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des Wighs, et nombre d'étrangers de distinction. Lord Stanhope présidait. Après le dîner, le lord porta les santés suivantes :

La Majesté du Peuple!

La Nation! la Loi! le Roi !

Puis un des domestiques monta sur la table, ayant sur sa tête un fragment de la Bastille qui fut à l'instant couvert d'une nuée de cocardes nationales; et il proclama au nom du président :

Le triomphe de la liberté dans la destruction de la Bastille !

La glorieuse révolution de France!

L'Assemblée nationale!

Alors le président prit la parole et dit: «La Constitution française, devenue l'objet des vœux de tout homme de bien, ne sera haïe que des méchants; elle servira de leçon au monde entier et rapprochera peut-être l'époque où tous les hommes, même les rois, se regarderont comme frères et sans droit d'aînesse! » Puis il but: « A l'extinction de toute jalousie entre la France et l'Angleterre, et puissentelles ne chercher désormais à l'envi l'une de l'autre qu'à étendre les bienfaits de la paix, de la liberté, de la vérité sur le reste du monde ! »

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« Oui, la France paraît disposée à s'unirà nous, " dit à son tour le docteur Price, et il but aussi à une ligue entre la France et l'Angleterre, à l'effet de maintenir une paix universelle et de rendre le monde heureux!...

Enfin la fête se termina par un hymne éclatant de

grandeur sur des lèvres anglaises : « Salut, ô sainte liberté ! Anglais, célébrez ce jour glorieux! Il a délivré la France des mains du pouvoir arbitraire (1)!

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Quelques jours après, les Anglais qui avaient assisté à la fédération revenaient vers leurs concitoyens. «Non, disaient-ils aussi, ce n'est plus un rêve que le projet d'une fraternité, d'une paix universelle! Le Prussien Cloots, ce digne Orateur du genre humain, porterait la parole à l'Assemblée nationale et demanderait pour notre pays la Constitution comme l'Évangile de la liberté, le code du bonheur (2)!

Ainsi qu'à Londres les patriotes, à Cambridge la jeunesse universitaire but, le 14 juillet, à la liberté de tout l'univers et à l'Assemblée réunie ce jour-là dans le Champ de Mars.

-

Mêmes fêtes en Hollande, mais clandestines, par crainte du stathouder: « A la révolution française! A la destruction de toutes les Bastilles! A l'extermination de tous les tyrans ! » Mêmes toasts à Lausanne et en Savoie ! mais là hautement, en plein soleil!-Mêmes toasts dans la ville libre de Hambourg, où les hommes prirent la cocarde, où les dames se parèrent de ceintures tricolores et où le poëte Klopstock improvisa deux odes à l'honneur de la révolution (3).

« Le peuple humain se manifeste, » disait Jean-Baptiste hors de lui. Et c'est pour célébrer cet avénement qu'il retrouvait, miracle! l'idiome de son pays natal et qu'il

(1) Camille Desmoulins, Révolutions de France. Chronique de Paris. Courrier de Gorsas. - Révolutions de Paris, etc. (2) Chronique de Paris.

(3) Voir pour ces détails les journaux du temps ci-dessus mentionnés, la Bouche de Fer.

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-et

entonnait l'ode, non de Klopstock, mais de M. Goy, le poëte allemand de l'ambassade :

Einjeder folgt dem allgemeinen Triebe;
Sie schworen sich die oecht'ste Bruderliebe,
Und knuepfen unter sich ein festes Band.
Und, ô die Wunderkraft! Zur gleichen Stunde
Fuehlt mancher weit von hier in Seelengrunde
Den warmen, electrischen Druck der Hand (1).

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Mais ce n'est pas tout encore. Plus tard il apprendra qu'à la foire de Francfort on a vendu des mouchoirs sur lesquels étaient imprimés les Droits de l'homme (2); puis ce sera un club d'Ecosse qui enverra des députés à Paris pour saluer l'Assemblée nationale (3); enfin cette nouvelle lui arrivera à la fin de la même année: A Constantinople, sur une place, on a vu un Français lire la déclaration des Droits à plusieurs Turcs rassemblés qui l'écoutaient avec transport. Un derviche était du nombre des admirateurs, et il expliquait cette loi nouvelle. Le muphti fait arrêter le Français et le derviche; mais le peuple les délivre et les conduit dans une maison sur la porte de laquelle on écrit : « Malheur à quiconque osera violer cet asile que le peuple donne à deux amis du Genre humain (4)! »

