Manon, irritée. Pardonnez-moi, je vois que vous rendez votre tante très-malheureuse! Louis, criant pour couvrir la voix de Manon. Ça n'est pas vrai. Manon, élevant la croix. Que vous la ferez tomber malade. Louis, criant plus fort. Vous tairez-vous, Manon! Manon, élevant toujours la voix. Non, je ne me tairai pas! est je vous forcerai bien à entendre vos vérités! Louis, chantant pour couvrir la voix de Manon. La, la, la, la. Manon, [criant. Vous êtes un gourmand, un désordonné, un paresseux, un révolté!.... SCÈNE IV. Louis, Madame Leclerc, entrant par le fond, Manon. Mme Leclerc. Eh bien! eh bien! qu'est ce que c'est donc que ce bruit? Louis, à part. Oh! ma tante! (I remet sa ceinture et se détourne pour cacher les déchirures faites a sa tunique.) Mme Leclerc. Je vous rencontre à propos, Louis; je viens de votre chambre, où j'ai trouvé des bottes sur le bureau, des dictionnaires dans le lit et une tartine de confitures sur votre violon. Louis, tournant le dos à Madame Leclerc. Pardon, ma tante, c'est que ce matin j'étais pressé! Et cela vous a empêché de faire autre chose? Mais qu'avez-vous donc à vous retourner ainsi. Moi, ma tante? Louis, embarrassé. Mme Leclerc. Pourquoi ne pas regarder de mon côté? Manon, qui achève de mettre le couvert. (Ironiquement.) Faut croire que le jour lui fait mal aux yeux. Mme Leclerc, allant à Louis et le retournant vers elle. Voyons, que signifie?.... (Apercevant les déchirures de son habit et sa casquette sans fond.) Ah! je comprends! c'est le même bon ordre dans la chambre et dans le costume. Louis, embarrassé. Ma tante.... c'est que.... s'il fallait prendre garde quand on joue.... il n'y aurait plus de plaisir. Mme Leclerc. Et vous pensez, n'est-ce pas, que l'amusement doit faire oublier tout le reste? qu'il affranchit de toute convenance, de tout soin, de toute obéissance? Le plaisir d'abord, le devoir ensuite! Louis. Ah! ma tante, le mal n'est pas bien grand; le tailleur remettra tout en état. Mme Leclerc. Et vous donnera-t-il, dites-moi, l'esprit de conservation dont vous aurez besoin, la domination sur vousmême, l'habitude de l'ordre, sans laquelle la vie entière se dissipe en efforts superflus? Louis, à part. Bon! voilà le prêche qui va commencer. Cela peut se réparer, dites-vous! C'est avec ce mot qu'on s'encourage aux petites fautes, qui deviennent grandes plus tard. Enfant, on n'a pas su veiller à ses livres et conserver son habit; homme, on se montre aussi négligent pour sa fortune ou son honneur! Vous faites l'apprentissage du monde en jouant à petit ménage avec la vie. Manon, tout près de l'oreille de Louis. Laissez-moi tranquille, Manon! Mme Leclerc. Vous ne pouvez plus garder ce costume.... allez en prendre un plus convenable. Manon. Pardon, madame, j'ai mis à sécher dans le jardin l'habit neuf de M. Louis, je vais le chercher dès que j'aurai fini. Mme Leclerc, prenant un livre sur le guéridon. J'ai là un volume que je veux vous faire porter à madame Gallois. Louis, vivement. Aujourd'hui, ma tante? Mine Leclerc, qui envellope le volume Tout de suite après le déjeuner. Ah! Louis, à part. Manon, bas à Louis. Comme ça, on n'ira pas pêcher avec le grand François. (Louis fait un geste de mauvaise humeur.) Mme Leclerc. Vous direz à madame Gallois que j'ai reçu ce livre seulement aujourd'hui et que je le lui envoie sur-lechamp. Louis. Mais, ma tante .... est-ce qu'on ne pourrait pas attendre à demain? Un autre jour, ce ne sera pas la grande marée, et on ne trouvera plus de salicoques! Manon, malignement. Certainement que M. Louis doit être enchanté de sacrifier un plaisir pour cette bonne madame Gallois. cette Ah! c'est-que je la porte dans mon cœur, excellente dame; elle m'a rendu tant de services! Louis, brusquement. Alors c'est à vous et non pas à moi de les recon naître. (Manon sort en riant par la porte du fond) Mme Leclerc, à Louis. Vous oubliez, Louis, qu'elle m'en a également rendu dont je ne pourrai jamais me montrer assez reconnais sante. Louis, d'un ton bourru. C'est possible!.... Je ne me mêle pas de vos affaires, ma tante! Mme Leclerc, sévèrement. Vous avez tort, car je me mêle des vôtres, monsieur, quand je puis vous être utile. Vous me forcez à vous rappeler que je me suis souvent imposé pour vous des devoirs plus pénibles que de porter un volume à une amie. Louis, comme plus haut. Alors ma tante me reproche la peine qu'elle a prise pour moi? Mme Leclerc, avec impatience. Tenez, Louis, brisons là; la mauvaise humeur vous ôte toute justice et tout bon sens. Dès que nous aurons déjeuné vous porterez ce volume à madame Gallois, je l'exige, je le veux. (Elle lui donne le volume.) Louis, à part, avec colère. Oui.... Eh bien, moi je ne le veux pas! Ah! on croit que j'irai renoncer comme ça à une partie de pêche! -- Madame Gallois aura son bouquin demain.... ou plus tard! Manon rentrant par le fond avec un habit. Ah! quelle horreur! |