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Louis, s'avançant vers le cousin Pierre, avec emportement.
Vous oubliez que vous parlez de má mèrë, mon-

sieur.

Mme Leclere, avec dignité.

J'ai pu supporter jusqu'ici vos étranges paroles, vos impolitesses, tout, jusqu'à votre dernière brutalité; elles ne s'adressaient qu'à moi; mais celle qui n'est plus là pour se défendre, et que je regretterai éternellement, ma chère sœur, la mère de Louis (Elle attire le jeune garçon dans ses bras avec attendrissement.) vous ne l'insulterez pas devant moi, je vous le défends.

Louis, très-ému, embrassant madame Leclerc.

Et moi, je ne veux pas que ma tante ait à souffrir plus longtemps de vos insolences.

Le cousin Pierre.

Hein! qu'est-ce que ceci veut dire?

Louis, avec force et sensibilité.

Ceci veut dire que vous vous êtes conduit chez elle comme à bord d'un corsaire; que depuis une heure, tout le monde a eu à souffrir de vos paroles ou de vos actions, et que vous n'êtes digne de vivre près de ma bonne tante, ni par votre esprit, ni par votre caractère, ni par votre cœur.

Mme Leclerc, Parrêtant et l'attirant à elle: Assez, cher Louis.... C'est à moi de m'expliquer avec monsieur; laisse-nous!....

Le cousin Pierre, changeant complétement de ton. Non.... Pardon, ma cousie.... tout à l'heure, je m'excuserai près de vous, comme je le dois.... Mais, permettez que je réponde d'abord à M. Louis.... Puisque nous en sommes à nous diré nos vérités, j'aurai d'abord un petit compte à régler avec lui..........

Parlez, monsieur!

Louis.

Le cousin Pierre, d'un ton sérieux.

Et d'abord, veuillez me dire en quoi l'impolitesse de mes manières a pu vous choquer, vous qui m'avez accueilli ici en lisant le journal, et qui avez applaudi à la maxime que chacun devait agir à sa fantasie, sans s'inquiéter des autres?

C'est-à-dire ....

Louis, déconcerté.

Le cousin Pierre, d'un ton encore plus grave.

Vous m'avez trouvé égoïste et insolent; mais qu'aije fait depuis ce matin que vous ne fassiez tous les jours? N'avez-vous donc pas remarqué que chacune de mes actions était justifiée par une des maximes dont vous aviez accompagné les vôtres ? Je n'ai fait que vous montrer à vous-même!

Louis, troublé.

Je n'ai pas voulu....

Le cousin Pierre, toujours plus sévère.

Ecoutez jusqu'au bout, monsieur! Ma conduite envers Manon vous a révolté; quelle a été la vôtre envers l'amie de votre tante, Madame Gallois? Vous m'accusez de n'avoir pas respecté dans votre mère une parente morte; avez-vous mieux respecté dans madame Leclerc une parente vivante? Depuis ce matin, mes actes et mes paroles vous indignent: que penser alors des vôtres ? J'ai été inconvenant avec des égaux, vous vous êtes montré insolent avec des supérieurs! lequel de nous deux vous semble avoir donné la plus mauvaise idée de son esprit, de son caractère et de son cœur?

Louis, très-troublé.

Mon cousin.... il me semble.... Je pourrais... vous dire.... ou plutôt.... (Avec un mouvement subit de franchise et de sensibilité.) Non, je n'ai rien à dire.... j'ai tort. . . . j'ai tort!

Le cousin Pierre, lui prenant la main.

Bien, mon ami; bien, mon cher Louis; puisque vous le reconnaissez, mon but est atteint; oublions le passé et tâchons d'en profiter pour l'avenir. Dans tout ceci, les véritables victimes ont été Manon, à qui je demande pardon de mes impertinences, et ma chère cousine, auprès de laquelle je ne sais comment me réhabiliter. Mme Leclerc, lui donnant la main.

Ah! vous n'en avez pas besoin; maintenant je comprends tout; vous avez voulu montrer à Louis où conduisait l'oubli du devoir, et comment l'écolier occupé de son seul plaisir devenait plus tard le viveur égoïste qu'on méprise et qu'on hait.

Louis, prenant la main du cousin Pierre.

Oui, croyez bien que la leçon ne sera point perdue, et que je vous en remercie du fond du cœur. Le cousin Pierre.

Remercie plutôt Lycurgue, mon cher enfant, car la découverte du moyen lui appartient. Pour dégoûter les jeunes Spartiates de l'ivrognerie, il leur montrait des esclaves dans la dégradation de l'ivresse.

Manon.

Eh bien ça prouve que ce M. Lycurgue était un bourgeois de bon sens, qui connaissait le proverbe de ma grand' mère: Celui qui fait la grimace n'aime pas les miroirs.

VII.

LA VIEILLE COUSINE

OU

IL NE FAUT PAS JUGER L'ARBRE D'APRÈS L'ÉCORCE.

(E. Souvestre.)

PERSONNAGES.

Madame Langlois, veuve; 40 à 50 ans.

Eugénie, sa fille: 20 ans.

Caroline, sœur d'Eugénie, 18 ans.

Ursule, cuisinière, 45 ans.

Lili Duroc, cousine de Madame Langlois, 50 ans.

A droite

La scène se passe à Ville-d'Avray, près Paris. Le théâtre représente un salon de campagne; portes au fond, à droite et à gauche; chaises et fauteuils, et à gauche, des guéridons et tout ce qu'il faut pour écrire. A gauche une cheminée, au-dessus de laquelle se trouve une glace.

SCÈNE I.

Eugénie, assise près du guéridon à droite et cherchant dans un

dictionnaire des rimes.

(Elle regarde à la pendule.) Déjà trois heures! et ces vers pour la fête de maman ne sont point achevés........ ce sont les rimes et la mesure qui m'arrêtent.... Sans la mesure et la rime, je ferais des vers très-facilement

.. je voudrais pourtant finir.... Le commencement est si bien.... Cela a quelque chose de majestueux et de noble.... (Elle lit avec un peu d'emphase.)

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A la fête des rois le flatteur fait entendre

Pour leurs vaines grandeurs mille voeux complaisants;
Mais le plus doux souhait pour une mère tendre,

Est....

Voyons donc.... quel est le plus doux souhait pour une mère tendre?.... Il faut que cela rime en ants.... (Elle cherche dans le dictionnaire des rimes.) Voilà: chiendent! Non, ce n'est pas cela! Harengs! Pas davantage; je ne peux pas aller souhaiter des harengs.... Adjudants.... serpents.... cure - dents.... Ah! c'est comme un fait exprès.... (Elle referme le dictionnaire avec humeur.) Je n'ai pas d'idée qui me donne une rime, et impossible de trouver une rime qui me donne une idée C'est bien la peine d'avoir un dictionnaire!....

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