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IV.

LA MORT DE HENRI III.

(L. Vitet.)

PERSONNAGES.

Louis de Brézé, Président du Conseil de l'Union.

Pigenat,
Aubry,

} curés, membres du Conseil de l'Union.

La Duchesse de Montpensier, sœur du duc de Guise.
Le duc de Mayenne, son frère, Lieutenant. Gal, de l'Etat.

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La scène représente la Salle du Conseil, en août 1589.

G

SCÈNE I.

Tous les personnages.

La duchesse, debout à la droite de Louis de Brézé, le président.

Reprenez vos esprits, Messieurs; faut-il qu'une femme vous le dise? Nos ennemis ne nous tiennent point encore le pied sur la gorge. Le pont est pris; mais il nous reste nos murailles, qui sont assez bonnes, Dieu merci. Vous ne connaissez pas vos forces; Paris ne sait pas ce qu'il vaut. Il a des richesses, des bras et des armes pour faire la guerre à quatre rois. Voyons, monsieur le président, au lieu de vous pencher à l'oreille de vos voisins et de faire des mystères, que ne dites-vous au conseil quels sacrifices l'Union peut attendre du dévouement de ses adhérents? Et vous aussi, messieurs de Sorbonne; vous, messieurs du palais; vous, mes pères les prieurs, il ne faut point rester ainsi bouche close. Songez qu'en ce moment mon frère, avec une poignée d'amis, soutient le choc de trente mille soldats armés jusqu'aux dents; songez que, faute d'argent, il a vu ce matin, avant le combat, trois mille de nos Allemands, le meilleur de nos forces, passer au camp du Valois. Parlez, messieurs, êtes-vous encore de vrais serviteurs de Dieu et de l'Union? Nous aiderez-vous de franc jeu et de bon cœur? Que si vous conservez toujours votre vieux levain de jalousie; que si, pour garder le peuple à votre dévotion, vous l'entretenez dans

vos défiances contre mon frère et notre maison, ditesle; nous n'irriterons pas plus longtemps ces deux dogues affamés de notre sang et du vôtre: dès ce soir, les portes leur seront ouvertes; et quant à vous, Messieurs, vous réglerez ensuite vos comptes avec Dieu, pour avoir abandonné sa cause et livré à ses ennemis le meilleur boulevart de sa sainte religion.

Le président, d'un ton pédant.

Très-illustre princesse, nous sommes toujours les vrais serviteurs de Dieu et de l'Union; nous ne faisons ni complots, ni mystères: et, quand nous parlons à nos voisins, c'est que le bien de la cause nous porte à les consulter. Je demandais à M. de Balagny si nous étions aussi bien munis d'armes que Votre Altesse parait le croire. M. le gouverneur m'a répondu qu'il comptait à l'arsenal cinq à six cents mousquets tout au plus: hier encore, M. Bussy me disait qu'il n'a dans sa Bastille que de vieilles cuirasses et des- dagues rouillées; et quant aux poudres et munitions, si nous n'avions les provisions des convents, nos pauvres soldats en seraient réduits, dès ce soir, à ramasser la poussière et les cailloux pour répondre aux coups de l'ennemi. (Chuchotements dans l'assemblée. La duchesse s'agite sur son siége, et fait signe à Bussy de venir lui parler. De Brézé continue:) Vous l'avouerez, madame la duchesse, voilà de pauvres ressources pour rendre le courage à un peuple assiégé, et lui donner confiance en ceux qui se sont faits ses maîtres. Certes, nous avons des bras à offrir pour le service de Dieu; mais qu'en feriez-vous? Que peuvent des bras sans armes?

Pigenat, se levant du banc des curés.

Et quand vous trouveriez des armes, avez-vous du pain? en avez-vous? Voyons, messieurs les échevins,

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Je l'ai dit ce matin à M. le lieutenant; nous n'avons pas plus de quatre mille setiers de grains.

Louchard.

Quatre mille setiers! c'est de quoi manger pour quatre jours!

Roland.

Il est vrai, pas davantage. Tous nos convois ont été arrêtés depuis une quinzaine par les cavaliers du Béarnais, et les moissons de Beauce sont encore sur pied.

Pigenat.

Eh bien défendez vous donc; épuisez, rançonnez le peuple jusqu'au sang, et dans quatre jours vous n'aurez pas une croûte de pain à lui mettre sous la dent. Bussy, assis auprès de la duchesse.

Du pain, du blé? Cherchez comme il faut, monsieur le curé, et vous en trouverez encore.

La duchesse, avec impatience.

Oui, oui, plus qu'on n'en veut.

Bussy.

Les couvents sont aussi bien pourvus de froment que de poudre à canon.

Pigenat.

Les couvents ont leurs pauvres à nourrir.

Bussy.

On fera les parts plus petites.

Villeroy fils, du banc des Lorrains.

Allez, nous connaissons les cachettes, les pères Ja

cobins et les Cordeliers, à eux seuls, ont de quoi nourrir, un mois durant, tout le quartier Saint-Jacques.

Aubry.

Calomnie, Messieurs, calomnie! Pour les Jacobins, je ne puis dire; je n'ai pas vu leurs caves; mais nous autres Cordeliers!.... Dieu sait que nous sommes trop fidèles au vœu de pauvreté, pour jamais amasser pareilles provisions. Voilà pourtant comme on noircit la religion aux yeux du simple peuple!

Senaut, se levant du banc du tiers.

Naturellement! c'est le mot du guet parmi nos ennemis, de semer partout que nous aussi nous sommes riches, que nous faisons bonne chère; pendant qu'il n'y a si bonne famille des nôtres qui ne soit ruinée: nous nous sommes tous engagés pour l'Union au-de-là de ce que nous avons vaillant. Je parle de nous autres que le peuple a élus, et non de ceux qui sont ici d'autre fabrique.

Aubry.

Bien, Senaut, bien. (Rumeurs, chuchotements.)

La duchesse.

Laissons-là ces misères, Messieurs; que vous soyez riches ou non, il n'importe qu'à vos héritiers. Mais je vous l'ai déjà dit: je sais ce que vaut Paris. Tous vos bourgeois n'ont-ils pas du vin dans leur cave, du blé dans leur grenier? chacun n'a-t-il pas ses meubles, sa vaisselle? Eh bien! que faut-il de plus, pour tenir huit ou dix jours seulement? Dans huit jours, mon frère de Nemours nous délivrera; voici des lettres où il nous en renouvelle la promesse. Laissez donc là vos doléances, Messieurs, elles ne m'en feront point accroire; nous manquons de pain, d'armes, d'argent: soit; mais si vous le voulez demain nous en regorgerons. C'est

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