, mais pour les esclaves qui s'avancent que sa harangue est ainsi faite. Voyez! l'Assemblée le comprend si bien qu'applaudissant à toutes mains elle décrète l'envoi du discours non-seulement aux quatre-vingt-trois départements, mais à l'armée. C'est-àdire que, dès demain, la harangue traduite, imprimée, sera distribuée par poignées aux fédérés nationaux, qui traversent Paris pour gagner les plaines de la Champagne; que par ballots aussi elle sera voiturée à l'armée des Ardennes; que les soldats des avant-postes en auront les poches pleines, et qu'à la première vue des esclaves, au lieu de les saluer d'une balle, eux, les braves SansCulottes leur jetteront les Droits de l'homme traduits en allemand, le beau discours d'Anacharsis et le décret qui assure cent francs de pension à tout déserteur de la cause des tyrans. Ah! ils seront séduits, ils ne résisteront pas, ces bons sauvages! comme les appelle Fauchet.

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Et, vraiment, c'est à souhaiter que la parole d'Anacharsis opère un tel miracle. Car la France est tellement ébranlée par la secousse du 10 août, que les hasards de la bataille seraient à craindre les complices des émigrés et de la ci-devant cour grondent dans les départements; les prêtres réfractaires soufflent la révolte parmi les simples; sur la route même que l'ennemi peut suivre, de notables commerçants des villes osent mettre la main sur les membres de l'Assemblée envoyés en mission; dans les armées, les chefs Arthur Dillon, Luckner, -oui, Luckner!-etle cousin Montesquiou —- oui, le cousin!—protestent, à l'exemple de La Fayette, contre la glorieuse insurrection, et marcheraient même en Prussiens sur la ville; enfin, et c'est le pire, l'Assemblée nationale, dédaignant toujours le souffle parisien, parlementerait volontiers avec Brunswick.— Comment? Mais les amis de Brissot ne cessent de crier : « Aux armes! Oui, mais uniquement pour obtenir de meilleures conditions. Ils ne voulaient point du roi; encore moins veulent-ils de la ville. Brunswick, au reste, est d'autre jugement que Marat, Robespierre, Danton et autres braillards de club. C'est un philosophe que Brunswick. Aussi, pour ne pas se compromettre à ses yeux, on affecte de juger à contre-cœur et comme par force quelques criminels du 10 août; on dit en parlant de Louis XVI: Respectons le malheur! on ose avancer qu'à la fameuse journée le devoir du peuple eût été plutôt d'obéir à l'Assemblée que d'envahir le château; enfin Roland, réinstallé ministre, ne s'assied qu'en grognant à côté de Danton, et propose encore qu'on fuie loin de Paris, sous prétexte de fuir loin de Brunswick; les commissaires envoyés auprès de La Fayette annoncent aussi que cette mesure serait bien la seule qui ramenât ce général; et tout naïve

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