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Villequier.

Oui, madame, mieux vaut la quitter avec l'espoir d'y rentrer, qu'y rester pour n'en plus sortir.

La duchesse.

Mais c'est nous déshonorer; vous ne le sentez pas?
Villequier.

Quel déshonneur y a-t-il à éviter un ennemi qu'on est dans l'impossibilité de vaincre ?

La duchesse.

Je croyais que vous compreniez mieux nos intérêts. Il parait que vous n'êtes plus de nos amis, monsieur de Villequier?

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Peu importe qui a donné le conseil: fût-ce notre saint-père le pape, nous ne le suivrions pas.

La duchesse.

A la bonne heure: voilà répondre!

Guise.

Je ne me sens criminel ni d'actions ni de pensées: le roi ne m'a pas interdit le séjour de sa ville, je ne vois pas pourquoi j'irai prendre la fuite. Mon cher Villequier, je me fie en ma bonne cause et en mes amis; car, soit dit entre nous, j'ai assez d'amis pour faire une contenance respectable. Je n'attaquerai personne; mais s'il faut nous défendre, les épees de Lorraine montreront ce qu'elles valent.

Villequier.

Que pourra votre courage, monseigneur? vous serez un contre vingt.

Guise.

Demandez à ces messieurs s'ils ont jamais compté leurs ennemis? D'ailleurs, je n'aime pas les garnisons nombreuses; il ne me faut que de bonnes murailles, et celles de l'hôtel sont de taille à se moquer du boulet. Villequier.

Mais, monseigneur, vous allez mettre la ville à feu et à sang.

Guise.

Ce n'est pas moi, c'est le roi qui doit y regarder à deux fois. Qu'il nous laisse en repos, nous n'allumerons pas seulement une mèche de mousquet.

Villequier.

Le roi est tellement irrité, que je ne puis répondre...

Guise.

Eh bien! monsieur, le sang versé retombera sur lui.

Villequier.

Je ne demande pas mieux, monseigneur; car, quoi qu'en dise madame la duchesse, je suis encore de vos amis. Maintenant que j'ai accompli mon devoir, je vous demanderai la permission de me retirer. (Il sort.)

Guise.

Quitter la ville! quelle folie! je n'y pouvais pas songer! Toutefois ces six mille hommes qu'il va faire entrer dans la ville me préoccupent. Bah! rien n'est encore perdu! Je tiendrai deux jours facilement: dans deux jours mes régiments sont aux portes: on parlementera, et je demanderai les Etats-Généraux. De toute façon c'était là que j'en voulais venir. Il me fallait les Etats-Généraux pour faire prononcer la déchéance de ce roi incapable. En vérité, je commence à n'être pas fâché qu'il fasse entrer ses Suisses.

La duchesse.

Moi, ces Suisses me désolent, non pas que j'en aie grand' peur, mais c'est que, grâce à eux, vous voilà revenu à la défensive et nous en aurons pour des siècles. Guise.

Ne voudriez-vous pas qu'avec mes deux ou trois cents hommes j'allasse me mesurer corps à corps avec six mille soldats armés jusqu'aux dents?

La duchesse.

Mais vous ne me comprenez pas: ce n'est pas demain que je vous propose d'attaquer, c'est cette nuit. Guise.

Cette nuit?

La duchesse.

Oui, vous n'avez besoin que des cinq ou six heures qui nous restent pour mener à fin tous vos projets.

Guise.

Mais tout le monde dort à l'heure qu'il est.

La duchesse.

Je me charge d'éveiller nos amis: dans un quartd'heure le tocsin de toutes les paroisses résonnera, et si vous avez bonne volonté, dans deux heures vous aurez fait place nette au Louvre.

Guise.

Comme vous y allez! Et les Suisses, qu'en faites-vous?
La duchesse.

Ils trouveront les portes fermées, et des bouches à feu sur les remparts.

Guise.

Et comment justifierez-vous votre échauffourée? car encore vous faut-il une excuse.

La duchesse.

Voilà qui est bien difficile. Le peuple a surpris

des assassins envoyés du Louvre, et, dans sa fureur, il s'est porté aux dernières extrémités. Vous aurez tenté vainement de le calmer......

Guise.

A merveille! vous avez réponse à tout; votre plan est admirable; il n'y a qu'un malheur, c'est qu'il faudrait être fou pour l'exécuter.

La duchesse.

Folie tant qu'il vous plaira; mais si Dieu m'avait fait la grâce de me donner à porter cette épée qui pend à votre côté et votre beau nom de Guise, je la voudrais faire cette folie. Vous avez du courage, mon cher duc, mais ce n'est pas assez. Savez-vous qu'à votre place votre père n'aurait pas balancé?

Guise, vivement.

Mon père......je vous en remercie pour lui, Vous faites honneur à sa prudence. D'Espignac, comment trouves-tu les plans de campagne de la duchesse?

d' Espignac.

Très poétiques, monseigneur, c'est une Iliade: mais je suis forcé d'avouer qu'on peut trouver une politique plus profonde et plus sage.

La duchesse.

Ma politique vaut bien la vôtre: mes idées de femme valent bien vos profondes idées. Avec vos Etats Généraux vous ferez de belle besogne! Puissent-ils ne pas vous jouer quelque mauvais tour! Mon cher Henri, je le dis à regret, mais voici votre horoscope: la manie de tout calculer vous empêchera de jamais agir à propos; vous voudrez attraper tout le monde, et vous serez pris dans vos propres filets: vous..

Guise.

Epargnez-moi le reste, ma sœur, et calmez-vous, de grâce, vous voilà toute rouge.

La duchesse.

Que voulez-vous? je ne suis pas maîtresse de moi quand je pense que vous gâtez ainsi à plaisir votre fortune: vous étiez si bien fait pour être roi!

Guise.

Ah! voilà le grand mot prononcé : c'est ce nom de roi qui vous fait tourner la tête. Pour moi, je tiens moins au nom qu'à la chose: je ne suis pas un enfant pour me prendre à des mots comme à des hochets. La duchesse.

Adieu, mon cher frère, je vous souhaite de redevenir. enfant comme moi, afin de prendre un peu plus d'amour pour cette couronne, qui n'est pas un hochet, quoi que vous en disiez. Adieu.

Guise.

Adieu.

La duchesse.

N'oubliez pas à votre réveil de m'envoyer vos in

structions.

Guise

Ce sera mon premier soin, ma sœur. (La duchesse sort.) Quel tête légère!

d'Espignac.

Monseigneur ne veut-il pas prendre quelques instants de repos? Onze heures sont déjà sonnées.

Guise.

Oui, je vais me jeter sur mon lit. Mais viens avec moi, d'Espignac. J'ai envie que tu retournes au Louvre; il faut savoir ce qui s'y passe. Je ne me fie jamais complètement à ce que dit Villequier.

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