« Et riez maintenant de mon Turc!» s'écriera Jean-Baptiste. Ah! que n'ajoutera-t-il avec la même assurance: « Et

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(1) Gorsas, Courrier des Départements. Traduction : « Une même impulsion les anime tous; tous se jurent l'amour fraternel le plus vrai; tous se lient par un serment indissoluble. Et, puissance merveilleuse à la même heure chacun, si loin qu'il soit, sent au fond de son âme le brûlant, l'électrique serrement de main ! »

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(4) Camille Desmoulins, Révolutions de France. — Chronique de Paris, etc.

riez donc de mon Chaldéen!... » car c'est en Asie même, à Seringapatam, que doit un jour s'ouvrir le dernier club de Jacobins; et c'est un prince indien, Tippoo-Saëb, qui, le dernier du siècle, coiffera le bonnet rouge (1).

Mais, si le mois de juillet fut celui de la Pâque des hommes en Europe, il fut aussi, par contre, celui de la coalition des rois. Jusqu'alors les gouvernements s'étaient imaginé en France une de ces révolutions ténébreuses, comme en Brabant et en Pologne, sans âme ni philosophie, où les baïonnettes étaient tout et les lettres rien. C'est une puissance qui se décompose, disaient-ils; laissons-les faire : l'heure du partage viendra peut-être ; et après avoir tout bonnement établi un cordon sanitaire autour des enfants de la révolte, ils n'en avaient pas moins mené leurs querelles comme devant. Mais quand les cris de Vivre libre ou mourir! leur arrivèrent, les vieilles puissances furent effrayées et commencèrent à comprendre. Sur leurs flancs étaient vingt-quatre millions d'hommes ordonnés et groupés au nom d'une idée mère, autour d'un foyer lumineux, Paris, d'où l'idée elle-même s'élançait expansive, rayonnante, conquérante, impalpable, vers chacun, à travers et par tout le monde. L'Europe entière était menacée du mal français. Vite, la Prusse et l'Autriche de s'embrasser! « Entendons-nous d'abord, dit le pacifique Léopold en se jetant, à Reichenbach, dans les bras de son ennemi Frédéric l'illuminé; entendons-nous, et nous nous ferons entendre ensuite aux émeutiers de France. "

Cette parole s'était dite à l'oreille. Mais cette embrassade avait paru d'autant plus singulière que le ministre

(1) Michaud, Histoire du royaume de Mysore.

de Prusse Hertzberg, l'agent de l'alliance anglo-batave, restait encore à son poste. Là Prusse ne rompait donc pas avec l'Angleterre? Les patriotes de France, tous à l'étourdie, insultaient à l'Autriche, à la Prusse, à l'Angleterre. Seul, Jean-Baptiste faisait figure: - Du calme, disait-il, soyons diplomates et voyons. Peut-être n'est-ce rien. Si l'alliance austro-prussienne est faite, assurément Hertzberg sautera et alors nous pourrions bien regagner la Prusse. Que Hertzberg reste, et l'alliance n'est qu'un leurre; l'Autriche revient à nous. Quoi! l'Orateur du genre humain voudrait qu'on respectât les pactes de famille des rois? - Point. Mais ne déchirons rien; effaçons seulement les articles d'alliance offensive, et conservons ceux d'alliance défensive. Nous aurons ainsi des traités nationaux. En attendant, veillons aux Brabançons.

Ce sont nos frères! criaient les patriotes - Les moines belges ne sont pas mes frères, disait Jean-Baptiste; chaque jour ils insultent à la France, aux Droits de l'homme; c'est peut-être le seul pays d'Europe où l'on n'ait pas fèté le 14 juillet. Et, démasquant l'intrigant van der Noot, qui cherchait alliance avec Londres, Berlin et la Haye : « Plutôt l'Autrichien à Bruxelles! » disait-il. Mais aucun des patriotes ne comprenait. Surpris de leur ignorance en matière de politique étrangère, Jean-Baptiste s'avisa, pour les éclairer, de tenir école de diplomatie à ses heures de loisir. N'était-ce pas à l'Orateur du genre humain d'espionner les cabinets? Il se mit donc en quête d'un journal de peu d'élan et même à double face, révolutionnaire au dehors, mais que la question intérieure n'absorbât aucunement. Il s'arrêta à la Gazette universelle de Cerisier. Et sous le masque. ayant renoué avec tous ses amis de Clèves, de Berlin, de

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