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à vous surtout que je parle, messieurs les curés: fautil vous rappeler votre vieux secret? ayez un peu plus de mémoire. Redites ces sermons qui nous ont valu plus d'argent que trente édits, plus de bras qu'une légion de recruteurs. Prêchez, Messieurs, prêchez; faites comme aux barricades. (Pigenat et Louchard se lèvent pour répondre.)

Pigenat.

Madame la duchesse....

Le curé Aubry, le tirant par sa robe.
Laissez plutôt parler quelqu'un du tiers.
Laissez dire Louchard. (Pigenat se rassied.)
Louchard.

On a parlé des barricades! Plût à Dieu que cette glorieuse et sainte journée n'eût pas encore lui pour l'Union! Nous serions plus sages et mieux avisés aujourd'hui; nous garderions pour nous les fruits de la victoire, et confierions à de meilleures mains le soin de nous gouverner! Mais le mal est fait, le peuple a été trahi. Le peuple voulait qu'on fît main basse sur les politiques; et ceux-mêmes qu'il avait emprisonnés de ses propres mains ont été élargis. On s'est fait caution pour eux, pour des traitres, vrais athées, vrais royaux que la Bastille devait enterrer vifs. Le peuple voulait se gouverner lui-même par ses élus; ses élus ont été méprisés, et le conseil, où ils siégent, grossi sans son suffrage. Tout ce que le peuple a demandé, on le lui a dénié; chaque fois qu'il a parlé, on lui a coupé la langue. Il a été trompé, dupé, joué, vendu; et vous voulez maintenant qu'il vous fasse des barricades!.... Il le pourrait encore, oui, vous avez raison; le peuple peut tout ce qu'il veut: mais Dieu nous garde de l'animer à se saigner au profit de ses tyrans. Nous

sommes les élus du peuple, et nous voulons le sauver aussi bien de la griffe des renards que de la dent des loups. Le peuple est las de porter votre bât.... Vous autres grands, vous ne craignez rien; la guerre n'est faite qu'aux bourgeois des villes et au peuple de Dieu; la tyrannie vous donnera merci, car les nobles et tyrans se font bonne guerre, il n'y a que les manans qui paient tout....

Villeroy fils.

Mais il ne s'agit pas de tout cela....

Quel fou!

La duchesse, à demi-voix.

Villeroy fils.

Monsieur le président, veuillez dire à maître Louchard qu'il nous faut sauver la ville, et que....

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Je dis que nous payons tout; les coups et les impôts c'est sur nous que tout retombe. Vous avez fait semblant de diminuer les tailles d'un quart, eh bien! n'était-ce pas encore un leurre pour le pauvre peuple? Vous avez levé cinq sous par écu, vous avez mis des taillons sur le baptême des enfants, sur les mariages, sur les cloches!.... Vous avez pris à de misérables veuves jusqu'à la paille de leur lit; vous avez dérobé les deniers des pauvres du bureau de Paris? Les pauvres n'ont-ils pas sujet maintenant de s'armer pour vous défendre?

Bussy.

Bien, Louchard, très-bien.

La duchesse.

J'étouffe!.... Etre forcée d'entendre de telles vilenies?.... Monsieur le président....

Le président.

Pardon, madame la duchesse, maître Louchard n'a pas fini.

La duchesse, à demi - voix.

Alors il faut s'enfuir.... qu'en dites-vous, monsieur de Villeroy?

Le président.

Maître Louchard, achevez; mais, comme le temps presse, avez-vous des conclusions?

Louchard.

Oui, les voici.

Le président.

Lisez-les.

Louchard.

Il faut auparavant que l'on sache bien que je parle au nom du peuple, et non par haine ou partialité contre monsieur le lieutenant. Je ne me soucie que du peuple. Ce n'est pas ma faute si monsieur le lieutenant a cru pouvoir s'accomoder en propriété du souverain commandement qu'il n'avait reçu qu'en dépôt: mais le peuple n'en veut plus entendre parler; il veut qu'on en revienne à l'ordre ancien, à l'ordre établi le lendemain des barricades....

C'est vrai, c'est bien.

Sénaut.

Louchard.

Je conclus done: (1 lit.)

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‚Premièrement, le peuple élira, dès ce soir, en cette maison de ville, vingt nouveaux membres qui seront adjoints au conseil."

„Secondement, le conseil ainsi composé nommera cinq membres commissaires, chargés de s'entendre avec monsieur le lieutenant pour le gouvernement et la défense de la ville, de passer les marchés, de surveiller les recettes, de redresser les plans, de le suivre."

La duchesse, se levant avec colère.

....

Oh! par mes aïeux et tous les saints de Lorraine, je n'en entendrai pas davantage! Mon frère sous votre tutelle! mon frère attelé à vos lisières! le fils du grand duc de Guise transformé en sergent de vos commandements! Y pensez-vous mes maîtres? (Se retournant vers Villeroy:) Sont-ils donc venus ici après boire?.... (Murmures.)

Sénaut.

N'insultez pas le conseil!.... Continuez, Louchard....

La duchesse, montrant le banc des Lorrains.

On voit bien que ce banc est dégarni, et qu'il n'y a pas dans cette salle une seule épée de Lorraine pour vous mettre à la raison. Quand mon frère et ses amis sont là, vous ne faites pas ainsi les braves. (Se tournant vers le banc des Lorrains.) Mais vous, Messieurs, vous ne tremperez pas dans une telle félonie; vous n'en serez pas témoins.... La séance est close, monsieur le président.... Venez, Messieurs....

Villeroy.

Oui, nous sortons; sortons, sortons....

Aubry.

Restons, restons toujours. toujours. Aux suffrages! Aux suffrages!

Louchard.

Le peuple lui-même cassera vos conclusions.

Sénaut.

Le peuple est à nous. C'est à la confrérie du Cordon qu'elles ont été dressées.

Brissy.

Allons, vive l'Union! et finissons.

Villeroy, bas à la duchesse.

Un moment, madame la duchesse, ne sortez pas.. tâchons.... (haut.) Eh! Messieurs, je vous le demande, pouvez-vous prendre un tel moment pour satisfaire vos ambitions?

Louchard.

Il n'y a pas d'ambitions: c'est le peuple qui le

veut.

Villeroy.

Mais la ville est aux abois, et vous vous révoltez contre le seul homme qui puisse la sauver.

Louchard.

Ce n'est pas un homme, il n'y a que le peuple qui peut sauver la ville. Il ne s'agit que de lui rendre courage, c'est-à-dire de lui rendre le pouvoir qu'on lui a dérobé.

Villeroy.

Mais soyez justes, Messieurs; Monseigneur a-t-il jamais rien fait sans nous?

Louchard.

Sans vous, monsieur de Villeroy, je le veux croire; mais êtes-vous du peuple? Souvenez-vous donc par quelle porte vous êtes entré ici.

Villeroy, fils.

Pour le coup, c'est trop d'insolence!....

Villeroy.

Laissez, laissez, mon fils; donnons exemple à ces Messieurs; nous qui sommes de même religion et dé

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