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suve. Sous ses pieds le sol semblait tressaillir, quand, c'est un cri: « Vite à Paris! En France tressaillent non point le sol, mais les consciences. L'opinion publique fait éruption de toutes parts! Les Notables sont convoqués! » Et tout fiévreux à cette nouvelle, le philosophe s'embarquait; un vent du sud le faisait cingler vers la terre promise (1)! Mais, hélas! fausse alerte! il ne s'agissait encore que des entreprises robinocratiques contre la cour. L'aristocratie parlementaire, soucieuse de ses seuls priviléges, était seule en branle dans les provinces, où, loin de crier: Liberté pour tous!» elle se fortifiait, pour sa défense, de toutes les tyrannies locales. A peine à Marseille, Jean veut gagner Paris, mais on lui signifie qu'étranger il ne passera pas outre (2). « J'accomplirai donc mon voyage comme j'ai résolu, » dit-il; et tout l'été il parcourt le midi de la France. A l'hiver il était à Bayonne, mais s'y voyant encore inquiété, il se jette dans la diligence de Madrid (3), et le voilà, comme s'il eût voulu achever son purgatoire, errant au milieu des moutons et des moines dans les solitudes de la terre classique de l'Inquisition. En Espagne, il assista à un changement de règne qui ne changeait rien aux choses du passé. Aussi, comme il se donnait déjà à Madrid, tout comme ailleurs, le plaisir de jouer du grand argument, les alguazils lui furent dépêchés; mais il gagna Valence, mais il s'enfuit à Cadix, et là, toujours poursuivi, il prit encore la mer. Pour aller où? -En Maroc (4).- O terre doublement hospitalière pour

(1) Cloots.

(2) Cloots.

(3) Annales patriotiques, journal, 1792.

(4) Patriote français.

le défenseur des Juifs et des Mahométans! Comme les proscrits d'Europe, Israélites et Maures, lui firent accueil quand il se fut annoncé tel! Le philosophe n'eut pas à s'inquiéter d'un prêtre pour argumenter; les marabouts vinrent en foule recueillir sa parole. Depuis Paris, Jean n'avait point encore rencontré tant d'appétits idéalistes. Ce fut bien la seule terre d'où il ne s'enfuit pas; il s'en arracha. Un navire portugais le ramena en Europe. Et sous le ciel de Lisbonne il se reposa sans plus argumenter.

On entrait en l'année 1789. L'hiver s'écoulait doux et facile; Jean-Baptiste n'entendant rien du monde. Souventes fois pourtant il allait à la côte, regardait l'Océan et semblait mesurer de l'œil l'étendue d'eau qui le séparait de la seule patrie des Droits de l'homme, l'Amérique du Nord, juste en face. Quoi donc! aurait-il en tête de passer outre-mer au printemps? Ne verrait-il plus dans ses études, dans ses voyages qu'une préparation non point à la conquête mais à la jouissance de ces fameux droits résurrectionnels? O philosophe cosmopolite! Si à peine ta voile au vent le coq chantait à la côte et que le jour se levat sur le vieux monde, toi fuyant, tout à la mer! au loin, déjà perdu! quelle honte !... Être libre, c'est beau, mais le redevenir, l'affranchissement, la convalescence, voilà le bonheur !— Hé! qu'il chante donc le coq! Hé! qu'il se lève le jour! — Trop heureux Jean-Baptiste! Commeil criait ce vœu, on lui annonce encore: « Nouvelles de France! le dieu Necker ressuscité, et les états généraux convoqués avec la double représentation du tiers!» Cette fois, c'était bien au tour de la nation ! — le coq allait chanter. Aussi le patriote, ragaillardi, passe le Tage, regagne l'Espagne, franchit l'Ebre, impatient de voir et d'a

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gir (1). Mais quel silence aux frontières! Les Pyrénées sont muettes et de France n'apportent aucun bruit. Est-ce encore partie remise? Non! Ce silence dit au contraire l'avénement de la vie nouvelle et sa toute-puissance.-Silence d'étouffement! Les rois ont peur qu'elle ne déborde! Mais un cri éclate, le plus puissant du siècle et que rien ne peut étouffer, frappant toutes les oreilles, ébranlant tous les cœurs Paris est en insurrection! La Bastille est prise!... » Avec le monde entier Jean-Baptiste l'entend; d'un bond il est en France et libre!

Il avait trente-quatre ans quand il prit la cocarde.

(1) Cloots.

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Libre!... Était-ce bien une terre de liberté qu'il fou

lait?...

A première vue, tout moins grand connaisseur des causes et des effets que Jean-Baptiste en eût douté. C'était à retourner en terre d'inquisition. Villes et villages étaient en armes; tous les visages marquaient l'effroi, et de toutes parts le tocsin sonnait. Qu'y a-t-il? -Des brigands brûlent les moissons, ravagent les vignes, égorgent sur les routes. - Qui les a vus? - Personne! Mais qu'un coup de feu éclate en plaine : « Les voilà!» s'écrie-t-on; et chacun d'être sur le qui-vive (1). Ces jeux de la terreur firent sourire Jean-Baptiste. « J'arrive à point, dit-il. Voilà bien les signes de l'affranchissement à sa première heure, et j'assiste au passage de la servitude à la liberté. Les vieilles institutions ne sont plus; les liens sont bien rompus; l'homme est tout à lui-même :

(1) Révolutions de Paris, journal.

c'est la révolution!... » Et s'étonnant que l'individu eût encore tant d'énergie conservatrice après tant de siècles d'esclavage: « L'autre monde se créera ici-bas! jura-t-il. » Et il alla en avant, les yeux toujours vers Paris.

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A chaque relai, presque à toute heure, par où qu'il passat, on arrêtait sa voiture. « Pardonnez, monsieur, disait le caporal improvisé, si nous poussons la police aussi loin; un peuple ne peut prendre trop de précautions lorsqu'il veut conquérir sa liberté. Courage, braves citoyens, répondait Jean-Baptiste, vous l'aurez, cette liberté, car vous en êtes dignes! » Et qu'il était heureux alors de voir sa cocarde lui servir de passe-port ! Tous respectaient le signe de ralliement. « Ils ont déjà l'instinct du civisme, » pensait-il. Parfois on lui demandait : « Êtesvous du tiers état? Et Jean-Baptiste, émerveillé de Baron en Allemagne, répondait-il, mais citoyen en France (1)! » Et, non moins émerveillé de cette réponse, l'interrogeant criait avec lui : « Vive la nation! »

cette question :

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La nation!... Ah! en quel pays d'Europe les hommes pouvaient-ils mieux pousser ce premier cri d'union que dans ce pays-là même où Jean-Baptiste faisait route, cette belle France, indivisible toute par sa nature? Sa situation entre deux mers et deux chaînes de montagnes, la direction de ses fleuves, de ses rivières et de ses canaux formaient bien, aux yeux du philosophe, un tout homogène, dont les intérêts de commerce et la conservation commune ne sauraient provoquer que l'union la plus intime de toutes. les parties. Oui, bien, vive la nation (2)!

(1) Cloots signe ainsi ses premiers articles.

(2) Cloots, Adresse à Edmund Burke.

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