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CLOOTS vint au monde noble, Prussien et millionnaire. A peine au monde, on le fit catholique... Mais il vécut selon l'Humanité et mourut pour elle: voilà pourquoi nous racontons son histoire.

Ce fut donc trente-sept ans et trois mois avant l'ère dite de justice, le vingt-quatre juin de l'an de grâce mil sept cent cinquante-cinq, que madame la baronne de Cloots enfanta (1).

L'événement arriva au château de Gnadenthal, à quel

(1) Cloots, Vœux d'un Gallophile, nouvelle édition, 1786. Et Chronique de Paris, journal, 1790.

T. I.

1

ques milles de Clèves, dans ce duché que Frédéric de Prusse appelait indifféremment son parc ou son paradis, parce qu'il n'est habité, disait-il, que par des bêtes (1). C'était la patrie de Candide; ce fut aussi celle de Cloots.

A la différence des autres barons de Westphalie, M. le baron de Cloots, conseiller privé de Sa Majesté Prussienne, était riche. Non-seulement son château avait une porte et des fenêtres, mais le vaste domaine en pleine culture qui l'entourait témoignait encore de la fortune du châtelain. Ce n'était pas toutefois au servicé du roi son maître que le conseiller s'était enrichi. Le roi son maître n'avait guère la main à la poche, et souvent même oubliait de payer les gages. Sa fortune, M. le baron l'avait gagnée, aussi bien que son titre, - héréditairement.

Quatre cent cinquante ans de noblesse, quatre générations honorées du titre de baron, voilà ce qu'indiquait l'arbre généalogique de la famille. Mais noblesse ne dit pas richesse; et si les Cloots étaient parvenus à faire remonter leur commencement de maison à la chevalerie, leur blason n'en sentait pas moins le comptoir. Ils étaient de Hollande, et même une des branches de la famille s'était ouvertement adonnée au commerce maritime. Les anciennes maisons d'Amsterdam gardaient encore mémoire de JeanBaptiste, baron de Cloots, premier du nom, homme de son vivant fort respectable, et par sa naissance, et par ses vertus, et par les navires qu'il avait sur toutes les mers: c'était le grand-oncle. Le petit-neveu se consolait aisément de cette origine de fortune en pensant que le commerce ne déroge plus, aujourd'hui surtout qu'on fait une grande différence entre le marchand et le négociant; or

(1) Voltaire, Correspondance avec le roi de Prusse.

-

le grand-oncle était négociant. Il jugea même convenable, le 24 juin 1755, d'évoquer le souvenir de son ancêtre, et voulut, pour lui rendre hommage, qu'on baptisat son fils, in sacello Vallis-Gratie, du nom de Jean-Baptiste (1). Mais, cela fait, il se crut quitte envers le passé et se donna tout à l'avenir de sa maison, bien entendu! D'origine hollandaise, il chercha non-seulement à germaniser sa race, mais encore à franciser sa noblesse, pour que son nom pût s'offrir de lui-même à la langue toute française de son roi Frédéric. Grand problème qu'il parvint à résoudre! Ses paysans ne le saluaient jamais que Seigneur de Gnadenthal; le baron traduisit, et bientôt, à Potsdam, on l'annonça: Baron du Val-de-Grâce. Ce jourlà il n'eut plus qu'à mourir.

Jean-Baptiste, en effet, était né au sein de la plus. belle et de la plus agréable des vallées possibles. On pouvait croire que son enfance s'écoulerait, comme s'écoulait la vie de ses compatriotes, calme et paisible, sans qu'aucune sensation vive ou fàcheuse en vint troubler la parfaite quiétude. Il n'en fut rien. Les sens de Jean-Baptiste s'ouvrent à peine que voilà son àme assaillie d'émotions. Son beau pays de Clèves, cette vallée d'élection, ce Valde-Grâce, se change soudain en une vallée de larmes. Le tambour bat, le canon gronde; on brûle, on pille, on tue autour du château, par toute la vallée, dans la province entière. Et pourquoi? Les Clévois de toute la province n'en savaient guère plus que Jean-Baptiste au maillot (2). Ces laboureurs avaient l'esprit le plus simple, les mœurs les plus douces, mais l'âme indépendante. Naguère

(1) Cloots, Vœux d'un Gallophile.

