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Loisel.

En même temps on a pendu un misérable marchand de Rouen qui paraissait s'apitoyer sur le sort de l'autre.

Guise.

Cependant, si cet homme n'avait rien fait?

Loisel.

Mais, monseigneur, c'est toujours un de moins.

Guise.

Salut! monsieur Pasquier: dites-moi, je vous prie, ce que devient votre ami, ce gentilhomme gascon qui fait de si beaux écrits?

Pasquier.

Le sieur de Montaigne, monseigneur?

Guise.

Oui, le sieur de Montaigne; pourquoi ne vient-il plus avec vous ?

Pasquier.

Mais, monseigneur.... une santé délicate.... un esprit quelque peu bizarre....

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Guise.

De quoi pourrait-il s'effaroucher?.... Dites-lui combien j'ai de plaisir à le voir.... il a des façons de parler si vives, si brusques.... dites-le lui bien, monsieur Pasquier. Monsieur Marteau, vous direz à votre chambre qu'il faut songer sérieusement à cette charge de Connétable; j'ai l'espoir que le Roi n'en voudra point entendre parler; c'est alors, messieurs, que nous aurons besoin de toute votre énergie.

Marteau.

Mais, monseigneur, pourquoi courir la chance que le Valois accepte? Nous avons déjà décidé que nous vous nommerions de notre chef?

Guise.

Je le sais mais vous ne dites pas tout; ce n'est qu'à Orléans que vous comptez faire ce coup d'audace, et moi, c'est ici que j'en ai besoin. Je vous ai fait rester, messieurs, pour vous parler avec toute franchise: je ne veux point aller à Orléans, je ne veux point sortir de ce château. On n'a jamais fait retraite la veille d'une victoire.

Loisel.

Mais, monseigneur, si l'on vous prouve que l'on en veut à vos jours.

Guise.

Je n'en fais doute, monsieur; et si j'étais fils de lièvre, il y a longtemps que j'aurai pris la fuite. Mais avec le nom que je porte, et au point où j'en suis avec le Roi, on ne recule pas à moins d'avoir envie de s'avouer vaincu.

Le cardinal de Guise.

Ah! mon frère, faites-nous grâce de vos idées de paladin; vous n'êtes point sur un champ de bataille, mais dans un repaire de voleurs, et vous jouez un jeu à nous faire tous égorger; depuis huit jours je ne rêve que guet-à-pens.

Guise.

Vous ne voyez pourtant pas qu'il soit fort aisé de me surprendre. Je ne connais point d'homme sur terre qui, vis-à-vis de moi, ne doive prendre pour lui la moitié de la peur.

Le cardinal de Vendôme.

Tant mieux, monsieur le duc, tant mieux; car il ne faut pas vous fier aux caresses du Roi. Hier au soir, je l'ai vu chez sa mère, et ce n'était plus le même homme que quand il vous parlait.

Marteau.

Vous entendez, monseigneur, tout le monde le juge de même.

Guise.

Eh bien! oui, c'est un fourbe, il est perfide comme une hyène; mais ne sait-il pas que ma partie est la plus forte, et que j'aurais des vengeurs? Le croyezvous assez fou pour se mettre, de gaité de cœur, guerre avec tous ses sujets?

Pasquier.

en

Ah! monseigneur, la colère est une passion aveugle: tous les auteurs sont d'accord là-dessus.

Guise.

Monsieur Pasquier, je ne suis pas savant comme vous; mais n'en déplaise à vos auteurs, j'ai remarqué qu'il y a aussi des colères prudentes, et celle du Roi est de ce nombre.

Pasquier.

Notez bien, cependant, monseigneur, que vous l'avez contraint de sortir au galop de sa ville capitale; fût-il un saint, c'est une honte qu'il ne pourra jamais oublier; et si vous ouvrez Homère, au livre premier de son Iliade, vous y apprendrez une belle leçon de Calchas qui remontre à Achille qu'un prince offensé, encore qu'il dissimule, trouve toujours une occasion de se venger. Guise.

grec.

Pardonnez, monsieur Pasquier, il ne s'agit point de

Le cardinal de Guise.

Non; mais il s'agit de vie et mort, mon frère.

Guise.

Si vous le croyez, que ne partez-vous? rien ne vous

oblige à rester: la Chambre du clergé trouvera bien un autre président.

Le cardinal de Guise.

Je ferais sagement peut-être, pour votre conservation, de me séparer de vous; car il n'y a rien de séduisant comme un coup double: mais j'userai d'un moyen meilleur encore; je resterai, me réservant de vous harceler si bien, que vous finirez par me dire vousmême: Allons-nous-en.

Guise.

En vérité, mon cher Louis, vous parlez de tout cela comme une femme; vous êtes bien le digne frère de votre sœur; mais ouvrez donc les yeux, et regardez sérieusement les choses. Je suis ici à un poste d'honneur qu'il m'est interdit d'abandonner. Je cours ici quelques dangers, mais c'est un malheur nécessaire; il n'y a point de fortune sans hasard: quand on a le pied sur l'échelle, il faut monter jusqu'au sommet, quelque haute que soit la muraille. Une fois pour toutes, messieurs, je reste à Blois: c'est à la face du Roi que, de gré ou de force, je veux devenir connétable. Maintenant, messieurs, que vous connaissez mes desseins, vous n'exigerez plus, je pense, que je cède à vos alarmes. Si vous me trouvez téméraire, ne me suivez pas;

mais...

Loisel.

Monseigneur, Dieu nous garde de vous quitter jamais! nous ne craignons que pour votre vie.

Guise.

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J'en étais sûr, mes amis. Monsieur Marteau, n'oubliez pas que c'est votre Chambre qui doit la première parler de la charge de Connétable; il ne faudra pas tarder. Adieu, messieurs, pardonnez-moi de ne pas

vous retenir à déjeuner ce matin; mais, vous le savez, on vous attend à vos chambres. Adieu.

Le cardinal de Guise.

Adieu; mais souvenez-vous que je ne suis pas vaincu, et qu'il me reste une langue qui ne vous laissera pas en repos.

Guise, souriant.

S'il vous plait de perdre vos paroles: à votre aise.

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