Page images
PDF
EPUB

SCÈNE II.

Caroline paraissant à la porte du côté gauche, les épaules couvertes d'un peignoir jeté sur sa robe et arrangeant ses cheveux. Eugénie.

[blocks in formation]

Tu sais bien que j'avais envoyé Baptiste chez les demoiselles Saint-Clair, nos voisines, pour leur emprunter une parure?

Eh bien!

Eugénie.

Caroline.

Eh bien les demoiselles Saint-Clair sont retournées

à Paris.

Eugénie.

Alors tu te coifferas simplement en cheveux.

Caroline.

Me coiffer en cheveux! tu veux que je représente une Muse sans ornements de tête?.... C'est impossible, ma chère; si je n'ai point de parure, tes vers paraîtront détestables.

Eugénie.

Rassure-toi; je crois bien qu'ils ne seront pas faits! ainsi tu n'auras pas besoin de t'habiller en Muse.

Caroline, qui s'arrange devant le miroir, à gauche. Par exemple! et mon costume! Ah! ma chère! il

me va trop bien pour que j'y renonce; je suis décidée à le mettre, quoiqu'il arrive.

Eugénie.

Mais si tu n'as pas de vers à réciter?

Caroline.

Eh bien! je serai la Poésie....en prose.... L'important n'est pas de réciter des strophes, c'est d'avoir une coiffure.... Voyons.... comment donc se coiffaient les Muses?.... à la chinoise ou à la Marie Stuart? (Elle arrange ses cheveux devant le miroir.)

Eugénie, un peu impatientée.

Ecoute, ma chère Caroline, tu ferais bien mieux de me laisser terminer ma pièce de vers et de t'occuper de tous les préparatifs....

Caroline.

Les préparatifs? Ursule s'en est chargée.

Eugénie.

Ursule est certainement pleine de bonne volonté ; mais tu sais que quand elle a commencé à causer, le temps s'écoule sans qu'elle s'en aperçoive .... surtout quand elle parle de son ancienne maîtresse polonaise. Caroline, riant.

La princesse Krakinoski!

Eugénie.

Si on ne se hâte pas, je tremble que maman ne devine quelque chose.

Caroline.

C'est impossible, elle ne se doute de rien et elle est allée, en se promenant, jusqu'à la poste chercher ses lettres.

Eugénie.

Pourvu qu'aucune visite ne vienne nous déranger!

Caroline.

Eh! non; tu sais bien que notre été se passe à

Ville-d'Avray sans que nous voyions personne! Dès que le mois d'Août arrive, toutes nos connaissances tombent malades. . . . afin de partir pour les eaux. (Soupirant.) Il n'y a que nous qui sommes obligées de nous bien porter, parce que maman a ici une petite maison où elle veut passer les beaux jours.... Elle devrait savoir pourtant que ce n'est plus la mode d'aimer la campagne On dit que c'est bourgeois!

....

SCÈNE III.

Les mémes, Ursule, accourant par la porte du côté droit; elle porte du beurre et des œufs dans son panier.

Ursule, parlant très-vite.

Impossible de le trouver!.... Où est-il donc passé? .. Ah! mesdemoiselles, vous n'auriez pas vu Baptiste, s'il vous plait?

Caroline.

Mais il est occupé, je crois, à faire des bouquets pour notre fête.

Ursule.

Encore! Ah! quel lambin! quand je pense que j'ai déjà eu le temps d'aller au village tout acheter.... Voyez, mesdemoiselles, du beurre frais et des œufs item! c'est pour mon entremets, vous savez, la fameuse crème bachique.... un mets que la princesse Krakinoski disait toujours qu'il n'y a pas son pareil dans les trentesix parties du monde.... Il parait que ça a été inventé en Angleterre.... où ils font tout à la mécanique, même les plomb-boudins. Avec ça vous aurez des œufs en surprise, un vrai manger des dieux!

Eugénie, avec l'intention de congédier Ursule afin de travailler.

Nous nous en rapportons à vous, Ursule; nous savons que vous êtes un cordon-bleu.

Ursule.

Comme mademoiselle se fait l'honneur de me le dire, un cordon-bleu premier numéro! à preuve que la princesse Krakinoski, qui avait ses quatre repas dans les hautes et basses cours de l'Europe, déclarait que je ne craignais personne pour le poulet à la parole, l'anguille au soleil et tous les autres plats généralement quelconques. Il n'y a qu'un seul ragoût qui m'a toujours tenu rigueur et que je donnerais deux doigts de votre main pour le réussir; c'est l'ile flottante, entremets né en Provence, qui est un pays sauvage, comme toutes les campagnes hors Paris.

Caroline.

Vous avez été cependant élevée dans une de ces campagnes, ma bonne.

Ursule, un peu piquée.

C'est vrai, mademoiselle, mais personne n'est responsable du malheur de sa naissance. A cette heure je suis de Paris par l'intelligence, si bien que j'abomine tout ce qui vient de la province, à commencer par les domestiques. Des gens sans la moindre éducation, qui ne savent rien! Quand vous pensez qu'il y en avait, l'an dernier, une chez votre tante qui, quand on lui disait de porter une lettre au château, demandait le nom de la rue! Ça fait honte à l'espèce humaine, ma parole d'honneur!

Eugénie, à part.

Décidément je ferai mieux d'aller travailler ailleurs. (Elle va pour sortir par la porte du côté gauche et recule tout-àcoup.) Ah!.... voici maman!

Ursule.

Madame Langlois !

Caroline.

Ah! si elle voit nos préparatifs, elle va tout deviner!

Ursule.

Faut tout cacher! (Elle relève son tablier sur le panier qu'elle porte. A Caroline.) Otez votre peignoir, mademoiselle Caroline.

Caroline, qui a ôté son peignoir.

Comment faire pour que maman ne l'aperçoive pas? .... Ah! sous votre tablier!

le tablier d'Ursule.)

(Elle fourre son peignoir sous

Eh bien! eh bien

vous le mettez sur le beurre

Ursule.

frais!

Eugénie, qui a repris les papiers posés sur les guéridons et les à cachés dans la poche de son tablier, chercher ou mettre son dictionnaire.

Ramassons tous ces papiers.... Mais le dictionnaire .... (Courant à Ursule.) Vite! prenez-garde qu'on ne le voie! (Elle le fourre sous le tablier d'Ursule.)

Ursule.

Ah! vous allez écraser les œufs!

Eugénie.

Eh! non!

Ursule.

C'est fait, mademoiselle. (Entrouvrant son tablier.) Voyez !

Eugénie.

Cachez donc cela!

« PreviousContinue »