(2) Guerre de Sept ans.

ques milles de Clèves, dans ce duché que Frédéric de Prusse appelait indifféremment son parc ou son paradis, parce qu'il n'est habité, disait-il, que par des bêtes (1). C'était la patrie de Candide; ce fut aussi celle de Cloots.

A la différence des autres barons de Westphalie, M. le baron de Cloots, conseiller privé de Sa Majesté Prussienne, était riche. Non-seulement son château avait une porte et des fenêtres, mais le vaste domaine en pleine culture qui l'entourait témoignait encore de la fortune. du châtelain. Ce n'était pas toutefois au servicé du roi son maître que le conseiller s'était enrichi. Le roi son maître n'avait guère la main à la poche, et souvent même oubliait de payer les gages. Sa fortune, M. le baron l'avait gagnée, aussi bien que son titre, héréditairement.

Quatre cent cinquante ans de noblesse, quatre générations honorées du titre de baron, voilà ce qu'indiquait l'arbre généalogique de la famille. Mais noblesse ne dit pas richesse; et si les Cloots étaient parvenus à faire remonter leur commencement de maison à la chevalerie, leur blason n'en sentait pas moins le comptoir. Ils étaient de Hollande, et même une des branches de la famille s'était ouvertement adonnée au commerce maritime. Les anciennes maisons d'Amsterdam gardaient encore mémoire de JeanBaptiste, baron de Cloots, premier du nom, homme de son vivant fort respectable, et par sa naissance, et par ses vertus, et par les navires qu'il avait sur toutes les mers: c'était le grand-oncle. Le petit-neveu se consolait aisément de cette origine de fortune en pensant que le commerce ne déroge plus, aujourd'hui surtout qu'on fait une grande différence entre le marchand et le négociant; or

(1) Voltaire, Correspondance avec le roi de Prusse.

le grand-oncle était négociant. Il jugea même convenable, le 24 juin 1755, d'évoquer le souvenir de son ancêtre, et voulut, pour lui rendre hommage, qu'on baptisat son fils, in sacello Vallis-Gratia, du nom de Jean-Baptiste (1). Mais, cela fait, il se crut quitte envers le passé et se donna tout à l'avenir de sa maison, bien entendu! D'origine hollandaise, il chercha non-seulement à germaniser sa race, mais encore à franciser sa noblesse, pour que son nom pût s'offrir de lui-même à la langue toute française de son roi Frédéric. Grand problème qu'il parvint à résoudre! Ses paysans ne le saluaient jamais que Seigneur de Gnadenthal; le baron traduisit, et bientôt, à Potsdam, on l'annonça: Baron du Val-de-Grâce. Ce jourlà il n'eut plus qu'à mourir.

Jean-Baptiste, en effet, était né au sein de la plus belle et de la plus agréable des vallées possibles. On pouvait croire que son enfance s'écoulerait, comme s'écoulait la vie de ses compatriotes, calme et paisible, sans qu'aucune sensation vive ou fàcheuse en vint troubler la parfaite quiétude. Il n'en fut rien. Les sens de Jean-Baptiste s'ouvrent à peine que voilà son àme assaillie d'émotions. Son beau pays de Clèves, cette vallée d'élection, ce Valde-Grâce, se change soudain en une vallée de larmes. Le tambour bat, le canon gronde; on brûle, on pille, on tue autour du château, par toute la vallée, dans la province entière. Et pourquoi? Les Clévois de toute la province n'en savaient guère plus que Jean-Baptiste au maillot (2).

Ces laboureurs avaient l'esprit le plus simple, les mœurs les plus douces, mais l'âme indépendante. Naguère

(1) Cloots, Vœux d'un Gallophile.

(2) Guerre de Sept ans.

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